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Parier sur le retour en force du papier
COURVOISIER-GASSMANN – Deuxième partie de l’interview que nous ont accordée Sylvain Villars et Christophe Renggli. Courvoisier-Gassmann, leur imprimerie affronte un contexte difficile dans certains secteurs comme l’horlogerie.
Par ailleurs, la jungle règlementaire est particulièrement dense, des encres aux papiers, sur fond de luttes tous azimuts pour l’environnement et contre déforestation. Les deux entrepreneurs s’adaptent et observent même des signes encourageants en faveur d’un certain retour aux produits imprimés.
JAM: La pression règlementaire environnementale est-elle toujours aussi forte?
Sylvain Villars: Oui, cela a commencé avec le cobalt il y a quelques années et on s’en est débarrassé: il n’y a plus de métaux lourds dans les encres que nous utilisons. Sur le COV, notre nouvelle ligne de production s’en passe complètement. Nos encres ne contiennent plus du tout d’huiles minérales, mais seulement végétales. Ces produits arrivent sur le marché et ils ne sont pas plus chers. Ces encres sont juste moins stables et plus compliquées à imprimer. Par contraste, d’autres machines que nous avons ici utilisent la technologie des UV et des encres contenant des polymères, des composés organiques volatiles (COV) et toutes sortes de substances qui ne sont pas forcément optimales pour l’environnement. En revanche, le séchage est instantané, il est possible d’imprimer sur des supports fermés, ou plastifiés. Avant, on mettait beaucoup d’alcool dans l’eau parce que cela permettait d’être moins sensible aux variations de température ou d’autres facteurs.
Dans quels domaines cette pression règlementaire vous pose problème face à une concurrence étrangère?
Sylvain Villars: Le thème qui est très présent, c’est la RDUE (règlement UE contre la déforestation et la dégradation des forêts, ndlr. Ce règlement impose aux entreprises d’effectuer une diligence raisonnée pour prouver la traçabilité et la légalité de leurs produits, via la collecte d’informations et l’évaluation des risques). Cette pression vient plus de l’UE que de la Suisse. Elle se manifeste pour nous via certains clients qui exportent dans toute l’Europe les catalogues que nous produisons ici. Ce qui est problématique, c’est que, n’étant pas membres de l’UE, nous n’avons pas grand mot à dire. On espère que les choses vont bouger. Nous avons appris récemment que cette loi serait probablement repoussée une nouvelle fois.
Au final, nous sommes entre le marteau et l’enclume. Le marteau parce que nos clients nous imposent des exigences environnementales qui en soi sont bien légitimes. Et l’enclume parce que nos fournisseurs de papier, qui sont européens, travailleront aussi longtemps que possible sans devoir utiliser ces recommandations. Nous ne pouvons donc pas fournir à nos clients toutes les informations nécessaires, comme la provenance du bois, le type d’essence et idéalement la géolocalisation des parcelles. Mon sentiment, c’est que ces problèmes sont plus présents dans le cacao et le café. Le papier que nous utilisons vient essentiellement de l’UE et des pays limitrophes, voisins de la Suisse où la thématique de la déforestation reste marginale.
La pression s’exerce-t-elle aussi plus fortement sur l’industrie du print dans une société qui tend à se débarasser du papier?
Sylvain Villars: Ce qui est difficile, c’est cette mauvaise image d’utilisateur de papier et de créateur de déchets. Je pense aux gens qui généralisent et pensent que si toute la vie était numérique, ce serait beaucoup plus écologique. Quand on parle d’un mode d’emploi qui est utilisé plusieurs fois, ou d’une brochure, le bilan penche en faveur du papier. Dans l’imprimerie, on nous a demandé de nous débarrasser du cobalt, parce que cela posait problème dans les mines où des enfants étaient par ailleurs exploités. Ce que je comprends moins, en revanche, c’est que l’utilisation de cette substance dans les smartphones et autres appareils numériques semble ne déranger personne.
Il y a deux poids, deux mesures. Avec l’électronique, les déchets sont moins visibles qu’une pile de papier, même recyclable. Regarder un film en streaming dans le train m’apparaît comme bien plus nocif que de jeter un journal au vieux papier.
