Publié le: 3 octobre 2025

Torréfier, en prenant tout son temps

COCUMA – Le torréfacteur biennois Cocuma travaille avec du bois suisse et développe des partenariats sur le terrainavec les producteurs. Interview et dégustation avec le maître torréfacteur Marco Pucci et Céline Schiess qui font poussercette jeune PME avec passion pour le commerce équitable et l’excellence gustative.

C’est en quittant Bienne en direction de Soleure qu’on trouve un petit joyau de la torréfaction. Confortablement installée dans un écrin boisé, Cocuma carbure au hêtre suisse pour faire rôtir tout doucement ses grains de café. Trônant au milieu de la pièce, une superbe machine aux teintes vertes évoque une vieille voiture anglaise qui tient son rang. Le connaisseur, catégorie à laquelle le soussigné n’appartient pas, reconnaîtra un torréfacteur à tambour Trabattoni de 60 kilos. Un bijou sur lequel le chef torréfacteur veille jalousement et dont il connaît le tempérament sur le bout des doigts. Nous y reviendrons.

Une PME repositionnée

La famille Schiess est devenue propriétaire de Cocuma après sa reprise des mains du fondateur, parti sous d’autres cieux. La PME lancée en 2015, s’était auparavant installée dans un ancien local appartenant à la L. Klein SA et avec le soutien des Schiess: leur entreprise familiale fournit de l’acier aux entreprises dans un vaste périmètre, y compris à l’international pour divers secteurs comme l’horlogerie, la sous-traitance et l’aéronautique. Après le départ du fondateur et une longue réflexion, Cocuma a été repositionnée, priorisant plus la recherche de l’excellence que les volumes. Et plus en amont dans la filière, jusque sur le terrain des producteurs.

Dans l’interview, Marco Pucci et Céline Schiess nous font entrer dans leur démarche. Le but n’est pas de livrer de grandes quantités de café torréfié, mais de prendre le temps de donner toute leur chance aux arômes de se développer. Ce faisant, ils se sont mis à réfléchir à ce qu’ils faisaient, à leur manière de travailler: en nouant sur place des partenariats constructifs avec les paysans qui font pousser leur café et leur famille, en s’assurant que les gens sont bien logés, que les enfants vont à l’école. C’est le cas avec leur partenaire en Inde aujourd’hui. Ce le sera demain si tout va bien, en Colombie et en Éthiopie.

JAM: Marco Pucci, à quoi ressemblent les récoltes actuelles avec lesquelles vous travaillez?

Marco Pucci: Il y a eu beaucoup de pluies en 2025. Dans ces conditions, il est nettement plus difficile de soigner le café après la récolte. Ma collègue Karina Jeker s’est rendue deux fois en Inde, dans le Karnataka, ce qui nous a permis d’améliorer la qualité et aussi les processus. Elle s’est rendue sur place avec notre importateur de café allemand et un partenaire, Adrian Riesen, du Lichtenstein, un maître torréfacteur très consciencieux et toujours à la recherche de cafés particuliers. En raison de l’abondance d’eau sur place, ils ont dû s’activer pour mettre en place des mesures de protection lors de la récolte et du séchage par la méthode naturelle au soleil ou sinon, cela serait devenu plus compliqué. On peut aussi le sécher avec des souffleuses à air chaud, ce qui est assez commun dans les exploitations...

Dans son cahier bleu, Marco Pucci note tous les détails de chaque torréfaction. L’écrit reste la meilleure forme de traçabilité. Il nous le dit: l’improvisation n’a pas de place dans sa démarche. Ce métier rejoint la passion du détail et la recherche infatigable de l’excellence. Comme un lointain écho des vies professionnelles antérieures de ce technicien, qui a travaillé des années dans la logistique et les finances d’un grand groupe horloger. Et qui est entré dans le monde du café par pure passion. Parce que le vendredi, il avait du temps libre et qu’un ami lui a transmis son amour du café.

