Journal des arts et métiers: L’Union suisse des arts et métiers usam lance une action contre un État-nounou, ou Nanny-State – en collaboration avec GastroSuisse, le Forum suisse des consommateurs et Swiss Retail Federation, qui coordonne le tout. Pourquoi une telle campagne?
Urs Furrer: Parce que l’État déresponsabilise de plus en plus ses citoyens et devient de plus en plus envahissant avec ses prescriptions et ses interdictions. Il nous dit de plus en plus comment nous devons nous nourrir, ce que nous pouvons encore consommer, ce qui est bon et ce qui est mauvais pour nous. C’est présomptueux – et une évolution très inquiétante.
Les partisans affirment que l’État vous veut du bien. Et vous?
Que tout ça repose sur une fausse croyance. C’est l’idée que le citoyen a besoin d’être pris en charge, qu’il doit être pris par la main et guidé, du berceau jusqu’à la tombe. Or, notre démocratie directe repose sur l’hypothèse d’un citoyen responsable, autodéterminé et conscient, qui sait mieux que quiconque ce qui est bon pour lui. Et qui peut et doit trancher des sujets très complexes en s’exprimant dans les urnes. Il est effrayant de constater qu’en contrepartie, l’État n’accorde même pas aux gens le droit de se nourrir correctement - d’autant plus que cela relève de toute façon de la sphère privée.
Je vais plus loin: la conception d’un État-nounou qui se répand de plus en plus contredit notre conception de l’État. Elle constitue en fin de compte une attaque contre notre démocratie directe en remettant en question l’une de ses principales hypothèses de base. À savoir celle du citoyen adulte et responsable.
D’où la lolette comme emblème?
Exact. Les nounous ou maman de jour sont employées par les parents pour s’occuper des enfants. Et l’État-nounou de la même manière traite en fin de compte les citoyens comme de petits enfants. Notre objectif est que les gens se défendent. Qu’ils recrachent cette lolette. Après tout, nous ne sommes pas des bébés: la liberté est l’un de nos principaux acquis. Elle est synonyme de responsabilité – et non de contrainte étatique.
Quand y avez-vous été confronté pour la dernière fois?
Je fume volontiers un bon cigare de temps en temps pour le plaisir. Sur la boîte de cigares figure le grand avertissement «Fumer tue». En tant que citoyen, j’ai l’impression d’être pris pour un idiot. Je sais bien que fumer n’est pas bon pour la santé. Je n’ai donc pas besoin d’un enseignement de l’État. D’autant plus que c’est à moi de décider si je veux fumer un cigare ou non.
D’autres exemples tirés de la vie quotidienne?
Il y en a tellement. En ville de Zurich, on prévoit bientôt de plafonner à 300 grammes la quantité de viande par semaine et par assiette. Il y a toujours des interventions visant à réduire et à taxer le sucre et le sel dans les aliments. Une initiative demande que les feux d’artifice soient interdits dans toute la Suisse. Bientôt, on empêchera de faire sonner les cloches des vaches ou d’utiliser un souffleur à feuilles. Enfin, le cervelas est également visé.
Le «nudging», c’est-à -dire le fait de pousser les citoyens dans ce que l’on croit être la bonne direction, est particulièrement insidieux. L’administration est presque toute-puissante. Dans de nombreux cas, les citoyens peuvent encore se prononcer démocratiquement sur des interdictions sévères, malgré tous les maux.
Et les restrictions publicitaires?
Oui - et parfois de manière très complète. Plusieurs communes de Suisse, comme la ville de Vernier (GE), ont décidé d’interdire la publicité sur l’ensemble de l’espace public, ce qui s’applique aussi à la publicité sur le domaine privé si elle est visible par le public. Il ne s’agit pas seulement d’une atteinte massive à la liberté de propriété. Pour les PME, cela signifie surtout qu’elles ne peuvent plus faire de publicité pour leurs produits, alors qu’elles auraient besoin de visibilité.C’est d’autant plus absurde qu’à Vernier, les événements sportifs et culturels ne sont pas concernés – y compris le concert de Taylor Swift. Une mégastar mondiale peut donc continuer à faire de la publicité pour ses concerts, tandis que les PME locales en sont empêchées. C’est injuste. Des propositions d’interdictions de publicité rigides et compliquées ont aussi été acceptées à Berne et récemment à Zurich. Le canton de Vaud a interdit une publicité pour une voiture avec un modèle féminin en raison de son caractère sexiste, sa minceur favorisant les stéréotypes. Tout cela va dans le sens d’une talibanisation.
Ne nous faisons pas d’illusions: tout cela n’est qu’un début. Ce qui se passe actuellement dépasse les limites de la raison.
