Publié le: 3 octobre 2025

Un pari et une grande responsabilité

IMPRIMEURS – Sylvain Villars et Christophe Renggli ont repris en début d’année l’imprimerie Courvoisier-Gassmann. Les deux entrepreneurs parlent de leurs atouts, une marque bicentenaire, des produits très diversifiés et des équipes compétentes et motivées. Les défis ne manquent pas: règlementations lourdes, coup de frein de la conjoncture. Mais la passion demeure!

C’est le début d’une nouvelle histoire qui s’écrit, celle de deux professionnels de l’imprimerie qui décident de reprendre un fleuron biennois. Courvoisier-Gassmann, c’est deux siècles d’histoire, quarante collaborateurs et des milliers de kilomètres de publications: du simple flyer pour la grande distribution aux revues de grand luxe de l’horlogerie. Et avant tout, beaucoup de passion pour ce métier d’imprimeur qui, en imprimant de l’encre sur du papier, permet d’exprimer et de transmettre autant d’émotions.

Sylvain Villars et Christophe Renggli nous reçoivent à Bienne dans un immense atrium, puit de lumière éclairant ce bâtiment de quatre étages et permettant de présenter les produits de Courvoisier-Gassmann et une partie de son histoire. On feuillette des ouvrages, des revues, disposés sur de nombreuses tables ou d’antiques presses, on admire les instruments utilisés par les typographes d’antan, plaques en pierre pour la lithographie qui côtoient les produits les plus designs.

Le tout est fabriqué de l’autre côté des vitres, à quelques pas: on voit les collaborateurs qui s’activent autour de gigantesques machines ronronnantes. Sur les murs, tout autour de la pièce, une série d’affiches composées par des artistes et des graphistes sont exposées en lien avec un grand projet impliquant l’école d’art de La Chaux-de-Fonds. Elles illustrent les thèmes prioritaires des Nations Unies. En flânant, on admire de beaux livres, dont celui d’une photographe qui leur a confié un travail de quinze années. Ce showroom abritait aussi autrefois une collection d’œuvres d’art acquise par la famille Gassmann. Il en reste une sculpture en métal évoquant le satellite Voyager en route pour les confins de l’univers… et l’avenir!

Évoquer le destin d’une telle imprimerie fait surgir deux siècles d’histoire. «Nous sommes issus de la fusion de deux entreprises, la première étant le Groupe Gassmann qui avait débuté à Soleure, s’était établi à Bienne à la fin du 19e et s’occupait principalement de journaux», raconte Sylvain Villars, responsable de la production et copropriétaire de l’entreprise actuelle. Quelques jours auparavant, la reprise du Journal du Jura marquait les esprits dans la région (lire l’encadré).

Mariage de deux cultures

«Dans les années nonante, poursuit Sylvain Villars, la volonté de diversifier les activités s’est traduite par la reprise de l’entreprise Courvoisier-Attinger, une entreprise plutôt spécialisée dans le timbre-poste à la Chaux-de-Fonds ayant appartenu à une dynastie d’imprimeurs. Le secteur de très haute qualité sur lequel ils étaient positionnés étaient en train de s’effriter. La famille Gassmann a donc racheté Courvoisier-Attinger et rapatrié le tout à Bienne. C’est ce qui a permis de mixer deux savoir-faire: le livre et la productivité chez Gassmann et un savoir-faire dans la haute qualité et la technicité chez Courvoisier.

ÉVOQUER L’HISTOIRE DE L’IMPRIMERIE FAIT SURGIR DEUX SIÈCLES D’HISTOIRE.

Suite à la fusion, le site a été déplacé en 1994 du centre-ville de Bienne au chemin du Long-Champ où nous nous trouvons actuellement.»

Le bâtiment voisin hébergeait la rotative pour les journaux et les médias eux-mêmes étaient logés en partie dans les étages du building actuel. «Vers 2013, la rotative arrivait en fin de course et l’impression des journaux a été déplacée à Berne», poursuit Sylvain Villars, la quarantaine et une vie dans l’imprimerie passée surtout en Suisse alémanique, à Berne et Zurich, après avoir grandi à Neuchâtel et pris le large au terme de quelques années passées dans l’entreprise familiale.

En 2020, le Groupe Gassmann a fini par regrouper la presse et les médias électroniques au centre-ville, dans le centre de communication situé à côté de la gare. «Aujourd’hui, nous continuons d’imprimer dans le bâtiment, le service de reliure est installé à un étage au-dessous et les étages supérieurs sont loués à des sociétés tierces. Nous sommes également locataires.

L’avant-dernier épisode: «La famille Gassmann, sixième et dernière génération active dans ce secteur, a vendu le groupe à un entrepreneur valaisan, Fredy Bayard, qui préside le groupe de médias Pomona en Valais, et édite le ‹Walliser Bote›. Il a repris le tout en 2021 avec la volonté, comme en Valais, de consolider un édifice fragilisé.»

JAM: Le dernier épisode, il vous concerne directement ?

Sylvain Villars: Oui. Tout récemment, début 2025, constatant l’absence de synergie entre les activités, la décision a été prise par le Groupe Gassmann de séparer l’imprimerie du reste du groupe et de faire un MBO (Management buy out, ou reprise de l’entreprise par des collaborateurs). Christophe Renggli et moi avons repris le 60% des parts de la société, Fredy Bayard conservant 20% et un autre entrepreneur bernois, Stefan Niedermaier, spécialiste d’IT, possède lui aussi 20%.

Une décision courageuse, vous a-t-on dit, de vous lancer dans ce secteur?

