Les tables rond-rond-rondes de Baume-Schneider
En politique, il faut avoir le courage de décider. Sinon, mieux vaut choisir une activité plus paisible. Ce conseil vaudrait pour plusieurs de nos conseillers fédéraux, dont la ministre de l’Intérieur, Elisabeth Baume-Schneider, qui semble souffrir d’une solide aversion pour toute prise de décision.
Dès qu’une difficulté apparaît, elle ne tranche pas. Elle convoque une table ronde. C’est devenu sa marque de fabrique. Une manière élégante de donner l’impression de «prendre la température», mais terriblement inefficace pour faire avancer le pays.
Pour avoir assisté à ces cérémonies typiquement bernoises, je peux en décrire le rituel. On se retrouve un matin dans une salle bien équipée, dans un rayon de dix kilomètres autour de la gare de Berne. Café-croissants, flipchart, présentations polies. On discute longuement jusqu’à trouver le plus petit dénominateur commun. À la fin, chacun se félicite d’un «consensus» qui ne résout rien, sauf à noircir quelques pages d’un procès-verbal. Quelques semaines plus tard, un rapport sort de l’imprimante. Il justifiera l’absence d’action.
Dernier exemple en date: mon postulat sur les certificats médicaux de complaisance. Sur le terrain, le constat est clair. Dans toute entreprise comptant plus d’un collaborateur, certains transforment le certificat médical en permis de vacances. Les médecins généralistes disent passer près d’un tiers de leurs consultations à en établir. Le marché du travail souffre, les employeurs s’en plaignent, les coûts explosent. Mais au lieu de produire la statistique exigée par le Parlement, la ministre a préféré réunir une table ronde. Autour de la table: un syndicaliste, un professeur, un médecin, des fonctionnaires, un assureur… et un employeur isolé. Conclusion unanime moins une voix (je vous laisse deviner laquelle): il n’y a pas de problème. À ce tarif, on peut réunir neuf hommes et une femme et conclure qu’un accouchement n’est jamais douloureux.
Chacun repart avec la même satisfaction, ou la même frustration: le résultat ne change pas. Surtout la ministre, ravie d’avoir «réuni les partenaires». On ne décide rien. Au mieux, on suggère de «sensibiliser les employeurs» aux moyens déjà connus pour lutter contre les abus. Merci pour la révélation. Comme on pouvait s’y attendre, cette cérémonie de la table ronde, incapable de mettre tout le monde d’accord, se conclut sur l’absence d’entente. Et donc sur l’absence de décision, de peur d’offenser l’un des participants. Une curieuse idée de la gouvernance.
Plus récemment, la ministre socialiste a récidivé sur les coûts de la santé. Nouvelle table ronde, nouvelle cérémonie, même scénario, même méthode Coué. À la télévision, tout en revendiquant de «ne pas être une spécialiste des caisses maladie» (on la croit volontiers), Madame Baume-Schneider s’est félicitée d’avoir obtenu 300 millions de promesses d’économies. Formidable. Les coûts de la LAMal atteignent 40 milliards par an et augmentent de 4 à 6% par année. Autrement dit, elle a trouvé 1% de promesses d’économies. Une performance de salon.
Face à l’explosion des primes, il faut des décisions, pas des tables rondes. Les coûts montent parce que les prestations s’empilent. Depuis que les psychothérapies sont intégralement remboursées, les dépenses ont bondi de 500 millions en deux ans. Et cela continue, au rythme terrifiant de 130 millions d’augmentation annuelle. Depuis 2019, les proches aidants sont rémunérés par l’assurance obligatoire. Si l’on renonçait à rémunérer un mari pour s’occuper de sa femme, on retrouverait peut-être un peu de raison dans un système devenu fou. Pour ne pas heurter les charlatans, on continue à rembourser avec nos primes des médecines dites «alternatives» qui ne sont que des alternatives à la raison.
Et l’on peut démultiplier les exemples. La Suisse a un problème de logement? Le DFI organise une table ronde. Le dossier électronique du patient n’avance pas? Hop! Une table ronde. Là non plus, n’attendons aucune solution concrète. Consulter est utile. Mais consulter n’exclut pas de décider, de trancher où ça fait mal.
Pour cela, il faut du courage. Il faut savoir dire non, refuser les cadeaux électoraux, affronter les corporatismes. Bref, gouverner. Mme Baume-Schneider ferait bien de changer de mobilier: troquer ses tables rondes contre quelque chose d’un peu plus anguleux, qui permette de prendre enfin des positions tranchées. La politique suisse en aurait grand besoin.
*Conseiller national (PLR/VS)
philippe.nantermod@parl.ch
