Publié le: 9 mai 2025

La règle à mille-feuille et le bon sens

EN CAMPAGNE – Jean-François Leuenberger, boulanger-pâtissier, propriétaire de la boulangerie Chez Jean-Pierre à Courtelary a décidé de s’engager dans la campagne lancée par le commerce de détail, GastroSuisse et l’usam. Pour le plaisir et la liberté de choix. Voici son message adressé à la presse lors de la conférence de lancement du projet.

C’est un ras-le-bol général qu’on aimerait mentionner, et émettre un signal d’alarme au niveau politique.

Je me présente: je m’appelle Jean-François Leuenberger, j’ai 61 ans et je suis boulanger-pâtissier à Courtelary. J’ai repris l’entreprise familiale, Chez Jean-Pierre, le 1er janvier 1989. Cela fait déjà un bail! Une entreprise qui fête ses 155 ans sur quatre générations.

Aujourd’hui, je gère quatre points de vente et j’emploie 22 collaborateurs. Mon activité ne se limite pas à la boulangerie, à la pâtisserie et à la fabrication: nous faisons aussi de la vente dans l’alimentation générale. Auparavant, il y a deux ans de cela, nous avions encore 35 personnes environ, et nous avons remis deux commerces à l’enseigne Volg parce que la surchargeadministrative devenait gentiment insupportable.

Dans les PME que nous défendons aujourd’hui, on doit tout faire soi-même. Ça passe par les RH, les assurances, la production, la vente, le transport, la logistique, et surtout par l’administration. Ces tâches administratives nous submergent peu à peu. On n’arrive bientôt plus à assumer nos obligations.

Je vous donne un exemple. Il y a quelques années, nous avions beaucoup de visites dans nos commerces. Des gens qui venaient nous vendre des choses que nous pouvions revendre en faisant de l’argent au passage. Nous avions des fournisseurs qui nous proposaient de nouvelles matières premières afin de créer de nouveaux produits, de générer du chiffre d’affaires et du bénéfice. Aujourd’hui, j’ai toujours autant de visites.

Ce sont des empêcheurs de tourner en rond qui viennent. Ce sont des inspecteurs, des ingénieurs, des contrôleurs. Il ne s’agit plus du percepteur des impôts qu’on accueillait avec la kalachnikov. Actuellement, ce sont constamment de nouveaux fonctionnaires qui débarquent pour venir nous imposer et nous amender. Ils viennent pour contrôler les poids et mesures, l’hygiène, la sécurité au travail, la liste est interminable et on poursuit dans cette direction. Bientôt, on ne sera plus libre de faire ce qu’on veut. Par exemple, avec le sucre.

J’ai pris un objet avec moi. C’est concrètement une barre à couper les mille-feuilles. Elle est graduée et permet d’en mesurer la longueur. Mon papa est décédé il y a vingt-deux ans. Et il me disait déjà à l’époque: «Tu vois Jean-François dans la vie, il y a 20 centimètres d’obligatoire, 20 centimètres d’interdit et 60 centimètres de bon sens naturel. Tu verras que ce bon sens naturel va fondre comme neige au soleil. Aujourd’hui, je dis la même chose à mes enfants. Vous avez 40 centimètres d’obligatoire, 40 centimètres d’interdit. Et il y a 20 centimètres de bon sens naturel qui va fondre comme les glaciers. À présent, si on ne se bat pas comme on est en train de le faire, on arrivera dans cet état où on ne réfléchira plus. On dira tout simplement: je prends mon cahier des charges et c’est obligatoire ou c’est interdit.

Si je veux inventer une recette, créer un nouveau produit, comment je vais faire? Ça c’est obligatoire, ça c’est interdit. Et on fera tous la même chose. Il n’y aura plus cette liberté de créer. Et je trouve que ce serait un monde terriblement triste.

Pourtant, je crois profondément à la responsabilité individuelle et à la liberté de choix. En tant que boulanger, je défends une consommation responsable – y compris celle des plaisirs sucrés, qui font partie de la vie et de notre culture. Mais aujourd’hui, les autorités veulent de plus en plus nous dicter comment nous devons vivre, consommer et même gérer nos entreprises.

On va nous limiter le sucre dans les pralinés, on nous limite déjà le sel dans le pain. Et on va continuer comme ça. Un bien triste monde à mon avis. C’est pour cette raison que je m’engage dans la campagne «Pas un bébé – contre l’État-nounou». En tant qu’entrepreneur et artisan passionné, je refuse que l’on traite les citoyens comme des enfants à qui il faudrait tout interdire. Ou imposer. Nous devons défendre notre liberté de choisir et d’entreprendre. C’est ce combat que je veux porter. Actuellement, on veut transférer la responsabilité éducative aux écoles, aux écoles professionnelles. Les parents veulent se libérer de cela. Non! On doit revenir à l’éducation, ce qui implique des obligations et des interdictions. Et on n’est plus en mai 1968 dans la génération «peace and love». On doit aujourd’hui fixer des mesures.

