Publié le: 4 juillet 2025

Plaidoyer pour la climatisation

Il est des combats absurdes qu’on mène avec le zèle des nouveaux convertis. Celui contre la climatisation figure en bonne place dans le palmarès helvétique et européen des politiques publiques qui conjuguent la posture à la pénitence. De plus en plus de cantons en viennent à restreindre drastiquement, voire interdire, l’installation de systèmes de climatisation dans les logements, les écoles, les bâtiments administratifs. Et pourquoi? Parce qu’il faut bien, paraît-il, «faire quelque chose» pour sauver la planète. Même si ce «quelque chose» n’a aucun sens.

Le procès fait à la climatisation est typique de notre époque: une croisade morale plutôt qu’un raisonnement rationnel. Ce n’est pas tant que la climatisation pollue. En Suisse, elle fonctionne à l’électricité propre, largement produite par l’hydraulique, le nucléaire ou le solaire. Non, le problème est ailleurs: il faut souffrir. Souffrir pour expier les fautes du progrès. Souffrir pour comprendre ce qu’est le réchauffement climatique. Souffrir parce que, voyez-vous, c’est suspect d’être à l’aise en été.

Ce discours quasi religieux – calviniste, osons le mot – ne vise pas à améliorer les choses, mais à imposer une vertu austère: il ne faut pas tant résoudre le problème que le ressentir, dans la chair. Tant pis si les hôpitaux débordent de personnes âgées déshydratées ou si la productivité s’effondre dans des bureaux transformés en serres tropicales. Le dogme veut que la chaleur soit sentie. L’inconfort devient vertu civique.

Et pourtant, s’il est une réponse pertinente, raisonnable, efficace et humaine au réchauffement climatique, c’est précisément la climatisation. Parce que les canicules tuent. Elles affectent les plus faibles, les malades, les travailleurs, les enfants, les personnes âgées. Elles épuisent les organismes, font exploser les hospitalisations, réduisent les capacités de concentration et de travail. Elles sont, en somme, les équivalents estivaux des vagues de froid d’autrefois. Face à cela, faut-il vraiment interdire l’équivalent fonctionnel du chauffage?

D’autant que les conditions techniques plaident en faveur de la climatisation. On l’utilise en été, au moment même où l’électricité est la plus abondante. Le soleil brille, les barrages sont pleins, les panneaux photovoltaïques saturent. Il arrive même que le prix de l’électricité devienne négatif: on doit alors… la détruire. Oui, en plein mois de juillet, des kilowattheures produits à grands frais et à grands efforts par nos installations renouvelables sont tout bonnement évacués, faute d’utilisateurs. Mais brancher une climatisation serait une hérésie énergétique?

On nous parle sans arrêt d’adaptation au changement climatique. Très bien. Mais pourquoi alors refuser l’un des seuls moyens concrets, éprouvés, largement accessibles, pour s’adapter à la hausse des températures? On a su, au fil des siècles, installer des égouts, de l’eau courante, de l’électricité, du chauffage central. Mais aujourd’hui, on devrait se priver d’un confort élémentaire, pour des raisons symboliques?

L’interdiction de la climatisation illustre ce paradoxe moderne: la technique existe, elle est accessible, elle est utile, elle est souvent peu polluante – mais elle est mal vue. Elle contredit le nouveau catéchisme écologique selon lequel tout ce qui rend la vie plus agréable serait moralement douteux. Il ne faut pas aller mieux, il faut aller pur. Peu importe les conséquences.

Et pourtant, dans le reste du monde, le bon sens n’a pas déserté. L’Asie du Sud se couvre de climatiseurs. L’Amérique latine les banalise. Même l’Afrique, malgré ses défis économiques, comprend que la lutte contre la chaleur est une priorité sanitaire, sociale, économique. Ce n’est pas un luxe de bobos occidentaux, c’est une question de survie.

Soyons clairs: personne ne plaide pour des tours de bureaux glacées à 18 degrés pendant tout l’été. Il ne s’agit pas de gaspiller, mais de vivre décemment. De permettre aux gens de dormir, de travailler, d’enseigner, de soigner, sans fondre comme neige au soleil. De faire face aux épisodes caniculaires qui, selon tous les modèles climatiques, vont devenir plus fréquents, plus intenses, plus longs.

À ceux qui prêchent l’interdiction de la climatisation, je pose une question simple: proposez-vous aussi d’interdire le chauffage en hiver? Il consomme bien plus d’énergie. Et lui, il fonctionne souvent encore aux énergies fossiles. Mais là, curieusement, personne ne prône le col roulé. En revanche, quand il fait 38 degrés à l’ombre, on vous expliquera doctement qu’il faut faire montre de capacité d’adaptation.

Il est temps de sortir de cette posture absurde. Il est temps de revaloriser l’intelligence technique, l’adaptation pragmatique, l’humanité concrète. Et de reconnaître que le confort, la santé, la productivité ne sont pas des obscénités. La climatisation n’est pas un caprice: c’est un outil, un progrès, une nécessité.

*Conseiller national (PLR/VS)

philippe.nantermod@parl.ch

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