Baromètre suisse des PME: peu d’optimisme dans les arts et métiers
Public et privé: le mélange des genres
JÜRG GROSSEN – Le conseiller national bernois, président du PVL et fondateur du groupe parlementaire «Fair ist anders»,estime que les acquisitions d’entreprises par la Poste au détriment des PME sont inutiles, et que leur financement croisé pose problème. À ses yeux, la direction de la Poste serait bien inspirée de corriger rapidement le tir.
Journal des arts et métiers: À l’automne 2023, vous avez déposé une initiative parlementaire intitulée en substance «Entreprises fédérales en concurrence avec le secteur privé. Clarifier les règles du jeu» (23.462). Quelles entreprises fédérales visez-vous particulièrement?
Jürg Grossen: Il s’agit pour moi de mettre fin au «fouillis politique» qui règne en matière de concurrence entre les entreprises privées et les entreprises publiques. Je me sens engagé dans cette cause et je veux enfin des règles du jeu équitables, sans me concentrer spécifiquement sur une entreprise en particulier. Le besoin de clarification se fait sentir chez Swisscom et aux CFF. Dans le premier cas, la privatisation serait la prochaine étape logique, car Swisscom fournit 99% de ses services sur le marché libre et 1% dans le cadre d’un mandat issu d’un appel d’offres. Pour les CFF, il faut garder à l’esprit les avantages liés à leur patrimoine immobilier. Mais c’est la Poste qui s’est avérée être l’entreprise pour laquelle le besoin d’agir est de loin le plus grand.
Le Conseil fédéral souhaite s’en tenir au renforcement d’une «concurrence loyale» entre les entreprises fédérales et privées. Pourquoi cela ne vous suffit-il pas?
Il faut se réjouir qu’après des années, le Conseil fédéral s’engage lui aussi de plus en plus en faveur de cette clarification. Mais il le fait encore avec une certaine retenue et continue apparemment à considérer comme plus important de pouvoir verser les dividendes des entreprises publiques dans les caisses fédérales. À mon avis, il prend ainsi des risques trop importants sur le long terme et, surtout, ne tient pas compte de l’économie privée.
«une entreprise publique N’A PAS À intervenir sur des marchés COMME LA PUBLICITÉ ou les logiciels POUR LES PME, car CES marchéS NE SONT PAS DÉFAILLANTS.»
Quel est le problème concret dans le cas de la Poste?
Depuis de nombreuses années, et de manière croissante ces derniers temps, la Poste s’immisce dans des marchés où la concurrence fonctionne parfaitement et qui plus est, est assurée par des entreprises privées. Ce n’est pas le rôle d’une entreprise publique d’être active sur des marchés comme la publicité ou les logiciels pour les PME, car ces marchés ne sont pas défaillants. Mais surtout, le financement provient d’un marché protégé par l’État, ce qui n’est jamais très sain.
Quels «dépassements» concrets de la Poste vous énervent en particulier?
Dire que cela m’énerve serait exagéré, car ni moi personnellement ni mes entreprises ne sommes concernés par ces activités postales. En tant qu’entrepreneur avec trente et un ans d’expérience, je tiens cependant à créer des conditions fondamentalement optimales pour les PME. L’État doit se limiter au minimum et assurer les services de base là où le marché privé échoue. La vente d’assurances et d’abonnements de téléphonie mobile ne relève pas des services de base de l’État.
D’où la Poste tire-t-elle les fonds nécessaires à toutes ces acquisitions?
Le tout reste assez opaque. Les investigations menées auprès de la Poste ont clairement montré que bon nombre de ces acquisitions étaient finalement déficitaires. Il faut donc partir du principe qu’elles sont subventionnées par le service universel ou d’autres activités menées par la Poste. Ce qui aggrave encore la situation, car la Poste détruit la concurrence sans rien apporter au service universel. Dans le même temps, ses bénéfices sont en baisse depuis des années. De toute évidence, les acquisitions d’entreprises sont inutiles. Ce ne sont pas les nouvelles règles qui changent la donne, selon Alex Glanzmann, directeur général par intérim de la Poste, à la «Weltwoche». Il se trompe. C’est le rôle de la direction de la Poste qui est en question. Il faut inverser cette tendance, mais pas au détriment du secteur privé.
Comment définir les limites de la mission de la Poste? Dans quels domaines devrait-elle continuer ou cesser ses activités?
