L’usam se réjouit du NON sans appel opposé à l’initiative irresponsable
«Pure surestimation de soi»
PATRICK DĂśMMLER – «À l’avenir, le boulanger paiera pour le sauvetage des aciĂ©ries en achetant son Ă©lecÂtriÂcité», explique le nouveau responsable du secteur durabilitĂ© et politique Ă©coÂnoÂmique Ă l’usam. La classe politique ne peut pas savoir quels sont les secteurs qui seront porteurs Ă terme.
Journal des arts et métiers: Lors de la session d’hiver, le Parlement a décidé de sauver les usines d’acier et d’aluminium en difficulté en Suisse. Quelle a été votre première réaction lorsque cette décision a été prise?
Patrick Dümmler: Mais non, la Suisse ne va pas s’y mettre aussi! Les partisans du projet invoquent l’écologie, la protection de l’emploi et la sécurité de l’approvisionnement. Mais en arrière-plan, les intérêts de la politique régionale et l’électorat jouent leur rôle.
L’argument écologique ne tiendrait-il pas la route?
Non. Le recyclage est aussi possible à l’étranger et les distances de transport ne jouent qu’un rôle secondaire dans le cas de l’acier. C’est surtout la fusion qui consomme beaucoup d’énergie. Il existe encore des dizaines d’aciéries en Europe, y compris autour de la Suisse. Notre acier n’est d’ailleurs pas aussi vert qu’on le dit. Il est composé d’environ un cinquième d’électricité grise, qui doit bien provenir des centrales à charbon allemandes. Et à propos de sécurité d’approvisionnement, l’acier est une marchandise internationale qui se stocke très bien et longtemps.
Et du côté des emplois?
Perdre son emploi, c’est un coup dur. Mais nous devons nous demander si la Suisse possède encore les conditions d’implantation pour ces usines. La réponse est plutôt négative. Il faut prendre en considération les collaborateurs, leur reconversion, la formation continue, etc. Les autorités et l’économie privée ont mis en place de nombreux programmes et mesures.
«Pensez à tout ce qu’on aurait pu faire avec cet argent gaspillé.»
Avec cette décision, la Suisse opte pour une politique industrielle qui n’existait pas jusqu’ici. Vers quoi se dirige-t-on?
La politique industrielle suit un schéma familier. Tout d’abord, les responsables politiques désignent un gagnant sous la forme d’un secteur ou, comme dans le cas présent, sous la forme de certaines entreprises, qui bénéficient alors d’une protection. Cela se fait par le biais de tarifs d’importation, de subventions ou de concessions d’un genre ou d’un autre. Les conséquences en sont une pression moindre, des prix plus élevés, un choix plus restreint et souvent une qualité insuffisante. La force disciplinante de la concurrence est effacée. Il en résulte des distorsions du marché. Cet effet négatif a un impact sur l’efficacité économique globale – et nous coûte à tous des points de prospérité.
La Suisse a eu très tôt une industrie textile de premier plan. Si elle avait été protégée jusqu’à aujourd’hui, elle existerait encore. Mais à des prix exorbitants. La Suisse doit permettre des changements structurels. Pourquoi nous portons-nous si bien? Parce que n’avons jamais freiné les changements de l’économie.
Pourquoi est-ce problématique que la politique désigne les gagnants?
La classe politique ne peut même pas savoir quels sont les secteurs porteurs qui s’imposeront à terme.
«La Suisse ne devrait pas participer à ce jeu absurde. nous avons montré que nous pouvions faire mieux.»
C’est de la pure surestimation de soi. On peut spéculer, mais la conséquence se fait sentir quand l’argent du contribuable est mal dépensé. La décision du Parlement ne change rien au fait que les usines pourraient à nouveau se retrouver au bord du gouffre dans quelques années. Et on fera quoi à ce moment-là ? La politique industrielle n’a jamais marché.
Pensez à tout ce qu’on aurait pu faire avec cet argent gaspillé. Des moyens qui seraient simplement restés dans les mains des particuliers et des entreprises qui auraient pu les investir plus judicieusement. Grâce à l’intelligence collective, 100 000 personnes savent mieux ce qui est judicieux que certains politiciens. Ces derniers sont exposés à de nombreux intérêts et ne doivent pas payer eux-mêmes le prix de leurs décisions. Ils sont moins prudents. Et en cas d’échec, ils n’ont rien à assumer. Plus dangereux, le fait que le financement de ces mesures spéciales puisse prétériter d’autres tâches de l’État, comme la défense. Ou alors, on s’endette. Et dans ce cas, ce sera aux générations futures de payer des impôts plus élevés.
Si les aciéries bénéficient d’une garantie de l’État, pourquoi pas le boulanger du coin?
Les entreprises individuelles sont trop petites pour qu’un tel appel soit entendu par les politiques. Il n’y aura jamais de programme de sauvetage pour une seule boulangerie, et cette dernière – par fierté professionnelle – ne le souhaiterait probablement pas. Cela n’aurait d’ailleurs aucun sens. Malheureusement, la tendance est telle qu’aujourd’hui, lorsqu’une branche va mal, l’appel au soutien de l’État est vite envisagé. Nous nous sommes habitués à ce que l’État puisse mettre à disposition des milliards en très peu de temps, par exemple pour les banques ou lors de la pandémie. Cette évolution est dangereuse. Dès que l’on prononce le terme d’«importance systémique», l’argent afflue. Il faut juste arrêter de considérer que tout est d’importance systémique. Enfin, si la politique industrielle favorise surtout les grandes entreprises établies ou certains secteurs, cela peut renforcer les inégalités sociales. Les petites structures pourraient rester à l’écart de la croissance économique.
