Publié le: 4 mai 2018

Aline et les superpouvoirs

INSPIRATION – «Née en Valais, mais originaire du Pays d’Enhaut, ayant vécu à Vienne, Zurich et Genève», Aline Isoz monte en force dans les réseaux sociaux et les médias. Elle parle numérique, mais sa langue est celle du bon sens, de l’audace, de la confiance.

Aline Isoz, ça commence avec un grand A. Et par une vertigineuse ascension oratoire – un caractère développé en famille dès sa plus tendre enfance. Donc à la première question, elle répond du tac au tac…

JAM: Que regretteriez-vous de ne pas avoir fait en étant à la retraite et en jetant un regard sur ces années qui vont venir?

■ Aline Isoz: Ne pas avoir fait preuve d’audace. La vie est courte. On n’en a qu’une. Cela reste insignifiant dans l’absolu universel. A quoi bon ne pas prendre de risque?

Jusqu’ici, avez-vous fait tout ce que vous aviez envie de faire?

■ L’une des clés, c’est de ne pas croire qu’il y a un bon moment pour faire les choses. Le bon moment, c’est quand on décide que c’est le bon moment. Ne pas attendre que toutes les planètes soient alignées, que l’horoscope le confirme, que le compte bancaire soit au vert. Donc pourquoi ne pas monter son entreprise quand on est en pleine séparation, que ses finances affichent une belle couleur rouge vif et que l’on se retrouve dans une «mouise» pas possible? Il faut faire les choses quand on les sent!

«le superpouvoir qui va bien avec le numérique, c’est le don d’ubiquité.»

Au loin un motard accélère plein gaz et pétarade dans l’après-midi lémanique. Nous sommes sur la grande terrasse de l’EPFL. Le soleil brille. Aline, c’est la super Romande qui n’en finit pas de monter en force. Chevauchant les réseaux sociaux, elle pourfend la bêtise. On la croise comme invitée VIP lors des grands rendez-vous de l’économie romande. Elle virevolte d’un plateau TV à une journée prestige numérique à l’EPFL, captive les huiles des fintechs helvétiques. Mais comment fait-elle? Eh bien, elle se prépare, elle creuse profond en amont. Elle cherche à comprendre avant de passer à l’action. Et à force de percer des galeries, ça gagne en sens. Car Aline Isoz, ça finit aussi par un Z qui signifie «elle est vivante» en grec classique. Une interview superpouvoirs s’imposait.

Quand vous étiez petite, que n’auriez-vous fait en aucun cas?

■ Ce qu’on me disait de faire! (Elle éclate de rire). Respecter les règles – le «ça fonctionne comme ça» – c’est une phrase que je déteste! J’ai fait des choix scolaires pas évidents. On me disait super douée en lettres: je me suis inscrite à HEC par esprit de contradiction, pour me faire virer après une année. On me disait de ne pas fréquenter certaines personnes, je le faisais évidemment. Je me baladais dans les cimetières contre l’avis de mes proches. J’avais un grand besoin d’expérimenter par moi-même et pas envie de croire ce que les autres me racontaient. J’ai continué d’appliquer ce principe.

Alors vous faites le contraire?

■ Je crée ma voie. Une machette à la main, je trace mon chemin. Parfois, je tombe sur un sentier qui existe déjà, parfois il n’existe pas. Ou bien c’est une autoroute.

De quelle héroïne l’aventurière que vous êtes se sent-elle proche?

■ J’aime la Ligue des justiciers, les Cinq fantastiques. Il y a des moments où certains superpouvoirs sont plus utiles que d’autres. Être super riche par exemple, c’est un beau superpouvoir. Mais il vaut mieux en disposer de plusieurs. Nous en avons tous, mais sans forcément en être conscient. Ou bien on ne les développe pas. Comme superpouvoir, je vois aussi l’instinct, notamment si on sait écouter ce qu’il nous raconte.

«en famille, ça échangeait sec et c’est ce qui vous forme!»

Quels sont vos superpouvoirs?

