L’incertitude liée au conflit commercial avec les États-Unis inquiète. Pour y faire face, le Conseil fédéral a adopté un projet de mandat de négociation visant à restaurer des relations économiques saines avec notre deuxième partenaire commercial après l’UE. Ce mandat a été validé par les commissions parlementaires.
Depuis avril, de nombreuses exportations suisses sont soumises à des surtaxes douanières de 10%, et jusqu’à 25% pour certains produits. C’est heureusement moins que les 32% annoncés initialement, mais cela reste très problématique. Cette décision unilatérale de Washington s’inscrit dans une politique plus large de protection économique. La Suisse, pays ouvert, innovant et tourné vers l’exportation, ne peut pas rester passive. Mais réagir ne signifie pas s’affronter. Le Conseil fédéral fait le choix du dialogue direct, de la recherche de solutions concrètes. Contrairement à ce que certains laissent entendre, à gauche, il ne s’agit pas de céder, encore moins de s’aplatir. Il s’agit de défendre nos intérêts par le dialogue et la diplomatie (ce que ces mêmes personnes appellent en général de leurs vœux dans d’autres conflits).
C’est un choix réfléchi et raisonnable. Pour de nombreuses entreprises suisses, le marché américain représente une part importante, parfois essentielle, de leur chiffre d’affaires. Sur place, aux États-Unis, de nombreuses sociétés suisses sont également très actives. Leurs filiales soutiennent directement près d’un demi-million d’emplois. On estime les investissements directs cumulés suisses aux USA à près de 350 milliards de dollars. La Suisse, pays de 9 millions d’habitants, est rien de moins que le 6e investisseur étranger aux États-Unis! Ces liens sont forts, productifs, et bénéfiques aux deux économies. Dans ce contexte, la Suisse a tout intérêt à maintenir un accès stable et équitable à ce marché. C’est ce que vise le mandat de négociation: restaurer des conditions de commerce justes, mais aussi ouvrir la voie à de nouvelles formes de coopération, plus larges que la seule question des droits de douane. Le mandat évoque aussi une déclaration d’intention conjointe, attendue depuis longtemps, qui pourrait baliser le terrain pour de futurs accords.
Certaines voix s’élèvent pour critiquer cette ouverture, surtout dans un contexte marqué par le style imprévisible du président Trump. Mais ce serait une erreur que de couper les ponts. Au contraire, c’est précisément avec une administration difficile à lire que le contact direct, le dialogue, est indispensable. Le Conseil fédéral le sait. Il soigne la relation personnelle, tout en préparant des arguments solides. Il montre ce que la Suisse fait déjà , ce qu’elle peut offrir, et ce qu’elle attend en retour. Ce travail est mené en grande partie de façon discrète, mais efficace. Le ministre des affaires étrangères, Ignazio Cassis, coordonne les travaux. Le tandem de la présidente et ministre des finances Karin Keller-Sutter et du ministre de l’économie Guy Parmelin agit avec cohérence et pragmatisme. L’exploit de faire se réunir à Genève négociateurs chinois et américains – et de rencontrer les deux délégations bilatéralement – a été un coup de maître. L’objectif est clair, éviter une détérioration durable des échanges, protéger nos entreprises, et faire en sorte que l’économie suisse reste résiliente.
Bien sûr nous devons faire cela sans nous couper du partenaire essentiel qu’est l’Union européenne qui a une ligne de conduite différente avec les USA. Une coordination à ce propos est nécessaire, elle est en place. Dans une économie aussi ouverte que la nôtre, la stabilité des grands partenariats est essentielle. Nos trois principaux marchés extérieurs sont l’Union européenne (env. 50% des exportations), les États-Unis (15%), et la Chine (10%). Et la Suisse a signé et prépare plusieurs autres accords de libre-échange avec des marchés aussi vastes et prometteurs que l’Inde, plusieurs autres pays d’Asie ou d’Amérique du Sud. Cette diversification est une force. Mais elle suppose aussi une vigilance constante. Si l’un de ces marchés rencontre des turbulences, politiques, économiques ou réglementaires, la Suisse doit être capable de réagir. C’est ce que fait le Conseil fédéral. Un dialogue rétabli, même progressif, peut ouvrir de nouvelles portes. Le succès n’est pas assuré. Mais il est nécessaire de le tenter.
Enfin la Suisse n’est pas là pour expliquer aux États-Unis comment gérer leur politique. La Suisse peut dialoguer à ce sujet. Elle le fait. Elle peut expliquer ses divergences, il y en a, et ses convergences, qui restent nombreuses. Et bien sûr, elle doit défendre ses intérêts. Nous le faisons aussi au niveau parlementaire: avec plusieurs collègues, j’ai l’occasion, dans mon rôle de président de l’Association parlementaire Suisse-USA, d’entretenir un dialogue régulier des membres du Congrès («Friends of Switzerland»). Des rencontres ont eu lieu ce printemps, d’autres sont prévues cet été à Genève, puis à l’automne à Washington.
Quoi de plus légitime que de défendre sa vision et ses intérêts? La Suisse le fait avec ses outils, sa diplomatie, sa discrétion, son indépendance, sa force économique. Et au besoin, le Conseil fédéral est prêt à durcir le ton, si le dialogue constructif ne fonctionne pas. Cette approche est raisonnable. Elle mérite d’être soutenue.
*Conseiller national (PLR/NE), président de l’UNAM
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