Le but de l’entreprise doit être précisé et restreint. La Poste doit continuer à transporter des lettres et des colis. Et bien sûr, elle doit et peut se numériser davantage. En revanche, elle ne devrait plus être autorisée à exercer que des activités reliées directement et étroitement, en amont ou en aval, à sa mission fondamentale. Et à condition que ces activités puissent être réalisées avec des moyens proportionnés et que l’accomplissement des tâches principales ne soit pas compromis.
La Poste doit-elle revendre les entreprises achetées ces dernières années, comme Livesystems?
La proposition d’adapter la loi sur l’organisation de la Poste laisse cette question en suspens. Celle-ci devra être résolue en cas d’acceptation. Je plaide en faveur de dispositions transitoires pragmatiques pour régler les acquisitions réalisées jusqu’ici. Mais j’imagine que la Poste peut se passer sans grande difficulté de ces écrans publicitaires Livesystems installés dans les stations-service et les transports publics.
Mais aujourd’hui, la direction de la Poste se plaint que sa mission fondamentale serait menacée si elle n’était pas autorisée à diversifier ses activités. Qu’en pensez-vous?
La direction serait bien avisée de corriger le tir en demandant au Conseil fédéral et au Parlement de lui confier un mandat plus clair. Et de définir un financement équitable et transparent pour y parvenir. Il n’est plus possible que la direction de la Poste se réveille le matin avec le sentiment que telle ou telle chose serait un service intéressant, décide immédiatement de mettre l’achat en œuvre et rachète des entreprises.
La tendance des structures paraétatiques – et pas seulement la Poste – à évincer les acteurs privés est marquée. Que faire?
Cette modification législative concernant la Poste permet de mettre en place des règles du jeu équitables au plan fédéral pour les cas les plus urgents. D’autres modifications pourraient suivre. Il est aussi nécessaire d’agir au niveau cantonal et, dans certains cas, communal. À Berne, la BKW s’était lancée dans le rachat d’entreprises dans plusieurs secteurs. Il est très regrettable de devoir légiférer et que les propriétaires, c’est-à -dire l’État, ainsi que les chefs de ces entreprises fédérales ne se rendent pas compte qu’ils se mettent eux-mêmes hors jeu en s’attaquant au secteur privé.
Le groupe parlementaire que vous avez fondé, «Fair ist anders» (l’équité, c’est autre chose, ndlr.), existe depuis 2021. Quels succès pouvez-vous présenter jusqu’à présent?
En tant que co-initiateur et fondateur de ce groupe parlementaire, je suis très fier que nous ayons réussi à faire progresser ce thème au niveau national, au-delà des clivages politiques. Nous avons déjà déposé plusieurs interventions et obtenu des majorités au Parlement. Mon initiative parlementaire est désormais la première à faire l’objet d’une mise en œuvre concrète.
Vous vous engagez également en faveur de salaires conformes au marché pour le personnel fédéral. Karin Keller-Sutter, ministre des Finances, constate des progrès dans ce domaine. Partagez-vous son avis? Et quelle contribution le personnel doit-il apporter pour alléger les finances fédérales?
Je suis aussi très heureux que l’on ait enfin compris que les salaires élevés dans l’administration font concurrence au secteur privé de manière déloyale. Le personnel fédéral doit être rémunéré correctement, bien sûr! Mais les salaires, combinés aux prestations supplémentaires, sont clairement trop élevés et doivent être corrigés. Le Conseil fédéral a accepté ma proposition. La mise en œuvre est en cours et je surveille de près si une réelle amélioration se produit ou si nous devons multiplier nos interventions.
Cela dit, il faut voir clairement que jusqu’ici, rien n’a été fait concernant les salaires élevés du personnel fédéral. Nous devons également examiner de près les indemnités de départ. Selon la presse, la Confédération a versé l’année dernière des parachutes dorés d’un montant de 2,9 millions de francs, soit un demi-million de plus qu’en 2023. Il est important de gérer nos impôts de manière responsable. Il reste donc encore beaucoup à faire.
Interview: Gerhard Enggist
TRAJECTOIRE
Des cordes Ă son arc
Jürg Grossen est codirecteur général et membre du conseil d’administration des sociétés elektroplan Buchs & Grossen AG, Elektrolink AG et Smart Energy Link AG à Frutigen. Il est conseiller national depuis 2011 et président du Parti vert’libéral suisse (PVL) depuis 2017. Jürg Grossen est aussi président de l’Association suisse de l’énergie solaire (Swissolar), de l’Association suisse pour la mobilité électrique (Swiss eMobility) et de l’association SmartGridready.Jürg Grossen (56 ans) est marié et père de trois enfants adultes. Il vit et travaille à Frutigen (BE). Ses loisirs sont le VTT, le ski de randonnée, le football, la guitare et les voyages.
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