JAM: Marco Sieber, copropriétaire de Siga AG, vous mettez en garde contre l’initiative des Jeunes socialistes suisses (JS) qui sera soumise au vote le 30 novembre. Pourquoi?
Marco Sieber: Cette initiative menace l’ensemble de nos PME et conduirait à la vente de nombreuses entreprises familiales locales. Des entreprises bâties au fil des générations devraient être vendues à des groupes étrangers. Cela entraînerait des pertes d’emplois et des milliards d’euros de pertes fiscales. Tout cela se ferait au détriment des petites et moyennes entreprises et causerait d’énormes dégâts collatéraux.
Les JSS veulent un impôt de 50% sur les successions pour les fortunes à plus de 50 millions. Comment votre PME serait-elle touchée?
Mon frère Reto et moi avons repris l’entreprise familiale de nos parents il y a plus de quarante ans. À l’époque, nous avions une vingtaine d’employés. Au cours des dernières décennies, nous sommes devenus une entreprise technologique en pleine expansion à l’échelle mondiale. Aujourd’hui, nous employons environ 650 personnes dans le monde entier, dont environ 300 en Suisse. Depuis, certains de nos enfants se sont impliqués dans l’entreprise. En cas de transfert du capital-actions à nos enfants, cet impôt sur les successions serait dû. Cela mettrait en péril l’existence de l’entreprise sous sa forme actuelle.
De quelle manière?
Tout notre capital est immobilisé dans l’entreprise. Les actifs existent donc sur le papier, mais comme pour beaucoup d’autres entreprises concernées, il ne s’agit pas de liquidités. Nous ne pouvons pas réunir rapidement cette somme pour payer les droits de succession. La conséquence serait probablement une vente. Seuls les groupes internationaux pourraient se permettre une telle acquisition. Notre entreprise familiale ne serait alors qu’un numéro parmi d’autres. Et quelle est la première chose qu’un grand groupe fait après un rachat? Il examine les structures de coûts et les synergies internes. Il en arrive alors très probablement à la conclusion qu’il pourrait produire à moindre coût en Pologne, par exemple.
Au risque de me répéter, en Suisse, cela se traduirait par une perte d’emplois, et donc d’importantes pertes fiscales. Et je voudrais encore dire ceci aux Jeunes socialistes: nous, les propriétaires de PME, ne passons pas notre temps au casino à boire du champagne, mais principalement dans l’entreprise.
Ne pourriez-vous pas payer l’impôt avec un crédit, comme le proposent les JS?
C’est absurde. Tout d’abord, il faudrait trouver un prêteur, ce qui serait très difficile. En effet, le prêteur ne recevrait aucune contrepartie pour le crédit accordé. Il prêterait de l’argent qui serait immédiatement consommé, puisqu’il devrait être versé intégralement à l’administration fiscale. Sans aucune contrepartie. Les entreprises, quant à elles, seraient gravement lésées par l’endettement. Leur solvabilité diminuerait considérablement, ce qui rendrait impossible tout emprunt à d’autres occasions, par exemple pour la construction d’une nouvelle installation ou le développement d’un produit innovant.
Ces dettes auraient un impact négatif sur les bilans et les comptes de résultats des entreprises pendant des années. En conséquence, cela signifierait que pendant de nombreuses années, plus aucun impôt sur les sociétés ne serait payé. De plus, cet impôt sur les successions s’appliquerait à chaque succession. L’initiative destructrice des JS aurait alors pour effet de faire disparaître toutes les entreprises familiales d’une valeur supérieure à 50 millions de francs en Suisse.
50 millions de francs: c’est quand même une belle somme pour un particulier. Et pour les PME?
Pour un particulier lambda, 50 millions de francs, c’est beaucoup d’argent. Mais cette somme ne peut pas être transposée telle quelle à une entreprise. Voici un exemple: une PME de construction bois à forte capitalisation et qui emploie environ 150 personnes peut rapidement atteindre la valeur d’environ 80 millions de francs. Ce montant comprend le ou les bâtiments, le parc de véhicules et de machines et, par exemple, les réserves de terrains à bâtir si l’entreprise souhaite s’agrandir à l’avenir.
Avec cet impôt en cas de succession, les 30 millions de francs qui dépassent la barre des 50 millions deviendraient imposables. Avec le taux d’imposition envisagé de 50%, cela donnerait lieu à une dette fiscale de 15 millions de francs. Cette PME familiale devrait donc payer des impôts sur environ un cinquième de la valeur de l’entreprise, avec de l’argent qui ne se trouve pas sur le compte bancaire des propriétaires, mais qui est immobilisé dans l’entreprise. C’est juste impossible.Autre chose: les entreprises ne peuvent pas simplement vendre leurs installations de production et leurs machines pour rembourser cette dette. Elles sont souvent conçues sur mesure pour l’entreprise concernée.
Vous avez parlé d’énormes dégâts causés dans le tissu économique. Pouvez-vous préciser?
Si les entreprises familiales disparaissent à grande échelle en Suisse, tous les fournisseurs et acheteurs en feront les fais, du couvreur au charpentier en passant par le boulanger.
«Nous ne pouvons pas trouver cet argent pour les droits de succession en un clin d’œil.»
Les responsables politiques voudraient sans doute compenser ces pertes fiscales massives. Cela voudrait dire plus d’impôts pour la classe moyenne, les entreprises restantes et les PME. Les régions et les communes seraient aussi privées de fonds importants: les PME sont souvent des investisseurs immobiliers dans leurs communes. La restructuration totale de l’économie réclamée par les JS entraînerait une augmentation significative des règlementations pour les PME. Et ce, à un moment où l’industrie d’exportation et toute la sous-traitance se retrouve déjà confrontées à la force du franc et désormais aux droits de douane élevés imposés par les États-Unis. Chez Siga AG, nos exportations représentent 80% de notre chiffre d’affaires et nous ressentons fortement ces difficultés. Les défis économiques actuels sont majeurs. Enfin, l’initiative des JS freinerait complètement l’esprit d’entreprise. Pourquoi quelqu’un voudrait-il encore créer et développer une entreprise si, en cas de succès, celle-ci risque d’être détruite par succession? Aucune personne sensée ne se lancerait.
Les recettes générées par l’initiative des JS seraient utilisées pour le climat. Qu’en pensez-vous?
C’est absurde! Notre entreprise développe des colles, des rubans adhésifs et des membranes spéciales pour l’enveloppe des bâtiments, qui garantissent une étanchéité maximale et une perte d’énergie minimale. Nous sommes leaders sur nos marchés. Nous fournissons par exemple des couvreurs, des menuisiers, des fabricants de fenêtres et des charpentiers qui veillent au jour le jour à ce que les bâtiments soient étanches et à ce que les émissions de CO2 soient réduites.
La demande extrême des JS détruit tout ce cycle. Cela n’a absolument rien à voir avec la durabilité ou la protection du climat, bien au contraire. De plus, en tant qu’entrepreneurs, nous avons tout intérêt à travailler de manière durable et, par exemple, à ne pas gaspiller d’énergie, ne serait-ce que pour des raisons de coûts.
Qu’espérez-vous des votations qui se tiendront fin novembre?
J’espère que le «non» sera retentissant. Cela étant, il est fort possible qu’une nouvelle initiative visant à imposer les héritages supérieurs à 10 millions de francs soit bientôt lancée. Cela toucherait alors directement un très grand nombre de PME, et pas «seulement» en tant que fournisseurs ou clients.
Interview: Rolf Hug
www.impot-socialiste-non.ch