Vous avez dirigé les associations Chocosuisse et Biscosuisse: dans l’alimentaire, comment l’État-nounou se comporte-t-il?
Les biens de consommation, les produits alimentaires et l’ensemble du secteur de l’épicerie sont particulièrement touchés par les abus de l’État. Cela explique aussi pourquoi les quatre organisations lancent une campagne commune. Le contexte est le suivant: le Conseil fédéral prévoit une révision de la loi sur les denrées alimentaires. Dans une première version, il voulait interdire la publicité pour les aliments à forte teneur en graisse, en sucre ou en sel: les produits dits HFSS – «high in fat, sugar and salt» – et leur accessibilité par les enfants et les adolescents. Et ce, sur tous les canaux, presse écrite, télévision, audio et Internet. Cette mesure néfaste concernait les boissons sucrées, les sucreries, bonbons ou biscuits, yaourts, glaces, céréales pour le petit déjeuner, snacks salés – la liste est longue. Qui plus est: même les boissons édulcorées artificiellement devraient être concernées, ce qui est totalement absurde.
L’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV), responsable de cette révision, dépasse complètement son mandat. Juste en passant: cet office exploite – en contradiction avec ses attributions – une boutique sur son site Web, où l’on peut commander des livres qui offrent entre autres des conseils aux propriétaires de chiens sur l’alimentation, les soins du pelage, le jeu. Tout est dit.
Quel aurait été l’impact de cette interdiction de publicité sur les PME?
Cela aurait fait souffrir le secteur publicitaire local, tout comme les PME qui produisent et vendent.Prenons l’exemple d’un confiseur qui veut organiser un moulage de lapins de Pâques avec des enfants. Il ne pourrait plus faire de publicité pour communiquer sur cet événement. Plus grave encore: il ne pourrait probablement plus non plus organiser l’événement lui-même, car celui-ci pourrait également avoir un caractère publicitaire et tomber sous le coup de cette interdiction. Les détails ne sont certes pas encore tout à fait clairs et l’OSAV semble hésiter après l’indignation suscitée par l’annonce de la révision de la loi. Mais ce petit exemple montre déjà comment toutes ces prescriptions et règles compliquent le quotidien des PME jusque dans les moindres détails. Des dizaines de clarifications seraient nécessaires. Si le confiseur organise l’événement dans cette zone d’ombre juridique, il devra ensuite s’attendre à une amende. Dans le pire des cas, il y aura des gros titres négatifs dans la presse.
Le scénario le plus probable est le suivant: le confiseur renonce à l’avenir à mouler des lapins de Pâques parce que c’est tout simplement trop compliqué et trop peu sûr. C’est le danger de toutes ces interdictions et prescriptions: elles ruinent l’initiative personnelle dont vit et profite ce pays. Et que les citoyens perdent aussi en grande partie en s’accoutumant à cette machine étatique qui resserre toujours plus son étreinte. La liberté est étranglée par petites tranches, jusqu’à ce qu’il soit trop tard et qu’elle soit presque totalement abolie. Comme la fameuse grenouille nageant dans une casserole qui chauffe progressivement et qui soudain ne peut plus sauter pour s’en sortir!
Quid de la révision de la loi sur les denrées alimentaires?
Après une première ébauche, le silence s’est installé, car l’opposition est forte. Il se peut que le projet mis en consultation soit bientôt sur la table. Un autre aspect me semble important: pour l’interdiction de la publicité mentionnée, l’OFAG (Office fédérale de l’agriculture, ndlr) s’est appuyé sur les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Cette loi molle («soft law», ndt) internationale, rédigée sous la forme de directives et de recommandations, s’avère de plus en plus intégrée dans la loi nationale contraignante («hard law»). C’est dangereux, nous devrons être vigilants.
L’usam veut réduire les coûts de la règlementation. Quel lien avec l’État-nounou?
Le Nanny-State est un grand producteur de règlementation qui entraîne une croissance toujours plus importante de l’État et de l’administration. Toutes ces restrictions et interdictions nécessitent beaucoup de papier. Elles doivent être élaborées, surveillées et contrôlées. Les employés de l’administration s’en réjouissent. Les victimes de cette évolution sont les PME, les contribuables et les gens ordinaires de ce pays.
Qu’attendez-vous de cette campagne?
Nous voulons faire réfléchir les gens et, plus largement, lancer un débat sur les valeurs. Nous voulons en outre créer un contrepoids visible à l’administration et à toutes les ONG qui réclament sans cesse et partout davantage d’interventions de l’État.
Interview: Rolf Hug
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