On ne va pas faire de polémiques. Il y a certaines religions ou cultures qui interdisent certains produits pour la consommation. Et c’est respecté. Et maintenant, on veut nous interdire tout ce qui est sucré parce que certaines personnes ont trop de poids. Mais finalement: vivre et laisser vivre! C’est avant qu’on doit faire un effort. C’est au niveau des écoles obligatoires. Mais pourquoi ne pas intégrer plus de leçons sur la nutrition? Pourquoi ne pas inciter un peu plus les gens à faire du sport? Manger et éliminer, montrer des exemples forts. C’est là qu’on doit réagir, mais pas nous interdire.

On doit pouvoir garder cette indépendance au niveau des petits commerces, la possibilité de se démarquer des grandes surfaces, du voisin d’en face qu’on appelait un concurrent, et qui est plutôt maintenant un collègue professionnel. Mais quel est le problème? La réponse est simple: les contraintes administratives et les règlementations excessives asphyxient nos métiers de l’artisanat.

La liste des contrôles en matière de denrées alimentaires ne cesse de s’allonger. Chaque année, de nouvelles exigences viennent compliquer notre travail, rendant la production toujours plus bureaucratique et coûteuse. Prenons un exemple concret: un projet de l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV). Cette organisation réclame, entre autres, une réduction du sucre dans les aliments transformés. Il est notamment question de même vouloir interdire certaines publicités. Sur le papier, cela peut sembler être une bonne idée. Mais en réalité, les conséquences sont très lourdes, et ces bonnes intentions ignorent des aspects essentiels.

Imaginez les centaines de millions dépensés en publicité. Tout cet argent finit par rentrer dans l’économie, dans les clubs sportifs, dans la culture. Et on interdirait tout ça parce que les gens mangent trop de sucre!

Pour une boulangerie comme la mienne, cela signifie une atteinte au bon sens et à l’authenticité de nos produits. Nous serions forcés de modifier nos recettes, de remplacer le sucre naturel par des additifs et des édulcorants artificiels. Magnifique! On pourra arrêter de cultiver des betteraves, et planter du blé.

Avec ces additifs, les goût s’en trouveraient altérés, la confiance des clients pourrait être ébranlée, et, à terme, c’est tout l’artisanat qui serait menacé. Cela veut aussi dire une pression accrue des grands distributeurs – ils exigeraient l’utilisation de substituts synthétiques ou de sucre végétal, ce qui entraînerait une hausse des coûts pour nous, les petites entreprises, déjà extrêmement fragilisées.

Ces deux conséquences mettent directement en danger notre métier, notre savoir-faire et notre patrimoine culturel. À terme, ce sont non seulement nos traditions boulangères qui sont en péril, mais aussi des milliers d’emplois dans tout le pays. Cette masse de petits artisans seraient remplacés par quelques petites usines industrielles pour assumer cette production. Et pour obtenir des produits partout identiques, je ne m’en réjouis pas. Et je suis persuadé que nous n’y arriverons pas, grâce à des gens capables de se défendre. Et grâce à la presse qui, je l’espère, diffusera ce message!

Faut-il accepter que l’État nous dicte ce que nous devons manger, ce que nous devons produire, et comment nous devons gérer nos entreprises? Moi, je dis non. C’est pourquoi je m’engage avec conviction dans la campagne «Pas un bébé – contre l’État- nounou». Il est temps de défendre notre liberté, notre artisanat et nos valeurs. En fin de compte, il s’agit d’un thème plus général. On le dit bien en français: les douceurs entretiennent la bonne humeur!

Les douceurs sont associéesau bonheur, au plaisir de manger, au sourire, à la récompense, à la détente! Veut-on priver la population de s’autoriser des petits plaisirs de la vie? Veut-on remplacer cela par des gens aigris et qui auront besoin de plus en plus de rendez-vous chez les psys? Non, moi je préfère faire plaisir et que les gens soient de bonne humeur avec le sourire.

Avec le sucre, c’est comme pour tout, il ne faut pas en abuser et rester raisonnable sur sa consommation. Mais nous n’avons certainement pas besoin de contraintes légiférées pour nous éduquer. Nous sommes tous assez grands, adultes, mûrs, formés et vaccinés pour savoir ce qu’on peut donner à manger à nos gens ou pas. Tout est une question de mesure. Le trop et le trop peu font mauvais jeu.

Il faut arrêter d’infantiliser l’être humain, lui laisser une certaine marge de manœuvre et arrêter de lui mettre des bâtons dans les roues dans les initiatives qu’il veut prendre.

Propos recueillis par

François Othenin-Girard

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