Publié le: 2 juillet 2021

A Champéry, entre deux orages

54ES JRAM – Retour sur les Journées romandes des arts et métiers à Champéry les 24 et 25 juin. La conseillère fédérale Karin Keller-Sutter a rappelé que numérisation et confiance vont de pair. Et encouragé les PME à avoir foi en elles-mêmes et en l’avenir.

La 54e édition des Journées romandes des arts et métiers (JRAM) sur la numérisation a eu lieu à Champéry. Accueillie chaleureusement, la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter a rappelé que numérisation et confiance allaient de pair. Elle a encouragé les PME à retrouver leur sérénité. «Nous venons de passer un test collectif. Les tensions ont été parfois très fortes. Nous devons à présent retrouver la confiance et réfréner nos doutes. Il n’y a pas de remède miracle pour cela, nous devons renouveler le dialogue. En tant qu’entreprises, vous avez un rôle à jouer dans le rétablissement de cette confiance», a-t-elle déclaré aux entrepreneuses et aux entrepreneurs des PME présents.

«La confiance a été le mot clé des différents débats et présentations, a souligné Fabio Regazzi, entrepreneur, conseiller national (Le Centre/TI) et président de l’usam. Pour les associations, il est nécessaire de communiquer les besoins des PME dans un monde numérisé en constante évolution.»

«Par rapport à d’autres pays, la Suisse est un leader en matière d’innovation», estime Alexa Krattinger, organisatrice talentueuse de cette manifestation depuis plusieurs années et spécialiste de fiscalité. Le monde numérique est toutefois en constante évolution. Il est par conséquent essentiel de toujours être «au top». Les PME suisses ne se contentent pas de rester dans la course: elles sont de toutes les échappées. Lors des JRAM, différents modèles de PME ont été présentés, de l’hôtel traditionnel à la start-up blockchain.

La conseillère fédérale et le président de l’usam ont échangé. Au second, l’animateur et journaliste Jérôme Favre a demandé s’il était content du travail du Conseil fédéral? «Nous avons été critiques, dans une démocratie c’est légitime, a répondu Fabio Regazzi. Je n’envie pas le Conseil fédéral d’avoir dû prendre de telles décisions. En tant qu’association, il est légitime de ne pas être d’accord et de le faire savoir démocratiquement, d’en débattre pu­blique­ment, de se confronter.»

Au tour de Karin Keller-Sutter: ces mesures antilibérales ont-elles été difficiles à prendre pour une PLR? «Oui, ce ne fut pas facile de limiter les libertés, mais il fallait protéger la population et les entreprises», a-t-elle répondu dans un français parfait, sans accent et avec une empathie qui a touché le public. «Cela n’a pas toujours été un plaisir et cela m’a beaucoup préoccupé. Durant une crise, le gouvernement doit être fort. Je comprends ce que dit Fabio Regazzi. J’ai eu de la pitié pour les restaurateurs, les artisans qui ne pouvaient rien y faire. Vos soucis pour payer les factures, payer le personnel …»

La Suisse cancre numérique?

Pour y répondre, Jean-Henry Morin, UNIGE: «En automne 2010, la conseillère fédérale Doris Leuthard tirait la sonnette d’alarme. Lors d’une journée numérique à Bienne, un expert a dit que la Suisse parlait trop et n’agissait pas assez. Pourquoi en est-on là? La Suisse souffre d’un complexe de supériorité. La mauvaise nouvelle est politique. Pourquoi un politicien prendrait la responsabilité d’un dossier aussi coûteux? Mais les lignes sont en train de bouger. On peut agir sur l’offre, sur les grandes entreprises. Un débat sur la responsabilité numérique émerge. La solution, ce n’est pas de faire des lois pour faire des lois, mais imposer tout de même une sorte de cadre.»

Vers un numérique responsable

Sur le même sujet, André Berdoz, vice-président de l’usam qui a participé huit ans au projet EasyGov: «Nous avons été extrêmement concrets dans notre appréciation. Durant la pandémie, nous avons mis une solution à disposition. Pour les crédits Corona sur cinq ans, 40 milliards ont été accordés en deux semaines. Il fallait 10 minutes pour remplir le questionnaire et 60 000 demandes ont été déposées en cinq jours. Une leçon à retenir, les petits patrons n’avaient souvent pas de réserves.»

