Les PME sont tributaires d’une infrastructure de transport fiable et durable
Pour une solidarité suisse non usurpée
PASCAL BROULIS – Pour le conseiller aux États (VD/PLR), la taxe imposée à la Suisse par Donald Trump ne pourra pas durerindéfiniment. En plus de générer de l’inflation, elle affecte le pouvoir d’achat des Américains. Le sénateur et ancien conseiller d’État nous parle de PME, de surrèglementation, d’Europe et de formation professionnelle. Atouts et faiblesse de la Suisse dans la durée.
JAM: Comment évaluez-vous la gravité de la situation actuelle pour les entreprises exportatrices suisses et en particulier les PME qui dépendent du marché américain et qui souffrent, écrasées par des droits de douane à 39%?
Pascal Broulis: Le monde des taxes est complexe en raison de la grande diversité qu’il recèle. Lorsqu’une taxe pédagogique tente de vous inciter à consommer moins de sucre, une taxe punitive essaiera de vous empêcher d’afficher votre raison commerciale. En revanche, la taxe imposée par le président Trump appartient à la catégorie des taxes de protection. Elle n’est valable qu’un certain temps, son but étant de permettre à l’économie d’un pays de reprendre pied, de se réorganiser. Mais passé ce délai, elle va devenir fortement contre-productive, car, en plus de générer de l’inflation, elle affecte le pouvoir d’achat des gens. Une telle situation ne peut donc durer indéfiniment. Il faut tenir le coup!
Durant cette période, quels sont les outils à disposition pour la survie des entreprises suisses?
Il n’y en a pas beaucoup. Le Conseil des États vient de voter la semaine dernière et à l’unanimité la prolongation des RHT, l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail, à vingt-quatre mois. C’est un outil précieux puisque nous sommes un pays exportateur. Son usage reste toutefois limité dans le temps: il permet à l’entrepreneur de planifier un éventuel redimensionnement de ses équipes ou de faire le dos rond, le temps de redémarrer, de trouver de nouveaux marchés.
Il y a d’autres outils liés aux exportations, les garanties et les cautionnements. Aujourd’hui, l’entrepreneur est perturbé par les taxes américaines et toutes les entreprises ne se trouvent pas sur un pied d’égalité: le marché intérieur n’est pas concerné, certains secteurs non plus tandis que l’horlogerie, la machine-outil et la sous-traitance sont fortement impactées. Nos exportations sur le territoire américain s’élèvent à 4%, ce sont les chiffres de la BNS sans les pharmas.
Votre position sur l’UE?
Sur le fond, je suis totalement opposé à une adhésion de la Suisse à l’Union européenne. On ne se comprend souvent pas. En arrière-plan, la question de la neutralité sera au cœur des débats ces prochaines années. En revanche, les bilatérales représentent une sécurité pour les entreprises et permettent de maintenir les acquis. On l’a vu lorsqu’il a fallu trouver un chemin pour les équivalences boursières ou la reconnaissances des medtechs sur le marché européen.
Un deuxième outil important de stabilisation, c’est le paquet des bilatérales III dont les deux premières versions nous ont permis, en trois décennies, de rester attentifs aux marchés européens, de reprendre les normes les moins absurdes. L’idée est de rendre nos échanges avec nos partenaires plus efficaces et d’éviter les doublons règlementaires. Mais nous devons accélérer le traitement de cet épineux dossier.
Que pouvons-nous faire de plus pour nos PME?
Il faut créer de la sécurité, savoir à quelle sauce nous allons être mangés et utiliser ce qui a fait ses preuves dans le passé. Et surtout, nous devons tous partir à la découverte de nouveaux marchés. Le Mercosur (zone de libre-échange qui regroupe plusieurs pays de l’Amérique du Sud, ndlr) est important: je pense en particulier au Brésil, un marché complexe qui offre de grands potentiels. Puis, nous devons consolider nos relations avec l’Inde qui ne font que débuter.
La diminution, voire la suppression, des règlementations est une priorité pour beaucoup d’entrepreneurs, est-elle suffisamment prise en compte actuellement en Suisse?