Quel est le résultat concret de la décision prise au Parlement?
Il a accordé aux deux aciéries du pays et aux deux usines d’aluminium valaisannes un rabais de quatre ans sur les taxes d’utilisation du réseau électrique, c’est-à -dire sur le transport de l’énergie. Aux autres entreprises de financer ce rabais – y compris les PME. En achetant de l’électricité, le boulanger paiera donc à l’avenir pour le sauvetage des aciéries. Cette socialisation des coûts est injuste et erronée. Celui qui achète de l’électricité devrait payer sa part des coûts du système. Pas plus, mais pas moins non plus.
L’argument selon lequel il ne s’agit que d’une tasse de café ne tient pas non plus en termes de prix. La question est plutôt de savoir combien de ces fameuses tasses de café sont dépensées au total pour de nombreux produits nocifs. Chaque tasse est déjà de trop. D’autant qu’au final, c’est la somme totale qui compte.D’ailleurs, une telle subvention exceptionnelle du prix de l’électricité n’existait pas jusqu’ici. Elle a été accordée selon différentes conditions, ce qui entraînera un grand travail de contrôle bureaucratique pour la Confédération. Avec à la clé une nouvelle croissance du nombre de fonctionnaires!
Cette décision a-t-elle ouvert une boîte de Pandore?
La boîte de Pandore des tentations, on l’a ouverte depuis longtemps pour alimenter les dépenses publiques et des flots des subventions nuisibles. Ce qu’il faudrait, au lieu d’une politique industrielle, c’est un programme de revitalisation de l’économie. Berne devrait améliorer les conditions-cadres de manière générale. En d’autres termes, freiner la croissance de l’État – et du coup la charge fiscale. La performance doit à nouveau être récompensée. En parallèle, il faut réduire la réglementation. Autrefois, ce qui n’était pas explicitement interdit était autorisé. Aujourd’hui, j’ai l’impression que c’est l’inverse: ce qui n’est pas explicitement autorisé est interdit. C’est ce qui tue l’innovation, dont notre pays a un besoin urgent pour prospérer et croître, faute de matières premières.
D’autres États soutiennent leurs industries, la Suisse ne devrait-elle pas en faire de même?
La concurrence ne peut jamais être totalement équitable. Le niveau d’imposition, le droit du travail, etc. sont bien différents d’un pays à l’autre. Ce sont des avantages comparatifs: notre système dual de formation professionnelle connaît un grand succès. Personne ne voudrait le niveler par le bas pour le ramener à une moyenne mondiale moins bonne. La Suisse ne devrait pas participer à ce jeu absurde. En tant que pays, nous avons prouvé à plusieurs reprises qu’on pouvait faire mieux.
La faute à notre politique énergétique si ces usines ont dérapé?
Nos coûts énergétiques élevés y jouent certainement un rôle. La transformation de notre système énergétique vers la neutralité carbone est inscrite dans la loi, nous aurons besoin de plus d’électricité pour y arriver. Mais ce qui coûte trop cher, ce sont les milliards de subventions alloués aux installations solaires et éoliennes – dont l’utilité reste douteuse. Ne subventionnons pas plus!
Quid du contre-projet du Conseil fédéral à l’initiative «Stop au blackout»?
L’électricité doit être disponible en quantité suffisante et au bon moment. Une neutralité technologique est nécessaire, tous les types de production d’électricité neutres pour le climat doivent pouvoir être utilisés en Suisse. Les interdictions – comme celle du nucléaire – limitent les possibilités et conduisent à des compromis en termes de rentabilité ou de disponibilité de l’électricité. La Suisse ne peut pas se permettre ces deux choses. Le contre-projet permet à la Suisse de construire de nouvelles centrales nucléaires – mais elle n’y est pas obligée. Aux acteurs du marché de choisir le type d’installation approprié pour couvrir les besoins. Il est important que l’énergie nucléaire ne soit pas empêchée par des moyens détournés, des dispositifs de sécurité totalement exagérés.
«Autrefois, ce qui n’était pas interdit était autorisé. Aujourd’hui, c’est l’inverse.»
Les aciéries ont été épaulées par la gauche qui soutient l’initiative de responsabilité environnementale soumise aux urnes le 9 février. Qu’en pensez-vous?
C’est incohérent et quasi schizophrène. En cas d’acceptation de cette initiative d’appauvrissement, il ne serait presque plus possible de produire quoi que ce soit en Suisse. La consommation deviendrait extrêmement chère et la perte de prospérité serait immense.
Interview: Rolf Hug
Communiqués de presse
Programme d’allégement budgétaire 2027: l’usam exige des mesures résolues sur le volet des dépenses
«De bonnes conditions-cadres pour les PME»: le conseiller fédéral Guy Parmelin s’exprime lors de la 75e Conférence d’hiver des arts et métiers
Paquet d’accords avec l’UE: un examen critique s’impose
L'usam rejette fermement l’initiative sur les successions des Jeunes socialistes et salue la décision du Conseil fédéral
L’usam salue la confirmation de la votation sur AVS 21 et appelle à des réformes rapides et ambitieuses