Puis, ce fut au tour de Catherine Pugin, déléguée numérique à l’Etat de Vaud, de partager son expérience: «Dans le Canton de Vaud, la stratégie numérique a été créée en 2018. Souveraineté, démarche inclusive, gouvernance, transversalité, nous essayons de mettre en place un numérique responsable en posant les bonnes questions en amont, comprendre les besoins des collaborateurs et des usagers. Certaines personnes ont encore des problèmes pour ajouter un fichier à leur mail.»

Stiépan A. Kovac, CEO de QR Crypto à Fribourg: «La cryptographie est à la base de la sécurité informatique. Je parlerais de QRC pour sécuriser la 5G. Nous sommes à l’aube d’une révolution, les ordinateurs quantiques seront encore bien plus rapides. D’ici 2030, la cryptographie actuelle sera cassée. Il faudra tout adapter. Le plus important, c’est le standard X.1811 qui permettra de sécuriser la 5G. Et peut-être même la 6G, selon une spécialiste chinoise qui s’appelle Youh-Hou.»

Numérisation pour les PME

Ce thème fut abordé le jeudi après-midi avec Lennig Pedron, directrice de la Trust Valley. «Avec les cantons de Vaud et Genève, l’EPFL, les universités et Trust Valley, nous nous adressons aux start-ups et à notre tissu suisse des PME – avec quelques grandes entreprises. Nous préparons un programme d’accélération pour les PME.»

Mikael Huber, responsable à l’usam du dossier de la numérisation: «L’usam veut flexibiliser le droit du travail qu’il faut adapter au télétravail. Deuxième problème, la mise en réseau, les entreprises développent cela dans un silo, or il faut trouver des correspondances, développer l’interopérabilité. Avec le numérique, il faut développer des protections et travailler sur la sécurité. La cybercriminalité est un thème important pour l’usam. Il existe des instruments qui permettent aux PME d’aller se faire tester. Nous encourageons tout le monde à le faire.»

Alain Stegmann, Centre de formation professionnelle: «Je dirige un centre en Berne francophone avec deux mille élèves, 4 domaines, 34 métiers différents. Parmi les écueils, nos jeunes ont une facilité avec les réseaux sociaux et les jeux. Et une tendance au zapping. Comment les jeunes perçoivent le numérique? Ils ne le perçoivent pas, ils sont dedans. L’enjeu, c’est d’utiliser ces compétences aux plans professionnel et pédagogique, puis d’intégrer cela dans la formation.»

Maurizio Caon, HEG-FR: «La transformation numérique est d’abord humaine. La nouvelle génération, pense-t-on, va résoudre les problèmes. Il suffirait d’attendre. Mais en fait, tout le monde est utilisateur. Ce que nous voulons, c’est résoudre des problèmes complexes avec ces outils et de manière créative. Nous avons mis en place un groupe interdisciplinaire de recherche sur le numérique. Un premier instrument leur permet de se situer où ils en sont, s’ils ont une stratégie. Pour les entreprises, c’est comme une visite sur le psy. Cela stimule la réflexion.»

Joël Dumoulin, Idiap: «En Suisse, on est fort, mais évitons les excès de confiance. On a tout ce qui faut pour aller vers l’excellence. A l’Idiap, on fait de l’intelligence artificielle depuis l991, avec 14 groupes de recherche aujourd’hui. Pour les PME, l’intelligence artificielle prend du temps et coûte notamment pour la collecte de données. Nous proposons un master qui permet de se faire une idée plus claire sur ce qu’il est possible de faire au niveau de l’entreprise.»

Gil Grandjean, Swisscom: «Notre but est de conscientiser les PME assez tôt. C’est un long processus, il faut beaucoup y réfléchir, ne pas forcer les choses, changer une mentalité prend du temps, 6, 8, 12 mois. Nous proposons du conseil, de l’audit, de l’assessment. Chaque secteur a ses propres problématiques. Comme provider de solution, nous devons nous intégrer. Depuis 1 année et demie, il y a beaucoup d’attaques. C’est la sécurité qui prime aujourd’hui. Je me réjouis qu’on puisse parler de choses plus positives, d’intelligence artificielle.»

Se libérer des monopoles

Line Pillet, HES-SO VS et Femmes PME Suisse romande: «La distance a été opérationnelle et relationnelle. La technologie nous a permis d’effectuer cette transition. Un enjeu, ça a été de me faire confiance, et de faire confiance aux gens. Trouver d’autres manières de faire confiance. Et cela vaut la peine. Souvent par intelligence, on entend la dimension analytique, mais il y a aussi l’intelligence créative. Le défi, c’est d’intégrer les technologies dans une stratégie globale au service du bien commun. Favoriser une économie de proximité basée sur la confiance. Travailler dans des écosystèmes décentralisés pour se libérer des monopoles qui étouffent la concurrence et nos libertés.»