Sylvain Villars: Oui, on nous l’a beaucoup dit (rires). Mais c’est un beau défi, nous sommes indépendants et nous avons pu conserver ce nom de Courvoisier-Gassmann, le premier étant plus connu en Suisse romande et le second, en Suisse alémanique, surtout localement dans la vie biennoise.

«L’ANCIENNETÉ EST UN GRAND PLUS, MAIS NOUS VOULONS AUSSI AMENER DE NOUVELLES IDÉES.»

Nous sommes une quarantaine de collaborateurs, tous plus ou moins issus de la région ou d’un peu plus loin. J’aime l’allemand et le bilinguisme m’a attiré à Bienne.

Christophe Renggli: Certains m’ont souhaité bonne chance, d’autres m’ont dit que nous étions courageux. C’est un choix de vie. Un ami m’a dit la chose suivante: «Si tu es un vrai entrepreneur, tu fais des choix naïfs. Peut-être que je suis un peu naïf.»

Comment la dynamique s’est nouée entre vous deux ?

Christophe Renggli: Nous nous sommes connus il y a plus de vingt ans à l’école technique. On a eu des parcours un peu différents. On est toujours restés dans l’imprimerie. Ensuite on s’est croisés, dans une imprimerie dans laquelle j’ai fait mon apprentissage, puis nos parcours se sont séparés. Je travaillais déjà depuis trois ans chez Courvoisier quand Sylvain est arrivé. On est très complémentaires, dans le caractère, dans nos compétences. C’est une force et c’est un pari qu’on a pris. Notre entreprise a deux cents ans, c’est une responsabilité.

Sylvain Villars: On savait aussi ce qu’on achetait – en tout cas pas un chat dans un sac. Nous connaissions les atouts et les défauts. Mais surtout, nous avons des équipes très compétentes, avec une ancienneté moyenne de seize ans. Les gens restent parce qu’ils aiment cette dynamique, ce qui sort de cette entreprise. Et c’est aussi ce qui nous a attachés ici: on aime être avec ces gens. C’est vrai qu’il y a aussi plein de problèmes à régler, mais ils sont motivés, ils ont des idées. C’est top!

Christophe Renggli: L’ancienneté est un grand plus, mais nous voulons aussi amener de nouvelles idées et c’est pourquoi nous avons engagé de nouvelles personnes, qui ne viennent pas forcément du print et amènent d’autres choses. C’est un défi aussi, cette nouvelle génération, comment l’intégrer. Nous avons réalisé un diagnostic RSE (responsabilité sociale des entreprises, ndlr) il y a deux ans. Cela nous a démontré des choses que nous devons apprendre à maîtriser.

On met souvent en avant la dimension environnementale, mais pour moi, la question sociétale est presque plus importante. On a une responsabilité par rapport à nos employés et les thèmes ne manquent pas: le home-office, un horaire libre, la formation continue. Sur ces thèmes, nous avons du boulot. Il faut rendre ce métier attractif et sexy pour trouver des apprentis. Nous en avons trois actuellement, sur presque quarante personnes: une jeune femme apprentie imprimeur et deux jeunes dans la reliure.

Sylvain Villars: Sur cet aspect, un peu de présence sur les réseaux sociaux permet de montrer la beauté de nos métiers. Cela permet de se faire connaître et de montrer qu’on fait des choses cool avec du papier.

Christophe Renggli: C’est vrai que dans nos métiers, nous avons été longtemps dans la retenue. Par moment, ce complexe remonte un peu. Un imprimeur n’a pas toujours l’impression d’être légitime (rires). Mais non, on fait des trucs cool, on a des gens qui adorent ce métier, on a des clients exceptionnels, des artistes, des photographes. Nous avons mené à bien ce projet (il désigne toutes les affiches aux murs) pour inaugurer la nouvelle presse offset, il y a deux ans.

De quoi s’agit-il ?

Christophe Renggli: Nous avions envie de faire quelque chose de durable. Un jour en 2023 on m’a parlé de ces 17 objectifs de développement durable à l’horizon 2030, adoptés par l’ONU en septembre 2015. Nous avons donc réalisé cette série d’affiches sur ces 17 thèmes avec ceux que nous appelons nos ambassadeurs, des artistes, des graphistes, des photographes, des agences, des professionnels doués. Tout le monde a donné de son temps dans une démarche participative et en toute liberté. Mais en même temps, nous avions envie de donner la parole à la jeunesse. Je connais bien Dimitri Jeannottat, qui est un super graphiste biennois et qui enseigne à l’École d’art de La Chaux-de-Fonds. Les élèves de l’école ont réinterprété ces 17 thèmes à leur manière. D’un côté les professionnels, de l’autre, la jeunesse. Un exemple que je trouve intéressant, sur le thème de la pauvreté, les jeunes ont lié la résolution de l’image – la première image qui sort d’une recherche sur le pays – avec le PIB par habitant. Plus un pays dispose d’un PIB élevé, plus l’image offre une bonne résolution. C’est audacieux!Interview: François Othenin-Girard

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paysage en mouvement

Ventes et reprises

Le 22 septembre dernier, le Groupe Gassmann Média annonçait que le «Journal du Jura» (JdJ) à Bienne et «Radio Jura Bernois» à Tavannes seront désormais codirigés par une nouvelle société: Jura Media SA a été créée par la famille Steulet et son groupe de radios (RTN, RFJ et GRIFF) – avec la famille Voisard et son groupe Démocrate Media Holding qui détient l’Imprimerie Pressor et «Le Quotidien jurassien» à Delémont. Quatre jours plus tard, le Groupe Gassmann annonçait la reprise de TeleBärn et de RadioBern1. (Source: JdJ, 22 et 26.09.25).

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