Publié le: 4 avril 2025

Fromagerie flambant neuve à Develier

Terroir – Au terme de deux ans de travaux, la Société coopérative de Develier a présenté sa nouvelle fromagerie à la presse régionale et annoncé une journée portes ouvertes. Ce nouvel outil de production de Gruyère AOP déjà bien rôdéest porté par le projet de développement régional Créalait, la société Miba et quinze producteurs associés à cette aventure.

Il a fallu se lever aux aurores pour assister à l’arrivée du lait dans la nouvelle fromagerie de la Société coopérative de Develier (JU). Mais cela valait le coup d’œil: les uns après les autres, les producteurs manœuvraient dans la cour, l’un conduisant un break, l’autre un tracteur doté d’une remorque et d’un réservoir sphérique étincelant. Les raccordements effectués, un doux frémissement des tuyaux indiquait que le précieux liquide entamait sa transformation en gruyère AOP, traditionnel et bio.

En attendant la visite organisée pour la presse régionale et la conférence de presse de présentation de ce nouvel outil du terroir, nous avons papoté avec Jean-Bernard Studer, producteur laitier vivant à quelques dizaines de mètres de la fromagerie. L’agriculteur injectait ce matin-là 170 litres de lait dans la nouvelle installation. «Les volumes varient selon la saison, en été, cela peut aller jusqu’à 300 litres, destinés au gruyère conventionnel.»

Jean-Bernard livre déjà depuis deux mois dans la nouvelle fromagerie. Il est là soir et matin, c’est une exigence pour le cahier des charges du Gruyère AOP. Il n’utilise pas de fourrages ensilés, ni de robot de traite. Le métier, il l’exerce depuis 64 ans et les siens sont établis ici à Develier depuis au moins trois générations. Dans sa ferme vivent aussi une trentaine de vaches, quelques poules mais surtout une vingtaine de grands cochons qui reçoivent dans leur alimentation ce truc en plus, le petit lait extrait de la production fromagère qui retourne là où il a été trait. «C’est un circuit court très intéressant», sourit-il en constatant le succès de l’invitation. Les producteurs profiteront aussi d’un prix du lait plus attractif.

Soudain, voilà que l’un de ses collègues en reculant manque d’écraser la sacoche contenant le matériel d’une journaliste de TV, petite catastrophe évitée de justesse grâce au sang-froid de l’un des organisateurs. Olivier Boillat s’active à la Fondation rurale interjurassienne basée à Courtemelon, impliquée dans le projet de développement Créalait dont la nouvelle fromagerie est l’une des réalisations. Il nous montre l’extérieur de ce bâtiment flambant neuf qui répond au dernier cri des normes sanitaires et énergétiques, avant de nous emmener dans un bureau vitré d’où l’on aperçoit deux fromagers s’activant autour de deux gigantesque cuves de fabrication.

Les représentants de la presse régionale sont finalement presque tous arrivés et la présentation du projet peut débuter dans une petite salle attenante.

Avec les cafés, les organisateurs servent deux Gruyères AOP. L’un d’eux est plus jeune, d’une couleur jaunâtre plus marquée parce qu’il a été réalisé avec des herbages provenant de pâturages. L’autre, plus mature, présente une couleur plus proche du blanc – le foin a été utilisé. Aux côtés d’Olivier Boillat, Vincent Boillat (sans lien de parenté avec le premier du nom), président de la fromagerie de Develier, présente le projet.

Il nous accueille dans son rôle de secrétaire de l’Association PDR Créalait, Olivier Boillat: «Nous avons lancé en 2018 un projet global sur le thème de la valorisation du lait dans le canton du Jura. Il a été validé par la Confédération et le Canton du Jura, dans le but de soutenir les producteurs de la région. L’idée est de développer la transformation laitière locale tout en répondant aux besoins de la population», explique-t-il. Le PDR Créalait a été approuvé en décembre 2020 par le gouvernement jurassien et l’Office fédéral de l’agriculture. Son démarrage est effectif en 2021 avec un investissement total de 11,2 millions d’investissements jusqu’en 2026. L’un de ces projets est précisément la nouvelle fromagerie de Develier: en association avec quinze agriculteurs locaux, elle permet de produire du Gruyère AOP traditionnel et bio. Et d’offrir à ces producteurs un meilleur revenu.

