Publié le: 9 mai 2025

De jeunes Tunisiens à la rescousse

Marc-Olivier Roux – La fondation Swisscontact a créé une passerelle qui permet aux PME d’engager hors contingent de jeunes Tunisiens dans différents domaines, dont l’informatique, l’ingéniérie, l’architecture. Un jeune ingénieur chimiste est déjà actif dans les technologies du recyclage à Sion. Une solution pour dénicher des talents qui deviennent rares actuellement.

JAM: Marc-Olivier Roux, oserais-je vous demander de vous présenter en quelques mots?

Marc-Olivier Roux: Je suis responsable des partenariats à la fondation Swisscontact. Après une carrière dans la coopération internationale en Suisse, Europe de l’Est et Asie du Sud-Est, j’ai rejoint la fondation Swisscontact en janvier 2023, où j’œuvre à la création de passerelles favorisant les échanges de compétences et d’expertise entre la Tunisie et la Suisse, en étroite collaboration avec les institutions publiques et le secteur privé.

En quoi consiste le projet «Perspectives» que vous avez mis au point avec la fondation Swisscontact, la DDC et le SEM pour la Tunisie?

Le projet «Perspectives» s’inscrit dans le cadre de l’Accord Jeunes Professionnels conclu par la Suisse avec la Tunisie, en vue de favoriser la mobilité professionnelle des jeunes diplômés. Il permet à des jeunes âgés de 18 à 35 ans – titulaires d’un diplôme universitaire ou d’une formation professionnelle d’au moins deux ans – de travailler au sein d’une entreprise en Suisse pour une période allant jusqu’à 18 mois. Les autorisations (permis L) sont délivrées directement par le Secrétariat d’État aux migrations (SEM), sans être soumises aux quotas cantonaux ni aux obligations d’annonce en vigueur sur le marché du travail suisse. Il existe en tout 14 accords jeunes professionnels signés par la Suisse avec des pays tels que l’Afrique du Sud, l’Argentine, l’Australie, le Canada, le Chili, les États-Unis, l’Indonésie, le Japon, Monaco, la Nouvelle-Zélande, les Philippines, la Russie, l’Ukraine et la Tunisie.

Qu’est-ce que l’accord avec la Tunisie comporte de particulier?

Parmi ces accords, seul celui signé avec la Tunisie bénéficie du soutien du programme «Perspectives» implémenté par la fondation Swisscontact. Ce programme – financé par la Direction du Développement et de la Coopération Suisse (DDC) et le SEM – permet des mises en relation avec de jeunes talents de Tunisie ainsi qu’un soutien pour faciliter les demandes de visa, départs et arrivées en Suisse.

Combien de personnes seraient intéressées et dans quels métiers?

L’accord tuniso-suisse permet la délivrance de 150 permis de travail temporaire (permis L) par année, accessible à tous les secteurs et métiers.

Quelle est la plus-value pour les PME? De quelle manière les PME romandes peuvent-elles contribuer à votre projet?

Les PME romandes confrontées à des difficultés de recrutement, notamment pour des postes temporaires, peuvent tirer un réel avantage de cet accord. Il permet un recrutement simplifié de jeunes talents qualifiés, motivés et prêts à mettre leurs compétences et leur expérience au service des entreprises suisses. Grâce à leur niveau de formation et à leur fort engagement professionnel, ces jeunes Tunisiens représentent une véritable valeur ajoutée pour les PME en quête de profils spécifiques. Nous encourageons donc les PME romandes à nous contacter pour partager les profils recherchés afin que nous puissions les mettre en relation avec des candidats tunisiens répondant à leurs attentes. Nous les invitons également à considérer les candidatures tunisiennes qu’elles reçoivent, en prenant en compte les facilités offertes par l’accord.

Quels sont les secteurs où des collaborations sont souhaitées?

L’accord permet des recrutements dans tous les secteurs et métiers, dans le respect des règlementations propres à certains métiers. Nous avons actuellement en Suisse des jeunes Tunisiens et Tunisiennes qui travaillent dans les domaines de l’informatique, l’ingénierie et l’architecture démontrant leurs excellentes capacités dans des métiers nécessitant un savoir-faire et une maîtrise des technologies avancée.

Les PME qui participent peuvent-elles prendre part Ă  des projets en Tunisie?

Les PME qui recrutent de jeunes talents tunisiens peuvent s’appuyer sur cette ressource pour développer leurs activités en Tunisie, soit pendant la période de travail en Suisse, soit lors du retour des personnes concernées dans ce pays.

Quel apport pour notre marché du travail?