Concentré sur son geste, Marco Pucci nous prépare un espresso d’anthologie. Il pèse les grains, transvase le tout avec soin dans un moulin de haute précision. «Le degré de mouture dépend de la structure botanique du café. Celui-ci, je le mouds assez finement, car il s’agit d’un robusta d’une qualité très élevée provenant de notre producteur indien. Et c’est la première fois que nous le dégustons.» Interview après dégustation dans un silence recueilli.

Le robusta revient Ă  la mode?

Marco Pucci: Oui, c’est dû à une amélioration des processus de récolte et de traitement. Le canephora est communément appelé robusta, car il résiste mieux aux maladies. Il est habituellement présent dans des mélanges. Je pense que nous sommes peu à servir un robusta à 100%. Nous pouvons le faire parce que la qualité est excellente. C’est ce qui est beau dans ce métier, c’est de pouvoir inventer et créer des nouveautés.

Céline Schiess nous a rejoints et Marco Pucci commente ce qui a été mis en place pour améliorer la qualité en Inde cette année.

Marco Pucci: Des toiles ont été installées pour servir de serres afin de protéger le café des intempéries. Des machines prévues pour sécher le thé ont été utilisées. Et fondamentalement, un grand travail a été effectué sur la sélection des cerises à la main, ou handpicking. Quant on a commencé avec eux, ils ne faisaient pas trop de tri entre les baies mûres et celles qui l’étaient moins. Le problème, c’est que le café n’est ensuite pas assez homogène.

Si certains grains n’ont pas accumulé assez de sucre, quand je torréfie, la réaction de Maillard ne marche pas trop (processus chimique essentiel de la torréfaction du café, où les sucres et les acides aminés des grains réagissent à haute température, dès 150 °C, pour provoquer le brunissement des grains, la perte d’eau, et la formation des arômes et saveurs caractéristiques du café, ndlr).

Et alors, le café récolté quand il n’est pas assez mûr génère une forme d’astringence au final dans la tasse. Il ne me fournit pas assez de sucre pour développer une bonne réaction lors de la torréfaction.

Parlez-nous de votre démarche de sourçage. Comment travaillez-vous?

Marco Pucci: Nous sommes en contact, en plus de l’Inde, avec les Brésiliens, les Éthiopiens et les Colombiens. Le plus important, le facteur décisif, c’est de connaître les gens qui travaillent dans les champs et les plantations, dans les forêts tropicales parfois. Pour améliorer la qualité, nous sommes aussi à leur écoute, nous les accompagnons, mais c’est une situation gagnant-gagnant. Eux peuvent vendre leur café à un meilleur prix, il n’y a pas d’intermédiaires ou peut-être un seul. Donc ils gagnent mieux leur vie et nous sommes contents de la qualité. Ils vendent leur café tout de suite.

Céline Schiess: Il est important de préciser ce que nous avons appris au fil des années et des récoltes. La première chose, c’est de ne pas se limiter au point de vue du consommateur. Ce produit vient de si loin et nous devons comprendre les défis qui se posent aux producteurs. En Inde, nous avons apporté un certain savoir-faire qui leur permet d’en faire plus avec leur plantation.

Prenons l’exemple des déchets: en les réduisant, le paysan peut mieux valoriser sa récolte. En Suisse, nos habitudes de consommation nous empêchent de comprendre que de tels enjeux constituent une sacrée différence pour le producteur. Donc notre but est aussi de permettre au consommateur d’entrer dans notre démarche.

Le parallèle avec le chocolat est frappant. C’est un produit auquel nous nous identifions ici en Suisse, mais que savons-nous réellement de ce qui se passe au niveau des plantes, des récoltes et des agriculteurs qui sont impliqués en amont? Nous travaillons avec les paysans, leur famille, nous nous impliquons pour améliorer leurs conditions de vie, nous assurant par exemple qu’ils soient bien logés et que leurs enfants puissent aller à l’école. Ces choses-là nous importent tout autant que la qualité du café.

Comment cette approche du terrain a-t-elle débuté et dans quelles circonstances?

