Publié le: 7 octobre 2022

Alchimie cacaotière et bon sens

langel – Le chocolatier Sébastien Langel et son épouse Patricia cultivent cette confiance en leur savoir-fairequi fait florès dans l’artisanat. Ne pas voir trop grand, savoir refuser des mandats qui pourraient tout bousculer. Et apporter quelque chose à une vieille ville de Bienne qui retrouve peu à peu son dynamisme.

Alors que tout le monde s’arrache les cheveux en pensant aux factures énergétiques (lire nos pages spéciales sur la durabilité, 3e cahier), certains acteurs tirent leur épingle de ce jeu post-pandémique. En vieille ville de Bienne, la première enseigne que l’on cite en exemple au nouvel arrivant curieux des trésors de l’artisanat local, c’est la chocolaterie Langel. Son enseigne est accrochée (façon de parler) juste en face de l’Eglise. Dans ce monde devenu complexe, les chocolatiers semblent tirer leur épingle du jeu.

«Juste un peu de gaz»

«Les enjeux énergétiques restent limités car nous n’avons qu’un petit local, explique Sébastien Langel. Nous éteignons la vitrine pendant la nuit et nous n’avons pas de four, c’est une chance, contrairement aux confiseurs (lire p. 24). La réfrigération s’utilise seulement quand nous avons besoin de refroidir des produits. Nous n’utilisons presque pas de chauffage, c’est normal avec le chocolat. Juste un peu de gaz pour cuire certaines préparations.»

Incroyable. Autre atout, Sébastien et son épouse Patricia tiennent la boutique de manière très polyvalente. Lorsqu’elle est occupée à l’emballage, c’est lui qui sert la clientèle. «Du coup, c’est pratique, parce que quand un client arrive avec une demande spéciale, je peux comprendre exactement ce qu’il veut.» A quoi s’ajoute le charme de voir de ses propres yeux comment le chocolatier exerce son métier, tout ce qu’il y a à voir, à sentir, les couleurs – et bien sûr les goûts des spécialités! «Le chocolat à 70% marche bien et nos Pavés de la vieille ville remportent un certain succès».

La cosse ne s’emballe pas

A propos de pénurie, comment cela se passe avec les matières premières? «Nous avons constaté certaines hausses, mais cela concerne surtout les emballages, le carton et le plastique. Pour le reste, les frais de transport sont répercutés, mais les prix du cacao sont restés stables, par comparaison avec le café. Nous sommes plutôt confiants: le seul changement concerne deux ou trois crus peu demandés qui ont été retirés de l’assortiment de nos fournisseurs.»

Tout le travail du chocolatier biennois s’effectue à la main. Les fèves exportées d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale sont importées et les chocolats de couverture sont entre autres préparés par l’entreprise Felchlin à Ibach (Sz) en Suisse centrale. Ils sont ensuite livrés sous la forme de pistoles, car ces dernières s’avèrent plus facile à préparer.

Envies de voyage

«Nous ne travaillons pas la fève, car cela demande d’immenses machines très compliquées. En revanche, nous avons un immense respect pour tout ce qui se passe en amont dans la production des fèves. Et une grande confiance dans nos partenaires qui sont en mesure d’évaluer les conditions de production sur place.» Les clients posent bien sûr de plus en plus de questions sur ces sujets, c’est l’esprit du temps.

Sébastien aimerait bien un jour aller voir sur place comment cela se passe. Et, pourquoi pas, participer à la récolte. Jusqu’ici, les travaux exigeants durant la période hivernale n’ont pas rendu ce rêve possible.

Apporter quelque chose Ă  Bienne

Ils se sont mis à leur compte après en avoir rêvé, un soir à table. Lui est pâtissier-confiseur de formation et elle s’est spécialisée en comptabilité. Ils se lancent en 2010, avec prudence. Patricia garde son job le temps de s’assurer que les choses démarrent. Le tout en cultivant à fond l’esprit local.

C’est somme toute, en plus de la qualité des produits et de cette alchimie à l’accueil, ce qui fait le succès d’un grand petit chocolatier qui va jusqu’à s’excuser de devoir refuser de trop grandes commandes de dernière minute, juste avant Noël. Pour ne pas se perdre en route. Les entreprises ne manquent pas dans la région et bien sûr, les cadeaux de fin d’année produits par un artisan local convoient le message juste qui parle à des papilles bien ciblées. «Là aussi, nous travaillons surtout pour des entreprises moyennes et pour de petits événements.»

Un état d’esprit

Auraient-ils eu, comme d’autres dans la région, la possibilité de vendre leur entreprise. «Une fois, des gens nous ont proposé de produire des chocolats pour Dubaï. Il nous aurait fallu en faire tellement que nous aurions pu cesser toute notre activité ici à Bienne, raconte Sébastien. Mais cet état d’esprit n’est pas le nôtre. A la base, nous voulions apporter quelque chose à cette vieille ville. Avec les années, elle reprend des couleurs et les locaux qui étaient vides lorsque nous avons commencé accueillent d’autres couples d’artisans qui entretemps se sont lancés.»

Pourquoi choisir ce métier? «Tout petit, j’étais déjà attiré par les pâtisseries que faisait ma mère. Je voulais vraiment comprendre comment ça se passait. Mais la passion pour le chocolat est venue durant mon apprentissage: c’est un produit qui permet à la fois d’être très créatif et d’inventer de nouvelles choses. En même temps, il exige une immense précision pour les températures.»

La créativité, cela se fait aussi à deux. Une promenade, on cogite, parfois même en vacances, tant il est difficile de s’en déprendre. Patricia et Sébastien phosphorent sur cette surprise de fin d’année, un animal dingue à mettre en vitrine. «Cette année, il pourrait même avoir des cornes!»

Et pour la suite, des rêves fous? «Non, cela peut continuer comme ça, sourit le chocolatier de 44 ans. Le rêve, c’est ce que nous vivons maintenant.» Beaucoup de sagesse chez ces artisans.

François Othenin-Girard

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