Camillia et Lara Berra, Hôtel Suisse Champéry: «Nous avons repris l’hôtel et entamé une réflexion sur le développement autour de l’hôtel qui reste central. Sur la numérisation? Le problème c’est que cela nous donne beaucoup plus de travail. Au final, nous sommes connectées en permanence. Nous avons fait un projet pour augmenter la digitalisation et notre modèle d’affaire est en train d’évoluer, avec notamment des séminaires. Tout en gardant ce contact pour que nos hôtes comprennent que nous sommes avec eux sur place.»

Pascal Meyer, Qoqa: «Il y a cette tension, d’un côté les gens veulent être visibles et référencés. De l’autre, ils ont la trouille de se faire pirater. Il ne faut pas penser que l’on perd la proximité avec les gens en étant digitalisé. Mais le digital, ce n’est pas se limiter à Facebook. On a lancé plusieurs initiatives pour aider les petits commerçants à se digitaliser.

Contre les cyber-attaques, nous mandatons une société externe pour faire un rapport – en prévenant plutôt qu’en guérissant.»

Caroline Matteucci, Cryfe: profileuse, intelligence artificielle. «Je suis observatrice de l’humain qui ne peut pas ne pas communiquer. Il y a le rôle social et l’authenticité. Toute la question, c’est de rencontrer l’autre tel qu’il est, avec ses failles. Nous allons analyser la voix et la gestuelle sur la base d’interview. L’humain est relié, c’est donc le dernier écosystème.»

Frédéric Despont, Icube SA: «J’ai envie de parler de ski. On peut commander notre paire de ski en ligne. On peut utiliser le numérique pour reconnecter les gens. Le monde numérique, il faut y entrer par petits pas. On a mis en place des petites valises d’outils. Un artisan qui n’a pas les moyens peut même faire de la maintenance prédictive.»

Formation: accélérer le processus

Jean-Pierre Perdrizat, IFFP: «Sur le développement des métiers, des plans de formation, on nous demande souvent combien de métier existeront encore dans quinze ans et quels sont les métiers futurs? C’est l’économie qui dicte le rythme de ces évolutions. Cette évolution est toutefois beaucoup plus rapide, à un rythme annuel. Or il faut du temps pour développer un métier, parfois six ans, ce qui est trop lent. Nous devons donc accélérer le processus. Il faut par ailleurs que nous prenions encore plus en compte les besoins des entreprises et pour cela nous avons besoin de tels outils.»

Isabelle Collet, UNIGE: «La non-mixité dans les hautes écoles: en informatique de gestion, seulement 18% de femmes. Est-ce un problème? Pour les femmes oui, ce sont des métiers porteurs. Nos étudiantes suisses en sont-elles capables? Oui, selon les études Pisa. En ont-elles envie? Pas forcément! La socialisation différente des filles et des garçons: le garçon sur cette image tient un fichier de math et la fille regarde. On ne changera pas la donne simplement avec de la sensibilisation. Il faut agir sur les institutions. En l’espace de 2-3 ans, on a passé à 40-50%. La formation des enseignants aux questions de genre en informatique est un facteur important.»

Le boulanger et l’IA

Pierre Dillenbourg, EPFL:«Le machine learning, c’est apprendre en comparant des exemples positifs. A l’EPFL, nous avons 44 cours sur le sujet qui s’est de plus en plus spécialisé. Mais je travaille aussi depuis des années avec les charpentiers, les jardiniers, les peintres. Prenons le boulanger, que doit-il connaître sur l’IA? Marius fait la meilleure cuchaule. File d’attente, je rentre chez moi sans cuchaule. Motif de divorce. Marius pouvait-il le savoir? Oui, car il sait combien il a vendu l’année passée, la météo, un dimanche de votation, etc. C’est assez facile. Mais c’est juste attitude qui consiste à observer ses données, pour un professionnel. Il faut donner ces compétences à nos boulangers pour qu’ils aient leurs chance face aux multinationales. On peut former des élèves à la pensée algorithmique sans ordinateur. Il ne s’agit pas de coder, mais de former des citoyens.»