Marco Pucci: notre but était d’améliorer la qualité de notre robusta. Nous avons retrouvé un partenaire avec lequel nous avions suivi une petite formation pour la partie torréfaction, son domaine d’excellence depuis vingt-cinq ans. Grâce à lui, nous avons pu améliorer nos processus à l’interne. Et changer notre vision. Nous visons un café homogène de très haute qualité et qui soit en même temps équitable. Le robusta indien pousse en pleine jungle dans le Karnataka en respectant sa grande biodiversité. Cela n’a rien à voir avec de la monoculture.

Céline Schiess: Clairement, c’est lui qui nous a ouvert les yeux. Nous sommes un peu des self-made-roasters. La transformation de Cocuma est toute récente puisque, si l’entreprise existe depuis 2015, notre première expérience en Inde remonte à 2023. Avant cela, nous tenions un discours sur le commerce équitable. Mais à un moment donné, nous avons compris que nous nous devions d’agir en toute cohérence par rapport à notre message. En bref, de faire ce que nous disions. Apparemment, le décalage entre le dire et le faire était important, mais nous n’en avions pas conscience. Changer prend du temps. Cela implique d’aller sur place, de faire connaissance avec les producteurs. Ne pas être pour eux une simple carte de visite, mais nouer des liens humains. C’est toute notre philosophie.

Marco Pucci: Nous sommes toujours à la recherche d’une diversification de tels partenariats. En juin au World of Coffee à Genève, nous avons fait la connaissance d’un personnage extraordinaire qui s’active en Colombie avec lequel nous espérons pouvoir commencer à collaborer. Il a lancé son business il y a quinze ans et donc il est tout jeune pour l’industrie du café. C’est une génération qui a étudié à Londres et dans la fameuse école de Trieste en Italie.

Vos débuts chez Cocuma, vous nous racontez à quoi ça ressemblait?

Céline Schiess: Pour ma part, je précise que ne suis pas active dans l’opérationnel de Cocuma. J’ai commencé en 2019 dans l’entreprise familiale L. Klein SA qui est spécialisée dans la vente d’acier. Notre histoire avec Cocuma débute par la rencontre avec Fabio Fornaro, le fondateur. Cela s’est fait par hasard au café bar Hasard à Bienne (rires). Fabio cherchait un nouveau local pour reloger son entreprise. Nous sommes en 2018 et Marco est arrivé en 2019. Mon père et mon oncle se sont passionnés pour ce projet et ses valeurs. Nous avons donc investi en cherchant à comprendre les enjeux, en achetant un plus grand torréfacteur et en transformant cet atelier en une vraie entreprise. Il fallait aussi repositionner l’entreprise sur son marché et lui donner une marge de manœuvre pour favoriser son développement. Et puis le fondateur s’est relocalisé à l’étranger et nous avons décidé de reprendre Cocuma. Mon père et mon oncle m’en ont donc délégué la gestion. Heureusement que Marco était déjà actif, car ainsi nous avons pu aller de l’avant. Cocuma est devenue notre bébé, un rejeton que nous regardons grandir avec amour.

D’où vient le nom Cocuma ?

Marco Pucci: Le terme désigne probablement cette cafetière napolitaine qui en dialecte s’appelle «cucuma» ou «cucumella». C’est une machine que l’on retourne: une fois l’eau chauffée dans le récipient du bas, elle passe à travers le filtre par gravitation et non par pression du bas vers le haut comme dans la Moka. Le fondateur venait des environs de Naples. C’est vrai qu’en français, cucuma ou coucouma n’auraient peut-être pas bien passé. Je viens d’une région située entre Rome et Naples. Ma grand-mère et mes tantes en dialecte utilisaient le terme de «cucumella» pour parler de tous types de cafetières.

Fun fact: inventée par Jean-Louis Morize à Paris en 1813, cette cafetière Morize ou Dubelloy était à l’origine en cuivre. Son usage s’est diffusé dans toute l’Italie et en particulier autour de Naples. En raison du prix du cuivre, elle fut fabriquée en aluminium dès la fin du 19e. Mais surtout, un trait frappant évoqué par les utilisateurs (actuels) de cette machine dans leurs tutoriels: c’est la patience qu’il faut avoir avant de pouvoir déguster le breuvage. Un temps propice à la conversation et aux échanges. En plein dans la philosophie de Cocuma.

François Othenin-Girard

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