JAM: Jean-Pierre Morand, vous avez émis l’idée d’utiliser la structure de Cautionnement romand (CR) pour régler les problèmes de succession et de transmission d’entreprises, ce qui semble assez nouveau dans le paysage. Cette possibilité est-elle connue dans le microcosme?
Jean-Pierre Morand: Ce n’est pas «mon» idée, mais ce qui me frappe, et c’est un sentiment partagé au sein de notre conseil, c’est que l’intérêt du cautionnement que nous proposons – et qui va au-delà de son utilité en matière de transmission – n’est effectivement pas assez connu, voire compris. C’est un problème auquel nous souhaiterions mieux répondre. Nous disposons d’un outil bien développé et efficace qui devrait avoir une place établie comme l’un des outils de référence de l’arsenal du financement des PME. Il est adapté à des situations où il existe des fonds propres limités et où les fonds étrangers «classiques» ne suffisent pas à répondre aux besoins. Le cautionnement peut alors permettre de boucler un financement qui, sans lui, ne pourrait aboutir.
En plus, il faut souligner que le cautionnement est délivré avec des engagements de garantie personnelle de l’entrepreneur en règle générale de seulement 50%, ce qui est souvent ressenti comme une charge. En réalité et bien au contraire, cela correspond effectivement à une participation de CR au risque de l’entreprise si les choses tournent mal. C’est tout de même assez remarquable, mais c’est un aspect qui n’est pas du tout compris.
Si les entrepreneurs engagés dans des PME étaient plus conscients et mieux informés de la fonction et de la contribution que peut apporter le cautionnement au financement, nous pensons qu’ils envisageraient plus souvent d’y avoir recours.
À quel moment les PME peuvent-elles s’adresser à Cautionnement romand?
Il y a de nombreuses situations dans lesquelles les banques formulent des exigences de fonds propres que les entrepreneurs peuvent avoir des difficultés à remplir par leurs propres moyens. La palette des situations où nous intervenons est large, qu’il s’agisse de la création d’une entreprise, de financer des investissements, d’une reprise, d’une acquisition ou d’une transmission.
S’agissant de transmission, de nombreux entrepreneurs arrivent actuellement à la retraite et doivent régler un problème de succession ou transmettre l’entreprise à des héritiers ou des employés de longue date qui n’ont cependant pas suffisamment de fonds propres. Nous pouvons ainsi aider un repreneur issu de la famille ou de l’entreprise et lui permettre de dégager des fonds afin de payer l’entrepreneur sortant ou de dédommager d’autres héritiers ne souhaitant pas rester à bord.
Au cœur du problème figure la notion de risque assumé par l’entrepreneur: à quoi sert le cautionnement?
Le risque de l’entrepreneur concerne les fonds propres, mais aussi fréquemment des garanties qu’il doit souvent donner en relation avec les fonds étrangers. En cas d’échec, l’entrepreneur perd ses fonds propres et est exposé en plus au travers des garanties personnelles qu’il a dû donner en relation avec les fonds étrangers.
«NOUS POUVONS AIDER UN REPRENEUR À DÉDOMMAGER D’AUTRES HÉRITIERs NE SOUHAITANT PAS RESTER À BORD.»
La banque, pour sa part, prend un risque en prêtant des fonds, évidemment si le crédit est «blanco», mais aussi en cas de garanties personnelles souvent difficiles à exécuter. Or, en cas de cautionnement octroyé par Cautionnement romand, ce risque disparaît pour la banque, puisqu’il est assumé en première ligne par nos services. La banque est totalement couverte. Le système est efficace, car sur simple demande, le montant dû est réglé par CR. De son côté, l’entrepreneur n’assumera qu’un risque réduit à 50% par rapport au crédit cautionné. En ne demandant pas d’arrière-caution complète, Cautionnement romand prend une part du risque. En bref, si le projet échoue, l’entrepreneur voit son exposition réduite. Sans le cautionnement, il aurait souvent été amené à fournir plus de fonds propres ou à garantir personnellement à hauteur de l’entier du crédit. Une caution de CR permet donc à la banque de limiter son risque et de l’annuler sur la part cautionnée. Pour l’entrepreneur, c’est le principe de l’accès au crédit qui est d’abord en jeu. Le cautionnement lui donne accès à un financement qu’il n’aurait pas obtenu sinon. Et en plus, CR participe à son risque en cas d’échec.
Quelle est la solidité de la garantie offerte par Cautionnement Romand?
Un cautionnement représente en fait une garantie de tout premier rang: 65% de cette dernière sont directement pris en charge par la Confédération et 35% par nos fonds propres. Ces derniers sont pour le moins solides, car ils se montent actuellement à 30 millions de francs. Notre taux de perte est actuellement inférieur à l’objectif de 5% que nous fixe la Confédération. Cela démontre aussi que nous n’accordons pas de cautionnement de manière inconsidérée. Il appartient à l’entrepreneur de démontrer la plausibilité de son projet. Elle est d’abord vérifiée par la banque et ensuite par nos antennes qui, pour les dossiers au-dessus dépassant 200’000 francs, doivent encore faire valider l’octroi et ses conditions par le Conseil d’administration de CR.
Le rôle accordé à CR lors des prêts Covid durant la pandémie vous a offert une grande visibilité. En avez-vous tiré profit?