■ Le culot en est un. Et je n’en suis pas dépourvue! Parmi ceux que je découvre avec les années, il y a le superpouvoir politique. Cette capacité à louvoyer, slalomer, à choisir le moment et que dire devant qui. Il y a encore le superpouvoir qui va bien avec le numérique, c’est le don d’ubiquité. Cette possibilité d’apparaître à plein d’endroits en même temps. Je peux être à une conférence et en même temps sur les écrans de facebook live. Un autre superpouvoir que j’ai qui est vraiment cool, c’est le pouvoir de convaincre.

Vous l’aviez en vous ou vous l’avez développé?

■ Je disposais d’une bonne capacité d’élocution et d’un bon art rhétorique de base. Dans la famille Isoz, l’art d’argumenter est un instrument de survie essentiel. Nous discutions beaucoup, nous nous disputions. Ça échangeait sec et c’est ce qui vous forme. J’ai un père qui a des opinions bien tranchées. Quand nous lancions quelque chose, il nous défiait. Il fallait argumenter nos points, aller au bout de notre raisonnement. Je t’explique, tu reréfléchis. Tu es d’accord, mais d’accord sur quoi? Qu’est-ce qui te fait dire cela? Mes parents nous ont donné une très bonne culture générale. Cela a permis d’étayer la diversité des opinions à table. J’ai un frère avec lequel ça continue d’argumenter sec. Avec les années, ce sont des compétences que l’on améliore et que l’on enrichit par des rencontres, parfois des rencontres littéraires. On découvre de nouvelles façons de vivre, d’amener des messages. C’est pour cela que j’adore donner des conférences, être devant des audiences, des séminaires, il y a là toujours ce défi de savoir si on va être capable de faire passer le message que l’on veut.

Savez-vous à l’avance quelle question on va vous poser?

■ Non, j’aime bien me laisser surprendre. Georges Marchais, l’ancien leader communiste français, disait que les gens venaient avec leurs questions et lui avec ses réponses.

«ne pas se laisser entraîner par la surenchère et les solutions apoca­lyptiques.»

Qu’apportez-vous aux autres?

■ Du bon sens. Nous disposons de plein d’experts qui s’expriment sur tout et son contraire. Pourquoi se fier aux experts plutôt qu’à soi-même. Donc j’ai tendance à ramener les gens à leur fondamentaux et à leur faire prendre du recul pour analyser avec eux la situation. J’essaie de faire preuve de bon sens, ce qui marche pour lui ne marche pas pour elle. Et dans mon activité de conseil aux entreprises, c’est la même chose. J’apporte avec moi cette capacité à ne pas se laisser entraîner dans une grande aspiration conduisant à la surenchère, aux solutions apocalyptiques, ou alors dans un positivisme totalement débile. Donc de les aider à rester ancré dans le sol. Et pour ma part, je suis plutôt droite dans mes baskets. Cela doit rassurer les gens. Je donne de la confiance et récolte de la confiance. C’est le fondement dans tout le domaine du numérique: les utilisateurs doivent avoir confiance dans les plate-formes car, sans cela, le modèle est immédiatement remis en question. Et partant, l’idéologie de départ est elle-même basée sur cette confiance, sur une gouvernance décentralisée, une responsabilité individuelle, mais dans un intérêt collectif.

«Je donne de la confiance et récolte de la confiance. C’est le fondement dans le numérique!»

Quel superpouvoir faut-il avoir dans les débats politiques?

■ La punchline! Lors du débat Mitterrand-Chirac, par exemple, cet instant où Chirac réplique qu’en ce soir de débat, il n’est pas le Premier Ministre, mais un candidat face à un autre candidat. Et François Mitterrand, magistral: «Mais vous avez tout à fait raison, Monsieur le Premier Ministre!» C’est extraordinaire! Je suis fascinée par l’art oratoire. Le débat d’idées est une chose. Mais au-delà, il y a cette capacité à les exprimer de façon percutante, comprendre l’intention au-delà de l’idée, la façon dont vous portez le message. Certains coups vous mettent K.-O.

Rencontre: 
François Othenin-Girard

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