Publié le: 9 mai 2025

La dose létale de mercantilisme

LIBRE-ÉCHANGE – Le mercantilisme et ses effets destructeurs sont de retour. Il prévoit que l’économie nationale doit fonctionner de manière aussi autarcique que possible, sauf pour l’approvisionnement en matières premières. Un coup d’œil sur cette ancienne façon de penser présentée avec un tout nouvel emballage.

En ces temps d’incertitude mondiale, de tensions économiques et de polarisation politique, un ancien modèle de pensée économique connaît une renaissance: le mercantilisme. La politique économique extérieure des États-Unis, menée par le président Donald Trump, a notamment montré un retour à des stratégies économiques d’inspiration nationaliste, hostiles au libre-échange et à la division internationale du travail. Le mercantilisme est-il vraiment une voie vers la puissance économique – ou seulement un retour à un modèle de pensée dépassé?

Une vieille idée obsolète

Le mercantilisme (du latin «mercari», «faire du commerce») s’est développé en Europe du 16e au 18e siècle comme une réaction politico-économique face à l’émergence des États-nations. Son principal fondateur est Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), ministre français des Finances sous le roi Louis XIV, qui a contribué de manière décisive à trouver de nouvelles sources de financement pour l’État, chroniquement déficitaire. Pour ce faire, Colbert a mis en œuvre les mesures les plus diverses. Le mercantilisme ne peut donc pas être considéré comme une théorie économique cohérente, car son premier objectif est d’éviter les sorties d’argent vers l’étranger.

Plus l’argent afflue dans un pays, mieux c’est. Dans le commerce extérieur, cela signifie qu’un excédent doit être réalisé de manière constante. L’intervention de l’État est alors expressément souhaitée: les exportations sont encouragées par une politique industrielle, les importations sont limitées par des contingents et des droits de douane. L’économie nationale doit fonctionner de manière aussi autonome que possible, sauf pour l’approvisionnement en matières premières. Dans le mercantilisme, le commerce international est considéré comme une lutte concurrentielle entre les États; avec un excédent de la balance commerciale, un pays gagne aux dépens d’un autre.

Le philosophe écossais Adam Smith (1723-1790) a argumenté contre les idées du mercantilisme. Il a soutenu que la richesse d’une nation n’est pas déterminée par la quantité d’argent qu’elle possède, mais que des marchés ouverts et la concurrence conduisent à une plus grande prospérité pour tous. Les citoyens doivent donc être autorisés à commercer selon leur propre intérêt et à produire, vendre et acheter des marchandises à leur guise. Les droits de douane ne conduisent qu’à une réduction du commerce international et pour finir, à moins de richesse.

En effet, si l’on importe des biens qui peuvent être produits à moindre coût à l’étranger, il est possible de libérer des ressources à l’intérieur du pays, ce qui permet de dégager des bénéfices commerciaux plus élevés dans la production nationale d’exportation.

Importations: sous-estimées

Ainsi, les pays se spécialisent dans la production des biens pour lesquels ils disposent d’un avantage comparatif en termes de coûts, c’est-à-dire qu’ils peuvent les produire de manière plus compétitive que les autres. Il en résulte un changement structurel constant, qui peut parfois être douloureux, mais qui conduit en fin de compte à une plus grande prospérité économique.

Alors que l’Europe a déjà largement surmonté le mercantilisme au 19e siècle, le gouvernement américain sous Trump puise volontiers dans la naphtaline politico-économique. Les droits de douane doivent protéger l’industrie nationale, réduire le déficit de la balance commerciale américaine, assainir les finances publiques et renforcer la propre position de négociation vis-à-vis des partenaires commerciaux. Fidèle à l’interprétation mercantiliste, le déficit commercial est interprété comme un indicateur de faiblesse économique. Trump va même jusqu’à dire que le déficit est la preuve de la fraude que les partenaires commerciaux commettent à l’encontre des États-Unis. Cela n’a aucun sens et est diamétralement opposé aux connaissances de l’économie moderne. Un déficit de la balance commerciale peut être l’expression d’une forte demande intérieure ou d’un afflux important de capitaux, par exemple suite à des investissements directs étrangers.

Dans une économie mondiale globalisée, les importations ne sont pas une faiblesse, mais l’expression d’une force. Elles permettent d’accéder à des biens bon marché ou spécialisés, favorisent la compétitivité et élargissent l’offre de consommation. Les entreprises profitent des intrants provenant de l’étranger, qui sont utilisés dans la production et constituent souvent la base d’exportations compétitives. Pour les consommateurs, les importations sont synonymes de prix plus avantageux et d’un plus grand choix de produits. Au plan économique, les importations ne sont pas une «fuite» de la prospérité, mais un instrument efficace pour accroître l’efficacité. Cela dit, le retour aux mesures protectionnistes reste attrayant pour des motifs d’économie politique. Il offre des solutions simples à des problèmes complexes, instaure le contrôle en période d’incertitude et fait appel aux identités nationales. À court terme, les mesures peuvent être vendues politiquement comme un succès: plusieurs entreprises, dont certaines suisses, ont déclaré vouloir investir aux États-Unis. Si les projets ont été concrétisés avant la nouvelle présidence, le timing de l’annonce n’est pas un hasard.

Politique commerciale: l’avenir

À long terme, les droits de douane et autres restrictions à l’importation ne sont pas durables. Elles déclenchent souvent des contre-mesures, affaiblissent les chaînes d’approvisionnement internationales et entraînent une hausse des prix. Les nouveaux mercantilismes oublient que la prospérité n’est pas le fruit d’un isolement, mais d’une intégration. Une politique économique extérieure rationnelle reconnaît les avantages du commerce, mais protège les secteurs vulnérables en garantissant des règles du jeu équitables. Il faut un libre-échange mesuré. Il faut une politique commerciale orientée vers l’avenir, qui considère l’interdépendance mondiale comme une chance et non comme une menace. Dans ce domaine, la Suisse est au moins exemplaire par rapport à la plupart des autres pays.

Patrick DĂĽmmler,

usam

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