Ce qui s’est passé, c’est que nous avons mis notre logiciel de gestion à disposition pour distribuer les 117’000 prêts Covid. Le cautionnement par les quatre caisses de cautionnement a été l’outil par lequel la Confédération a donné sa garantie aux banques qui ont fourni les prêts. Les caisses de cautionnement sont ainsi devenues le rouage essentiel de la mise en œuvre administrative de ces prêts tout à fait particuliers. Au moment de l’octroi, cela avait évidemment plutôt un effet positif pour la notoriété de Cautionnement romand et des trois autres caisses. L’effet a été cependant un peu moins positif lorsqu’il s’est agi de poursuivre ceux qui n’ont pas forcément respecté les conditions liées aux prêts Covid.
Avons-nous profité de cette situation exceptionnelle et des contacts établis dans ce cadre pour expliquer ce que nous pouvions faire pour aider entreprises et entrepreneurs dans le cadre de notre activité régulière? Je n’en suis pas certain. Les temps troublés ne s’y prêtaient peut-être pas totalement non plus.
Quelle sera dès lors votre stratégie?
Nous voulons nous efforcer de dégager un discours clair sur ce que nous sommes et ce que nous offrons. C’est un dossier sur lequel nous travaillons actuellement.
Le problème ne réside-t-il pas dans la complexité des démarches avant d’obtenir un cautionnement, surtout quand le temps presse?
Si c’est compliqué de demander à un entrepreneur de présenter son projet d’entreprise et d’en expliquer la plausibilité, je dirais que cette complexité est nécessaire et positive. De toute façon, cela doit être fait pour obtenir le crédit bancaire que l’on souhaite voir cautionner.
«EN 2022, LA LIMITE DU CAUTIONNEMENT A ÉTÉ RELEVÉE DE 500’000 À un MILLION DE FRANCS.»
Je le vois donc comme une exigence utile et positive. Fournir des chiffres qui doivent exister et un business plan plausible, n’est-ce pas ce qu’un entrepreneur doit faire de toute manière, ne serait-ce que pour vérifier que son projet a du sens économiquement? J’ajouterais que les interlocuteurs de CR qui sont sur le terrain sont proches des demandeurs. Notre structure est décentralisée au travers de nos antennes établies dans chacun des cinq cantons. Et dans les cas, finalement peu nombreux, où un dossier est rejeté, il faudrait plutôt partir de l’idée que le rejet est un service que nous rendons. Il évite à l’entrepreneur de perdre le peu de fonds propres qu’il aurait mis lui-même et d’être exposé à devoir couvrir les pertes d’un projet peu solide. Les demandes que nous acceptons montrent que nous validons des projets qui normalement marchent.
N’est-ce pas beaucoup de travail?
En 2022, la limite du cautionnement a été relevée de 500’000 à 1 million de francs. Je trouve que d’obtenir l’accès à des fonds jusqu’à un million, cela justifie tout de même le travail que requiert une demande. Je pense que ce travail n’est pas perdu et qu’il représente en fait un exercice pratiquement obligé. Enfin, si un entrepreneur peut réaliser ses projets en utilisant d’autres sources de financement «plus simples», si la banque lui prête ce dont il a besoin «sur sa seule bonne mine» ou s’il a suffisamment de fonds propres ou de garanties personnelles à offrir, nous ne pouvons que nous en réjouir. Je pense que ce n’est pas toujours le cas et que les besoins de liquidités dans la création, la transmission et la gestion des PME représentent une source de préoccupations récurrentes. Le cautionnement peut apporter des solutions auxquelles on ne pense pas assez. Cela vaut la peine de faire un minimum d’efforts pour expliquer le projet que l’on cherche à financer.
Auriez-vous un exemple?
Volontiers: prenons une succession dans le cadre d’une PME industrielle qui constitue l’essentiel du patrimoine familial. Un des enfants souhaite continuer, les deux autres ont leurs propres projets pour lesquels ils auraient aussi besoin d’être soutenus ou de recevoir «leur part». Une caution jusqu’à un million de francs permet de dégager des liquidités déjà substantielles et de dédommager les deux sortants au moins à cette hauteur. Ils pourront utiliser ces fonds à d’autres fins, au lieu de voir leur part d’héritage coincée et exposée dans une entreprise qui ne les intéresse pas.
Une telle situation peut entraîner la vente à un tiers. Et si l’héritier entrepreneur reprend tout de même l’entreprise et rate son opération, au moins il n’aura pas entraîné ses frères ou sœurs dans une perte. Par ailleurs et sur la partie cautionnée du financement, le repreneur pourra voir sa propre perte limitée normalement à 50%. Il paraît ainsi évident que le cautionnement peut jouer un rôle positif à bien des égards dans une situation comme celle que nous venons de décrire. Comme je l’ai dit, je ne suis pas certain que ce rôle soit aujourd’hui suffisamment compris et envisagé, en premier lieu par ceux qui pourraient en bénéficier, mais aussi par ceux qui les conseillent. Je pense ici en particulier aux fiduciaires ou avocats, voire aux banques que l’on ne va pas souvent consulter au départ d’une réflexion sur une reprise d’entreprise. Notre ambition serait de rendre conscients l’ensemble des bénéficiaires du potentiel positif de cet outil que la Confédération a mis en place et que les cantons soutiennent en ayant solidement capitalisé CR. Il est de bon ton de se plaindre de ce que l’État ne fait rien pour les entreprises et les PME en particulier. Fournir une garantie de premier rang est pourtant une belle prestation en leur faveur. Nous ne demandons qu’à la mettre en œuvre.
François Othenin-Girard
www.cautionnementromand.ch
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