Publié le: 4 juillet 2025

«Il faut que cela cesse!»

URS FURRER – «L’engagement de l’AEnEC est très important pour l’éco­no­mie», déclare le directeur de l’usam. Mais l’administration veut la prendre sous son aile. Dernier cas flagrant: l’ordonnance sur le CO2. Le Parlement porte une grande part de res­pon­sa­bilité dans cet état de fait.

JAM: L’Agence de l’énergie pour l’économie (AEnEC) est un bel exemple de réussite, comme le montre son bilan pour 2024 (encadré). À quoi cela tient-il?

Urs Furrer: Depuis 2001, l’AEnEC accompagne des entreprises de tous les secteurs dans la mise en œuvre de mesures visant à améliorer l’efficacité énergétique et l’utilisation des ressources, ainsi qu’à réduire les émissions de CO2. Après plus de deux décennies de partenariat, l’agence et ses conseillers en énergie jouissent d’une grande confiance. Ses conseillers ont réussi à motiver les entreprises à prendre des mesures qui, au final, profitent à l’environnement. Ceci malgré les investissements parfois élevés que cela impliquait pour certaines d’entre elles. L’engagement de l’AEnEC est extrêmement important pour l’économie et l’industrie.

En concluant un accord sur les objectifs avec l’AEnEC, les entreprises peuvent être exemptées de la taxe sur le CO2. Le Contrôle fédéral des finances (CDF) qualifie ce résultat de «décevant». En tant que vice-président de l’AEnEC, qu’en pensez-vous?

Dans son rapport publié début 2024, le CDF indiquait en effet que les entreprises exemptées avaient réduit leurs émissions de 19% en moyenne entre 2013 et 2020. Ce résultat correspondrait à la performance globale de l’économie. Mais la comparaison est erronée, car elle ne tient pas compte des nombreuses fermetures d’entreprises. Si on le faisait, les économies réalisées par les entreprises exemptées seraient bien plus importantes que celles du reste de l’économie.

L’administration fédérale souhaite-t-elle de plus en plus prendre l’AEnEC sous son aile?

Plusieurs exemples le montrent, en particulier dans le système de convention d’objectifs considérablement renforcé cette année par la nouvelle règlementation sur le CO2. Concrètement, la règlementation impose désormais une réduction annuelle de 2,25%. Cette exigence est extrêmement rigide et n’est pas adaptée au rythme des différentes entreprises et des différents secteurs.Ces durcissements entraînent des coûts supplémentaires considérables pour les entreprises. Ils réduisent l’utilité d’un accord sur les objectifs qui s’étend généralement sur plusieurs années. Et ils augmentent le risque de ne pas atteindre les objectifs. Donc de se voir infliger des sanctions. Certaines entreprises ne concluent plus de conventions d’objectifs: elles délocalisent leurs processus énergivores à l’étranger. On parle alors de fuite de carbone. Ou alors elles économisent les investissements et les coûts liés à une convention d’objectifs et paient simplement la taxe sur le CO2. Mentionnons que la taxe suisse est la plus élevée au monde, avec 120 francs à débourser par tonne de CO2.

On parle bien de la nouvelle règlementation sur le CO2 entrée en vigueur en avril dernier?

Exactement. Elle l’a été avec effet rétroactif au début de l’année 2025, ce qui est simplement scandaleux. De manière générale, le fait que le Parlement utilise de plus en plus de formulations facultatives dans les lois nous pose un gros problème. Il faut que cela cesse!

«Je considère que l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050 est illusoire.»

Ces formulations facultatives transfèrent la compétence au Conseil fédéral et donc à l’administration. Ce faisant, cette dernière devient toujours plus puissante et règlemente de manière excessive, en particulier dans le domaine des ordonnances. Au détriment des PME et finalement de nous tous.

Pourquoi une solution issue du secteur économique et destinée à ce dernier, comme celle proposée par l’AEnEC, est-elle préférable à un modèle étatique?

L’État ne doit intervenir qu’à titre subsidiaire, lorsque les solutions privées échouent ou en cas d’échec du marché. Sinon, il doit jouer la retenue. Organisme de mise en œuvre indépendant, l’AEnEC élabore avec les entreprises la solution qui convient à chacune d’entre elles. Elle connaît parfaitement les défis auxquels les PME sont confrontées et agit avec elles sur un pied d’égalité. En revanche, l’État met tout le monde dans le même panier, fonctionne avec lenteur, se montre autoritaire et bureaucratique, le fouet à la main.

Quels sont les autres défis dans le domaine de l’énergie et de l’environnement?

Il y en a tellement, à commencer par les règlementations et les décisions administratives, toujours plus nombreuses, y compris de la part de l’UE. Je pense aux obligations massives de documentation et de reporting que nous subissons sous le couvert de la «durabilité». L’administration veut exercer une influence toujours plus grande. Une enquête menée par l’AEnEC auprès des entreprises a révélé que les coûts d’investissement, les prix de l’énergie et des matières premières, les règlementations et en particulier l’objectif de zéro émission nette sont autant de défis.