Au niveau suisse, soyons à l’écoute des besoins des entreprises, simplifions les procédures si on y arrive. Je sais que c’est facile à dire et aussi qu’il y a tellement longtemps qu’on en parle. Avec le groupe PLR, nous déposons une motion intitulée «Le Conseil fédéral est-il prêt à mettre un frein aux règlementations néfastes?».
Nous souhaitons savoir quelles sont les règlementations pour lesquelles notre exécutif envisage des allègements, voire un report. Est-il prêt à mettre fin aux règlementations excessives dans l’horlogerie, la construction mécanique, la métallurgie, l’industrie électrique et certains pans de l’industrie alimentaire déjà touchés? Prendra-t-il des mesures spécifiques pour soulager ces secteurs d’une bureaucratie coûteuse. Que fera-t-il pour le secteur pharma? Nous attendons des réponses claires.
On parle souvent de supprimer certaines règlementations. Mais dans la pratique, par quoi faudrait-il commencer?
On peut faire du contrôle sans que cela soit systématique, mais par sondages. De cette manière, on évite d’écraser les gens. Dans l’agriculture, la liste des contrôles est devenue tellement longue que le paysan devient un bureaucrate, un employé de l’administration qui est là pour remplir des formulaires et toucher des subventions. C’est une grossière erreur. Le paysan est fier de son métier, son but n’est pas de nous empoisonner comme le laissent entendre certains milieux et c’est pour ça qu’il faut défendre ce secteur.
Nous avons développé une méthode pragmatique pour assainir les finances vaudoises en partant de nombreux exemples et en travaillant sur cette base pour améliorer la situation. Pour lutter contre les règlementations excessives, il faudrait que les entrepreneurs puissent dire très concrètement aux autorités fédérales ce qu’il faudrait corriger, ce qui est trop lourd pour eux. Il faudrait ensuite prendre ces exemples les uns après les autres, les traiter et corriger le tir.
À quoi faut-il attribuer cette tendance dans nos sociétés à multiplier les règlements et en quelque sorte d’emprisonner les entreprises dans un carcan règlementaire?
Je pense que le principe de précaution est une source importante de règlementation. Il faut arrêter de le pratiquer à outrance, car il nous détruit tout. C’est un principe néfaste qui provoque des ralentissements, des interférences. Au final, on ne prend plus de risques. Or, l’entrepreneur par essence est quelqu’un qui accepte et assume le risque. Comme celui de ne plus trouver assez de travail pour ses collaborateurs. Ou celui d’investir et que cela ne paie pas. Aujourd’hui, ce goût du risque doit être revalorisé et encouragé dans la société.
Les petites entreprises méritent-elles un traitement différencié selon vous?
Soyons un peu plus souples pour les PME et un peu plus strictes sur les grandes structures qui disposent d’une compliance et d’outils de contrôle élaborés. Bien sûr, la numérisation accompagne le processus en accélérant certains travaux de contrôle, de classement, parfois de courrier, mais sans forcément donner moins de travail. Cela dit, je ne suis pas pour donner toutes les informations à l’État – en raison du risque avéré de hacking. On peut simplifier la relation entre l’entreprise et l’État, mais au final, vivre ensemble restera toujours compliqué.
La reprise automatique du droit européen multiplie les nouvelles règlementations.Qu’en pensez-vous?
Dans cette reprise, c’est surtout contre le Swiss finish qu’il faut lutter et de toute urgence. Il s’agit de cette tendance qui consiste, lors de la reprise des normes européennes, à en rajouter une couche supplémentaire, en croyant que ce sera bénéfique. Ce qui est faux et les coûts générés sont énormes. La moitié de nos exportations sont réalisées avec nos voisins. Dans le domaine des médicaments, pourquoi faut-il chaque fois repasser une nouvelle homologation alors que 27 États européens ont déjà fait le job.
Comment maintenir l’attractivité de la Suisse aux yeux des entrepreneurs et des talents?
La Suisse doit rester ouverte et intégratrice, comme elle le fait depuis des décennies, attentive à l’autre et à ses propres spécificités. Elle doit adopter une neutralité à géométrie variable et non ancrée dans la Constitution, s’insérer dans un dispositif de cohabitation avec ses voisins pour garantir la fluidité. Ce qui implique de garder des outils comme Schengen-Dublin pour empêcher les arrivées massives de requérants d’asile.