Vendre des imprimés, du papier, c’est toujours plus difficile de nos jours?
Christophe Renggli: On est clairement dans un marché de niche. Mais on a un mix entre les clients. On imprime pour une grande marque horlogère et pour la grande distribution. En ce moment, j’observe même qu’une partie de nos clients se disent qu’ils sont allés trop loin dans le numérique et souhaitent revenir au papier pour des cas très concrets. Certes, les volumes imprimés diminuent et le nombre d’imprimeurs aussi. Ce qui se traduit chez nous par une légère stabilisation de notre chiffre d’affaires.
«une partie de nos clients se disent qu’ils sont allés trop loin dans le NUMÉRIQUE et souhaitent revenir au papier pour des cas très concrets.»
En termes de discours chez nos clients, on n’en est plus à dire que le papier, c’est ringard. On a accepté le fait que certains produits soient passés en numérique sans retour possible au papier.
Il reste que pour faire passer une émotion dans les marchés sur lesquels nous sommes présents, principalement l’horlogerie, les musées, les artistes, les photographes, nous nous différencions de nouveau avec le papier. Le sentiment, c’est qu’on a eu trop de numérique. C’est un peu mon discours: d’être présent deux secondes dans la tête des gens avec une story Instagram, c’est peut-être moins efficace que d’avoir un beau magazine dans le salon d’une personne qui est potentiellement intéressée à acheter ou à apprendre quelque chose, à vivre une émotion.
Comment percevez-vous le climat économique actuel?
Christophe Renggli: Nous sommes désormais pleinement entrés dans une phase économique compliquée. Nous allons probablement devoir utiliser les RHT et nous ne serons pas les seuls. La question qui se pose dans cet environnement, c’est de savoir comment nous allons faire pour nous différencier. Le numérique a remporté des succès, mais les gens en reviennent. Et le papier redevient une manière de se différencier. Il nous offre de nombreuses options qui permettent d’y parvenir. On ne remet pas en question une story, la beauté des images parfois, la musique, l’effet d’une vidéo, d’une photo. Mais on voit que le papier redevient tout autant, voire plus important, que ce qui se fait en numérique. Et non, il faut arrêter de dire que le papier pollue plus que le numérique. Nos clients réfléchissent et ils ont aussi un bilan carbone à faire. C’est un marché de niche, donc nous imprimerons peut-être moins d’exemplaires avec plus de valeur ajoutée, plus de soins, de développement.
Vous allez donc vous repositionner sur le haut de gamme?
Christophe Renggli: Pas seulement. Parce qu’en parallèle, nous produisons aussi des produits bien plus simples, comme les flyers pour la grande distribution. Chaque année, nous nous demandons si nous allons continuer à le faire. Et force est de constater que ces flyers sont loin de perdre leur attractivité. J’ai l’impression, pour ma génération – j’ai quarante ans – que nous en avons un peu marre d’être tout le temps sollicités par nos téléphones. Certains hôtels loueront bientôt plus cher des chambres qui ne sont pas connectées.
Je force peut-être un peu le trait, mais la tendance est nette: on a parfois besoin de se retirer, de faire un pas de côté, de se mettre en mode avion avec un beau petit livre. Là , on a une carte à jouer. Vous me direz que mon discours est biaisé, que je suis actionnaire dans une imprimerie et que mon discours détonne, je peux le comprendre. Mais il reste vrai qu’on a besoin de se calmer et de revenir à l’essentiel – ce que le papier permet. On n’est pas distrait quand on lit un roman. Mais quand la lecture se fait sur une tablette, il est difficile d’échapper à toutes ces petites notifications qui clignotent.
«on a besoin de se calmer et de revenir à l’essentiel – ce que le papier permet!»
Pensez au nombre de newsletter que nous effaçons – que devient le message? Il disparaît tout simplement à la poubelle. Mais nous sommes trop distraits par le numérique. Un algorithme permet certes de viser un individu bien précis, mais peut-être que cette personne n’en a plus envie, qu’elle aimerait plutôt feuilleter tranquillement un petit catalogue au lieu d’être agressée en permanence. Une marque horlogère avait cessé le print pendant deux ans et ils y reviennent pour redresser la situation.
Interview: François Othenin-Girard
Lire la première partie:
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