Publié le: 9 mai 2025

Vision court terme en politique sociale

Prévoyance– La réforme du financement de l’AVS a du plomb dans l’aile: en inscrivant dès maintenant le financement du déplafonnement des rentes dans ses propositions, la majorité de la commission (CSSS-E) exprime de facto un soutien politique à cette initiative et en entérine les conséquences financières. Et cela sans attendre le verdict des urnes!

Longtemps salué comme un modèle, le système suisse de prévoyance est aujourd’hui confronté à des défis majeurs. Le vieillissement de la population entraîne une augmentation du taux de dépendance: en 2020, on comptait encore 3,3 actifs pour un retraité. Or, ce ratio pourrait tomber à 2,1 d’ici 2050. Cette évolution fragilise un système AVS fondé sur la répartition: les cotisations des actifs financent directement les rentes.

D’autres pays ont réagi: l’Allemagne ou les Pays-Bas ont relevé l’âge de la retraite. La Suisse, elle, accumule les promesses non financées. Et malgré les avertissements répétés, les réformes structurelles se font toujours attendre.

Effets de la 13e rente

Dans ce contexte, l’acceptation de l’initiative populaire pour une 13e rente AVS en mars 2024, dont la mise en œuvre avec le premier versement de rente interviendra en décembre 2026, entraînera selon les dernières projections une dépense supplémentaire estimée à 4,2 milliards de francs par an dès 2026, 4,6 milliards de francs en 2030 et plus de 5,2 milliards de francs en 2036. Rappelons que la démographie agit elle aussi sur la 13e rente.

Le Conseil fédéral propose d’y faire face par une hausse de la TVA de 0,7 point, ce qui porterait le taux normal de 8,1% à 8,8%. Or, cette hausse de TVA ne suffit pas à financer la 13e rente, et un solde négatif vient s’ajouter au déficit prévu de l’AVS.

Le transfert proposé ne supprime pas l’augmentation du coût du travail: il la dissimule

Parallèlement, l’initiative du Centre visant à supprimer le plafonnement des rentes AVS pour les couples mariés, sans toucher aux avantages dont bénéficient ces derniers, est en cours de discussion. Cette mesure coûterait environ 3,6 milliards de francs supplémentaires par an d’ici 2030 et plus de 4 milliards en 2036. Le Conseil fédéral recommande de rejeter cette initiative, soulignant à juste titre qu’elle n’est ni ciblée ni financée.

Les faire cracher au bassinet

L’on parle donc d’une augmentation des dépenses de l’AVS de près de 8,2 milliards de francs en 2030 et plus de 9 milliards en 2036! Et ce, rappelons-le, alors que l’AVS nécessite de base un important assainissement structurel dès 2030 pour accompagner le départ à la retraite des baby-boomers et l’allongement de la durée de vie.

Avant même qu’un projet global de réforme soit sur la table, une partie du Parlement envisage de faire cracher au bassinet d’abord la population active et les entreprises pour financer cette extension spectaculaire des dépenses de l’AVS.

Le projet de la CSSS-E

Lors de sa séance du 4 avril 2025, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique des États (CSSS-E) a adopté un ensemble de mesures particulièrement préoccupantes. Ce paquet vise à financer simultanément la 13e rente AVS, dont l’entrée en vigueur est prévue dès 2026, ainsi que l’initiative du Centre en faveur du déplafonnement des rentes des couples mariés. Alors même que cette dernière n’a pas encore été soumise à la votation populaire. Pour couvrir ces engagements, la commission propose une augmentation totale de jusqu’à 0,8 point de pourcentage des cotisations salariales et de 1 point de TVA. Le projet prévoit aussi d’abaisser le niveau minimal du fonds AVS de 100% à 80% des dépenses annuelles. Afin d’adoucir l’impact de ces hausses, la CSSS-E envisage une réduction de 0,2 point du taux de cotisation à l’assurance-chômage – une manœuvre d’apparence compensatoire, qui ne change rien à la réalité: le coût du travail augmentera.

Ces propositions sont problématiques à plusieurs égards. Notons d’emblée qu’en inscrivant dès maintenant le financement du déplafonnement des rentes dans ses propositions, la majorité de la commission exprime de facto un soutien politique à cette initiative et en entérine les conséquences financières, sans attendre le verdict des urnes.

Cotisations salariales: le risque

Une augmentation des cotisations salariales de 0,4 point de pourcentage en 2028 puis 0,4 point supplémentaire probablement en 2036 pour financer à la fois la 13e rente AVS et l’initiative du Centre sur le déplafonnement des rentes des couples mariés aura mécaniquement pour conséquence d’alourdir une fois de plus la charge qui pèse sur les entreprises et les actifs. Cette logique de financement par le travail atteint aujourd’hui ses limites. Dans un contexte économique tendu, marqué par un ralentissement conjoncturel, une règlementation de plus en plus pesante et des incertitudes géopolitiques persistantes, il serait irresponsable d’alourdir davantage le coût du travail. Les entreprises suisses (et tout particulièrement les PME) sont déjà confrontées à un environnement de plus en plus exigeant. Chaque hausse des charges sociales grève davantage la capacité d’investissement, d’innovation et d’embauche des entreprises. À terme, c’est la compétitivité de notre économie, et donc l’emploi, qui est menacée.