Cet accord apporte une réponse concrète aux difficultés rencontrées par de nombreuses PME suisses pour recruter certaines compétences, en particulier dans des secteurs touchés par la pénurie de main-d’œuvre ou confrontés à des besoins temporaires, comme les métiers saisonniers ou les périodes de forte activité. Il permet d’élargir l’accès à une main-d’œuvre qualifiée, expérimentée et motivée, tout en offrant davantage de flexibilité aux employeurs, sans remettre en cause les priorités actuelles du marché suisse en termes de formation professionnelle ou de reconversion.

Du point de vue des permis de travail et de nos relations avec l’UE, comment cela se passe-t-il?

Cet accord se distingue clairement des accords bilatéraux conclus avec l’UE et l’AELE, car il ne permet qu’un accès temporaire au marché du travail suisse, via un permis L d’une durée maximale de 18 mois. À l’issue de cette période, si l’employeur et le collaborateur souhaitent poursuivre leur relation professionnelle, une demande de permis B doit être déposée auprès des autorités cantonales compétentes. Ce type de prolongation relève en effet des compétences de chaque canton et est soumis aux conditions du contingentement applicable aux ressortissants de pays tiers.

Faut-il faire la preuve de l’inexistence de compétences au sein de l’UE?

Non. Les autorisations de travail (permis L) délivrées dans le cadre de ces accords sont octroyées indépendamment de la situation du marché du travail dans le pays d’accueil. Il n’est donc pas nécessaire de démontrer l’absence de candidats issus de l’UE ou de l’AELE. En effet, l’activité professionnelle exercée par les jeunes concernés s’inscrit dans un objectif principal de formation continue. À ce titre, ils ne sont soumis ni à l’obligation d’annonce des postes vacants, ni au principe de priorité en faveur des ressortissants européens.

Quelle est la procédure?

Pour l’entreprise, la démarche est simple: elle sélectionne et recrute un jeune professionnel en suivant ses processus habituels, en proposant un salaire conforme aux conventions collectives en vigueur dans son secteur ou à la législation cantonale applicable. Une fois le contrat de travail établi, le jeune professionnel soumet une demande de visa, avec le soutien du programme «Perspectives», qui l’accompagne dans les préparatifs de son arrivée en Suisse. Le délai d’obtention du visa est généralement de quatre à six semaines.

Quel est votre calendrier?

L’accord sur les jeunes professionnels entre la Suisse et la Tunisie a été signé en 2014, sans limite de durée. Le programme «Perspectives» accompagne sa mise en œuvre depuis 2023, dans le cadre d’une première phase qui se poursuivra jusqu’en 2026, avec une possible prolongation jusqu’en 2028.

Qu’est-ce qui est prévu du côté des rémunérations?

Dans le cadre des contrats de jeunes professionnels, les employeurs sont tenus de proposer un contrat à plein temps avec un salaire conforme aux conventions collectives en vigueur dans leur secteur. À défaut de convention applicable, les conditions prévues par la législation cantonale sur le travail s’appliquent. L’objectif est de garantir que les jeunes professionnels puissent vivre dignement de leur rémunération durant leur séjour en Suisse, tout en évitant toute forme de dumping salarial. Ces accords visent à compléter les ressources humaines disponibles sur le marché, sans se substituer aux opportunités offertes aux jeunes Suisses ou Européens. Il est également possible d’employer un jeune professionnel sous statut de stagiaire, à condition que le stage soit diplômant, c’est-à-dire lié à l’obtention de son diplôme universitaire. Dans ce cas, la décision d’accepter ce statut relève du Secrétariat d’État aux migrations (SEM).

Pourriez-vous nous présenter un ou deux cas concrets de jeunes souhaitant travailler dans ce cadre?

À titre d’exemple, nous accompagnons actuellement un jeune ingénieur chimiste qui travaille dans une entreprise spécialisée dans les technologies de recyclage à Sion. Nous suivons aussi une jeune experte en intelligence artificielle, intégrée dans une start-up innovante à Lausanne, ainsi que plusieurs jeunes architectes qui ont rejoint des cabinets à Genève. Ces parcours illustrent bien la diversité des profils engagés dans le programme, chacun apportant ses compétences spécifiques à des secteurs variés tout en vivant une expérience humaine et professionnelle enrichissante. Depuis la mise en œuvre de l’accord, près de 200 jeunes Tunisiens ont pu bénéficier d’une expérience professionnelle en Suisse. En 2023-2024, le programme a accompagné environ 30 jeunes. L’objectif est désormais d’atteindre un rythme de 150 jeunes professionnels tunisiens accueillis chaque année.

François Othenin-Girard

Informations:

www.swisscontact.org

Ismail Zitouni, jeune ingénieur chimiste tunisien actuellement actif dans les technologies du recyclage au sein d’une entreprise basée à Sion. Un accord qui rend service aux PME.Photos: dr

Marc-Olivier Roux, responsable des partenariats Ă  la fondation Swisscontact. Photo: dr

Les plus consultés