Solange Ghernaouti, Swiss Cybersecurity Advisory & Research Group (SCARG): «Nous avons mis le monde en données par des traitements mathématiques. Nous avons médié nos connaissances et nos habitudes. Toute la société est réorganisée par des programmes informatiques. (Son caniche, arpente la scène). Mon chien, c’est mon assistant numérique, il est pucé. Il renifle les virus informatiques! Bientôt, nous serons aussi tous pucés. On est le fruit de cette évolution. Mais on peut questionner ces avancées technologies pour qu’elles se traduisent aussi en avancées sociales et humaines. Nous sommes en train de devenir des instruments qui captent des données. Les acteurs du numérique se concentrent sous la forme de plate-forme. Nous devons intégrer des démarches de protection car nous sommes potentiellement en relation avec des gentils et des méchants.»

Dominique Vidal, SecuLabs: «Aujourd’hui, nous vivons le développement du cloud professionnel. La complexité est aussi valable pour le pirate, c’est l’aiguille dans la botte de foin, pour trouver une faille, une erreur exploitable. J’ai fait dix ans de concours de hacking. Pour être pertinent sur la défense, il faut être pertinent sur l’attaque. Quel est le but des attaquants? Ils veulent gagner de l’argent facilement sans prendre de risque, ni aller en prison. Dans les tendances, sur les cryptomonnaies, il y a le phénomène du blanchiment électronique d’argent. Autre tendance, sur les VPN, on paie quelques dollars et on a la possibilité d’être anonyme. C’est un scandale.»

Sheraz Ahmed, Storm Partners: «Le Bitcoin créée en 2009 est arrivé en Suisse en 2013. En 2015, Ethereum a été créée à Zoug. En 2018, la Finma a classé une classification avec deux autorisations données en 2019. En 2021, la Finma a approuvé le «security token». Aujourd’hui le secteur comprend 960 sociétés en Suisse, dont la moitié à Zoug, qui totalisent 5184 emplois et 11 licornes. La Suisse offre de la stabilité et de la confiance, en plus du Swiss made. C’est vrai que nous sommes aussi un peu plus lent.»

Emilie Raffo, ChainSecurity: «Nous sommes une entreprise de cybersécurité dans la blockchain. On audite le code des logiciels avant de sortir, pour éviter les failles. Toutes les informations, vous ne pouvez pas les vérifier vous-mêmes. En auditant le code, nous pouvons nous assurer que la cryptomonnaie fait bien ce qu’elle promet. Sur Ethereum, ce qui est intéressant, c’est la finance décentralisée qui n’existe que sur la blockchain. On peut placer la cryptomonnaie sur un compte d’épargne et de générer des intérêts ou de l’utilisation comme un collatéral. Tous les codes sont open source. Donc il y a énormément de risques liés à cela. J’ai du reste écrit un livre sur ce sujet qui s’intitule ‹Le futur des espèces›.»

Julian La Picque, Uncrypted: «Qu’est-ce que la blockchain? On est concerné par les 3 «D»: la Digitalisation, la Décentralisation et la Décarbonisation. La blockchain répond à ces trois préoccupations. Quel lien avec les cryptomonnaies? Le bitcoin utilise l’écriture digitale de la blockchain – qui est la technologie sous-jacente des bitcoins. Le bitcoin est extrêmement volatil et il dépend totalement du marché. Beaucoup de cryptomonnaies ne présentent pas la stabilité caractéristique d’une monnaie étatique. Avec la jetonisation, on peut ouvrir son capital, comme lors d’une entrée en bourse. C’est donc une possibilité d’avoir un financement externe.»

Allocution de clĂ´ture

Fabio Regazzi, président de l’usam: «Merci d’être venus à ces JRAM. Karin Keller-Sutter a rappelé l’importance de regagner la confiance. C’est la priorité absolue. Le débat sur la Suisse comme cancre numérique a montré que nous sommes premiers sur beaucoup de point, mais que nous devons rester vigilants sur le retard à rattraper, en faisant la part belle aux débats. Il ne faut pas numériser pour numériser. Les discussions ont mis en évidence le rôle de l’usam dans le développement de la formation professionnelle. Il faudra collaborer tous azimuts. La sécurité numérique est un facteur important et nous devons informer et sensibiliser les PME. Le numérique relève surtout des compétences humaines, en intégrant aussi mieux les femmes dans les IT. Enfin, le monde des cryptomonnaies est fascinant et la Suisse a un rôle important à y jouer. Nous sommes aussi très heureux d’avoir pu nous rencontrer en présentiel. Les prochains JRAM auront lieu jeudi 23 et vendredi 24 juin 2022.»JAM

 

www.sgv-usam.ch/jram21

Articles approfondis

Les plus consultés