Au fond, l’idée est de garder une Suisse qui reste solidaire, mais sur la base d’une solidarité non usurpée, en créant de la richesse dans un espace de paix. Que chacun puisse continuer à se sentir protégé par l’État. Pour le reste, garder ce qui fait la force de la Suisse, c’est-à -dire un vivier de gens bien formés, en lien avec les hautes écoles, l’apprentissage dual.
Comment évaluez-vous la situation de l’apprentissage en Suisse romande?
Ce qui est en train de se passer dépasse l’entendement. On complexifie la nature des apprentissages et ce faisant, on les dénature, en diminuant les exigences, en adoptant des normes excessives... Dans l’apprentissage, beaucoup de métiers sont d’abords manuels. Ce qui est visé, c’est le savoir-faire plus que des connaissances théoriques. Bien sûr, la base de la formation doit être solide, mais elle devrait rester pragmatique. C’est encore une fois à cause du principe de précaution que nous nous retrouvons avec toutes ces contraintes inutiles, ces barrières, ces blocages.
Le soutien Ă certaines branches divise en ce moment. Quelle est votre position?
Il faut soutenir les secteurs qui le méritent et ne pas avoir peur, de temps à autre, de transgresser le principe ultralibéral de ne jamais venir en soutien aux secteurs qui en ont besoin. Les Chambres fédérales l’ont fait pour la métallurgie et il me semble que le modèle retenu est valable.
En juin 2024, nous avons perdu la dernière verrerie suisse (du groupe Vetropack, ndlr) à Saint-Prex (VD). La pandémie semble être oubliée puisqu’on fait venir du verre de l’étranger et après l’avoir utilisé, il repart d’où il est venu: du point de vue écologique, c’est totalement inadéquat. Pour la production de verre, le problème est bien sûr celui des salaires suisses, vingt fois plus élevés qu’en Ukraine et quatre fois plus qu’en Italie. Les prochaines années vont être compliquées.
On ne fait pas boire ceux qui n’en ont plus envie comme ces capitaines d’entreprises qui veulent passer d’un statut d’industriel à une rente de situation. Il faut rester attentif à préserver la grande diversité de nos tissus industriels. L’économie suisse est constituée de 26 laboratoires cantonaux et de leur promotion économique qui, en connexion étroite avec la Confédération, fournissent dessolutions intelligentes pour aller de l’avant.
Comment s’y prendre pour ne pas perdre ce tissu industriel diversifié que nous connaissons en Suisse?
Le remède passe par les cantons qui fournissent en solution la caisse à outils suisse. Les laboratoires cantonaux permettent de mettre au point des chemins viables pour l’ensemble du pays. Chaque canton a sa manière d’aborder les difficultés. Dans la banlieue zurichoise, j’observe encore une mixité économique incroyable. Il y a là des ouvriers qui y habitent, des petits commerçants, de l’industrie lourde, le tout sur le même territoire. Or, cette diversité est en train de disparaître du paysage économique en Suisse romande. Lausanne est en train d’évacuer toute sa mixité à l’extérieur. Le bruit lié à une activité économique normale, comme une boulangerie, est de moins en moins toléré. Au lieu de fermer nos villes, nous ferions mieux de valoriser le vivre-ensemble et le travailler-ensemble.
Ă€ ce train et dans dix ou quinze ans, dans quelle situation les PME suisses se retrouveront-elles?
La Suisse a un talent incroyable, celui de rebondir. On l’a vu avec la crise américaine des subprimes il y a quinze ans: elle a su trouver sa voie. Ensuite, il y a eu le problème du franc fort que l’entrepreneur a progressivement pu digérer. Mais avec la baisse du dollar et de l’euro, on se retrouve à nouveau sous pression. Pour nos exportateurs, les dévaluations monétaires seront toujours plus difficiles à absorber. Mais si la Suisse garde son savoir-faire et son fédéralisme intacts, qu’elle cultive la proximité avec les gens et sait investir dans la formation, qu’elle a la sagesse de rester ouverte sans se replier sur elle-même, je pense qu’elle restera prospère, intégratrice. Au cours des cinq prochaines années, nous aurons à traiter beaucoup de textes perturbateurs et nombre d’entre eux seront liés au thème du repli et de la fermeture.
François Othenin-Girard
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