La situation est d’autant plus préoccupante que la Suisse fait face à une pénurie structurelle de main-d’œuvre qualifiée, autre versant du défi démographique. L’augmentation des cotisations, en renchérissant le coût de l’emploi, risque d’aggraver encore les conséquences de cette pénurie, en freinant la création de postes et en rendant les recrutements plus difficiles.

Baisse des cotisations AC: rien de plus qu’une astuce!

La commission prétend limiter la hausse des cotisations AVS de 0,4 point de pourcentage en 2028 en y associant la baisse de celles de l’assurance-chômage de 0,2 point (de 2,2% à 2,0%). Il s’agit d’un tour de passe-passe comptable. Les assurances sociales n’ont ni les mêmes objectifs, ni les mêmes logiques économiques.

L’assurance-chômage pourrait rapidement être sous pression si la conjoncture se détériore – or, les perspectives sont incertaines, notamment à cause des tensions commerciales globales.

Utiliser les excédents temporaires de l’AC pour compenser des dépenses structurelles de l’AVS, c’est jouer avec la stabilité du système. Le transfert proposé ne supprime pas l’augmentation du coût du travail: il la dissimule!

Un fonds: la fausse bonne idée

La réduction du niveau minimal du fonds AVS à 80% peut, dans certains cas, se justifier comme mesure transitoire. Dans une phase de transition démographique rapide ayant pour effet une forte augmentation des dépenses de l’AVS, un tel ajustement peut être soutenu en principe. En effet, maintenir le seuil actuel de 100% signifie que chaque franc de dépense supplémentaire doit être immédiatement couvert par une augmentation équivalente du fonds. Cette règle accroît automatiquement la pression sur les actifs et les entreprises, principaux contributeurs du système.

Il n’est toutefois pas acceptable de vouloir puiser dans le fonds AVS pour financer des prestations supplémentaires ou pour repousser une réforme structurelle devenue inévitable. Cette réserve financière n’a pas vocation à compenser l’absence de courage politique. Il faudrait de plus définir clairement comment est calculé l’état du fonds AVS, ce que ne précise pas la Commission dans son projet. Officiellement, le fonds couvrira encore 100% des dépenses en 2026. Mais en réalité, cette couverture ne sera que de 83%, en raison d’un «prêt» de 10 milliards de francs à l’assurance-invalidité – prêt sans véritable perspective de remboursement, compte tenu de la situation et des perspectives financières très mauvaises de l’AI.

Plus préoccupant encore, le projet de la CSSS-E prévoit une hausse automatique des cotisations salariales de 0,4 point de pourcentage dès que le niveau du fonds passe sous les 80% des dépenses annuelles. Une telle rigidité est problématique. D’autres mesures doivent pouvoir être envisagées, notamment le relèvement progressif de l’âge de la retraite, déjà mis en œuvre dans de nombreux pays confrontés à une évolution démographique similaire. Dans les faits, la hausse des cotisations salariales est déjà programmée et intégrée dans les projections financières dès 2036.

Conclusion

Si l’on combine la 13e rente AVS et le déplafonnement des rentes pour les couples mariés, le coût supplémentaire pour l’AVS atteindrait plus de 8 milliards de francs par an d’ici 2030. Et cela alors même que le système affiche déjà un déficit structurel de 3 à 5 milliards par an à partir de la fin de cette décennie, sans tenir compte de ces nouvelles charges. Dans ce contexte, étendre encore les prestations en soutenant l’initiative pour le déplafonnement des rentes de couple, alors que ceux-ci bénéficient déjà d’avantages financiers importants – est irresponsable.

Les propositions actuelles, portées notamment par la CSSS-E, illustrent une logique politique de court terme: elles enchaînent l’AVS à une spirale de dépenses croissantes, sans tenir compte des capacités réelles de financement. Le recours à des financements partiels et successifs ne constitue pas une stratégie de prévoyance, mais affaiblit la crédibilité et la stabilité du système. Il faut rejeter cette approche fragmentée.

La priorité doit être clairement affirmée: il s’agit d’assainir l’AVS, pour garantir les prestations existantes sur le long terme, de manière équitable pour les jeunes générations et soutenable pour notre économie. Cela nécessite une réforme globale, menée avec cohérence et responsabilité.

Toute augmentation des ressources devra impérativement être couplée à des mesures d’économies ciblées et à une réévaluation raisonnée des prestations, afin de limiter la charge pesant sur les entreprises et la population active – en particulier dans une conjoncture déjà tendue.

Une réforme structurelle et durable de l’AVS est indispensable. Elle doit tenir compte des réalités démographiques et s’inscrire dans un cadre économique propice à l’activité, à l’innovation et à l’emploi. Des pistes comme le relèvement progressif de l’âge de la retraite doivent pouvoir être discutées sans tabou.

Le Conseil fédéral s’est engagé à présenter une réforme en 2026. Ce rendez-vous devra marquer un tournant, en ouvrant un débat de fond s’appuyant sur une vision à long terme de notre système de prévoyance. Il en va de la pérennité de l’AVS, mais aussi de la prospérité et de la cohésion sociale du pays.

Simon Schnyder, usam

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