La Suisse s’est fixé comme objectif contraignant d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Est-ce vraiment réaliste?

Souhaitez-vous connaître mon avis personnel?

Très volontiers.

Je considère que l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050 est illusoire. Pour parvenir à un approvisionnement énergétique totalement exempt de combustibles fossiles, nous avons besoin de beaucoup plus d’électricité, notamment en raison de nouvelles technologies gourmandes en énergie comme l’intelligence artificielle. Or, actuellement, nous ne savons tout simplement pas d’où proviendra cette électricité. Les énergies renouvelables comme le solaire et l’éolien sont instables, ne produisent pas d’énergie fiable en continu, en particulier pour l’industrie. Elles se heurtent souvent à des objections et à des blocages. Même le développement de l’énergie hydraulique est paralysé par les plaintes des associations environnementales de gauche et écologiques.

Pour ne pas compromettre totalement la sécurité d’approvisionnement, le Conseil fédéral doit désormais construire cinq centrales à gaz supplémentaires. C’est le résultat d’une politique énergétique idéologique erronée qui doit être corrigée.

Vous faites sans doute référence à la sortie du nucléaire, que vous aviez déjà qualifiée d’erreur en janvier lors de la conférence d’hiver de l’usam à Klosters.

Exactement. Nous avons besoin d’un approvisionnement fiable et abordable en électricité à faible teneur en CO2. Et pour atteindre l’objectif de neutralité carbone, la Suisse doit pouvoir recourir à toutes les technologies disponibles, y compris l’énergie nucléaire. Nous devons empêcher la désindustrialisation et prendre soin de notre industrie. Il faut noter que les dernières étapes vers le zéro net doivent inclure l’ensemble des chaînes d’approvisionnement appelées émissions de scope 3 (toutes les émissions indirectes liées à l’activité d’une entreprise, ni produites par l’entreprise elle-même ni par l’énergie qu’elle achète, ndlr). Elles sont très difficiles, voire impossibles à mettre en œuvre. Il faut garder le sens des proportions.

Un accord sur l’électricité fait partie du paquet entre la Suisse et l’UE. Le Conseil fédéral estime que la majorité des cantons n’est pas nécessaire pour le paquet d’accords avec l’UE. Quelle est votre position à ce sujet?

L’usam mènera un large processus de consultation sur le paquet d’accords auprès de ses quelque 230 associations professionnelles et cantonales. Il est nécessaire que la décision sur le projet bénéficie d’un large soutien au sein de l’économie, mais aussi parmi la population et dans les régions. Voilà qui répond à la question. Personnellement, je suis favorable à la majorité des cantons.

L’initiative des Jeunes socialistes veut imposer à 50% les héritages supérieurs à 50 millions et affecter ces fonds à la protection du climat. Qu’en pensez-vous?

Cette initiative d’expropriation est extrêmement dangereuse et doit être rejetée dans les urnes. Elle vise un changement radical de système vers l’éco-socialisme et constitue une attaque totale contre les familles d’entrepreneurs suisses qui ont investi leur capital dans leurs entreprises et qui risquent d’être expropriées. Si elle est acceptée, la prospérité de la Suisse ira à vau-l’eau, y compris l’État social. Ce sont finalement les entreprises et la classe moyenne qui en feront les frais, c’est-à-dire nous tous.

Communiqué de presse «Un mix énergétique ouvert à toutes les technologies: l'énergie nucléaire reste essentielle pour les PME suisses» (site Internet de l'usam)

Interview: Rolf Hug

PERFORMANCE DE L’AENEC EN 2024

Environ 1,2 million de tonnes de CO2 éco­no­misées

L’Agence de l’énergie pour l’économie (AEnEC) a récemment présenté son bilan 2024. Ce dernier montre que les quelque 4700 entreprises affiliées ont réduit leurs émissions de CO2 bien plus que prévu au cours de la période couverte par la convention d’objectifs.L’an dernier, les entreprises ayant conclu un accord sur les objectifs ont pu économiser environ 857’000 tonnes de CO2 grâce aux mesures mises en œuvre depuis 2013. De plus, des mesures volontaires prises dans le cadre du programme de transport ont permis de réduire les émissions de carburants d’environ 347’000 tonnes de CO2. Au total, les entreprises ont économisé environ 5,2 millions de mégawattheures (MWh) d’énergie, dont environ 2,2 millions de MWh d’électricité. Sur les 1,2 million de tonnes de CO2 évitées, environ 900’000 tonnes proviennent des combustibles. Cela correspond à une réduction de plus de 21%. Les objectifs convenus ont été dépassés.

www.enaw.ch/fr

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