Côté investissement, la transparence est de mise: le financement de 5,5 millions est pris en charge pour un un peu moins d’un tiers par la Confédération et le Jura. Le solde se répartit entre les fonds propres de la fromagerie et des emprunts aux quinze producteurs, un prêt Miba, un prêt hypothécaire et un crédit agricole.

De la main, Vincent Boillat désigne une vieille maison au bord de la route, dans le même corps de bâtiment, c’est la mère de la fromagerie actuelle. «Voici l’ancienne fromagerie, construite dans les années trente et qui a déjà subi plusieurs rénovations, la dernière en 2002, avec de nouvelles caves construites en 2014. Le bâtiment de la nouvelle fromagerie est un prolongement de l’ancienne, sur une parcelle de 1500 mètres carrés. Ce fut un gros défi et nous avons été bien soutenu par la Commune de Develier.»

La construction a pris deux ans et la production à proprement parler a débuté en novembre 2024. Pour la visite du 26 mars, tout est donc bien rôdé. On s’équipe avec des protège-chaussures et un bonnet de protection avant de visiter les installations qui permettent de traiter 3400 tonnes de lait par année dans deux cuves de 6600 litres. La production totale s’élève à 140 tonnes de Gruyère AOP traditionnel et 170 tonnes en bio.

La recette est éternelle. Le lait est directement coulé dans un cuve en cuivre, chauffé à 30°C, emprésuré, caillé puis décaillé, chauffé à 57° pour former le grain. Le tout est pompé et réparti dans les moules, puis pressé. Le robot de nettoyage s’appelle Placide!

La production actuelle se fait avec deux cuves via un système complexe de réchauffement et de refroidissement que l’on peut voir au sous-sol. Une troisième cuve pourrait être construite si les contingents sont attribués. L’emplacement est déjà fixé. Cela dit, avec ses 310 tonnes de Gruyère AOP, Develier restera un poids moyen par rapport à d’autres fromageries de la région. Celle de Courgenay (500 tonnes), celle de Noirmont (50 tonnes de Gruyère et 500 tonnes de Tête de Moine), celle de Saignelégier (1000 tonnes de Tête de Moine).

Jusqu’en 2024, le lait était acheté par la lucernoise Emmi. Puis, c’est la bâloise Miba société coopérative qui a repris la gestion de la fromagerie de Develier en créant une filiale, la Fromagerie Miba SA.

«L’idée du projet de développement régional (PDR) Créalait est de développer un outil indépendant au service des produits laitiers jurassiens, explique Olivier Boillat, nous voulons soutenir la production laitière dans le canton du Jura, optimiser de la valeur ajoutée sur place et au-delà, développer le savoir-faire régional en transformation laitière et structurer, dynamiser la filière laitière.»

Les premiers résultats sont là: selon les calculs effectués sur place par les responsables, le taux de transformation du lait produit dans le canton du Jura était de 28% en 2021. Selon les derniers chiffres, il est passé à 32% actuellement.

En plus de la nouvelle fromagerie, Créalait a d’autres projets, comme la création d’une plateforme logistique et d’un centre pour les produits labellisés. Le développement de trois fromageries fermières et de nouveaux produits. Deux séchoirs en grange (sur dix prévus) ont déjà été installés pour adapter la production de foin. Au plan marketing, l’association a mis en place une stratégie de promotion et de vente, lancé des magasins de producteurs locaux et même une série d’offres touristiques autour du lait. Les petits magasins de village sont destinés à la population locale dans un segment de consommation courante et des prix accessibles. Le lancement d’un magasin suprarégional des produits laitiers est prévu à Courtételle.

Sur la table, des petits tabliers pour enfants sur le thème du corbeau et du renard de La Fontaine. Avec les journées portes ouvertes, c’est surtout l’envie d’attirer un public de familles et de jeunes pour montrer la beauté de nos métiers. «Nous visons les jeunes, car nous voulons susciter des vocations pour dynamiser la relève. Cette fromagerie est pensée pour les prochaines générations et le cadre de travail est fantastique», sourit Vincent Boillat. Les 5 et 6 avril (cette édition a été bouclée le 2 avril déjà), des ateliers sont organisés pour montrer comment se fabriquent le fromage et le beurre dans ses jolis moules en bois. Il y a aussi des concours pour les écoles, des expositions et de quoi se restaurer!

François Othenin-Girard

Les plus consultés