Publié le: 2 octobre 2020

«Attention aux attaques sur les PME!»

DAMIEN COTTIER – Le conseiller national (PLR/NE) commente les résultats des votations du 27 septembre et incite à une grande prudence dans les attaques que la gauche fait peser sur les conditions-cadres.

Journal des arts et métiers: Quel est votre état d’esprit au lendemain du 27 septembre?

Damien Cottier: Le rejet extrêmement clair de l’«initiative de limitation» est un très bon résultat. Il est rassurant de voir que la population a confirmé son attachement à la libre-circulation et à la voie bilatérale. C’est certainement le vote le plus important de la législature. Cela nous sort de toutes ces années de débats sur la libre-circulation, attaquée par l’UDC d’abord de manière indirecte, en 2014, puis directe avec ce texte. Je me réjouis du résultat romand, de Neuchâtel en particulier qui, avec 71%, dit non le plus fortement en Suisse avec Bâle-Ville. Ce sont d’ailleurs les deux cantons les plus exportateurs!

Faut-il – comme certains médias se sont empressés de le faire – en tirer des conséquences immédiates sur l’accord-cadre?

Non, je ne le pense pas. Les deux sujets doivent être maintenus décorrélés, le vote en faveur du maintien de la libre-circulation n’implique pas un soutien à l’extension des accords avec l’UE. Reste que dès aujourd’hui le débat sur l’accord institutionnel est relancé. Et c’est un débat essentiel. Nous devons nous demander si demain, nous voulons pouvoir développer la voie bilatérale à de nouveaux pans d’accès au marché – par exemple l’électricité, peut-être un jour l’Europe digitale ou les marchés financiers. Ou si nous prenons le risque d’une voie bilatérale statique dont l’importance risque de s’éroder au fil des ans. Ce débat sera difficile, car il nous faudra nous projeter dans un horizon temporel plus large, d’une dizaine d’années, avec cette question: acceptons-nous une solution institutionnelle pour que la voie bilatérale reste pertinente à long terme ou prenons-nous le risque de la laisser perdre en pertinence? Ma conviction est qu’en politique il faut avoir le courage d’affronter les questions importantes, même quand le débat est difficile.

Vous vous êtes intéressé – une motion au Parlement – au Brexit, qui connaît aujourd’hui une situation de blocage. Qu’est-ce que cela signifie pour la Suisse et nos entreprises?

Le Royaume-Uni est le quatrième partenaire économique de la Suisse. Son économie est libérale et son état d’esprit pragmatique, comme la Suisse. Autant de raisons d’essayer de développer le commerce dans des domaines – par exemple les services financiers – qui présentent des opportunités que l’UE n’offre pas.

Du Brexit lui-même, nous avons appris au moins deux choses. D’abord qu’il n’est pas facile de négocier des exceptions avec l’UE, ce que nous savions depuis longtemps. Mais avant, nous étions un peu solitaires dans cette situation. Avec le Royaume-Uni, et l’arrivée aussi de pays comme l’Ukraine qui souhaitent une relation commerciale forte sans forcément adhérer, nous assistons à l’émergence d’une certaine diversité de profils de pays en Europe, ce qui, peut-être, nous aidera à long terme. A court terme, le Brexit nous a plutôt desservis, car l’UE ne voulait pas accepter des solutions pour la Suisse qu’elle aurait ensuite dû concéder au Royaume-Uni.

Mon deuxième point, peut-être le plus crucial, c’est que les questions de politique européenne peuvent peser de manière essentielle sur la cohésion d’un pays. Le Royaume-Uni a connu de véritables implosions de son système institutionnel – avec des blocages inédits au Parlement et dans les relations entre pouvoirs – et la cohésion des Quatre Nations qui constituent le pays est même menacée. Des tensions internes comme on en a rarement vu dans toute l’histoire de ce pays qui pourtant en a connu de toutes les couleurs! En 1992, la Suisse s’est elle aussi retrouvée dans une situation de tensions entre les régions linguistique, la ville et la campagne, entre les partis. Avec la voie bilatérale, ces tensions se sont ensuite atténuées. Il est bon de se rappeler qu’en dehors de la voie bilatérale, il n’existe pas de perspective commune en matière de politique européenne. La voie bilatérale est donc un garant de notre cohésion nationale. Raison de plus d’y prendre garde et de se réjouir du résultat très net du 27 septembre.

«les questions de politique européenne peuvent peser sur la cohésion d’un pays.»

Voici donc un péril évité. Qu’en est-il de la tempête qui a lessivé notre économie? Quelles sont les priorités pour redémarrer Neuchâtel et l’Arc jurassien?

La première fut de tenir le cap avec les mesures d’urgence puis la Lex Covid et de passer à travers ce gros «trou d’air» économique. Comme nous sommes très exportateurs à Neuchâtel et dans la région, nous avons été particulièrement et immédiatement frappés. L’extension des RHT, l’aide aux indépendants et les mesures pour cas de rigueur permettent d’en atténuer les effets. L’Etat a joué son rôle en aidant les entreprises saines tout en cherchant à éviter les effets d’aubaine. Mais à partir de là, c’est la bouteille à encre, car les marchés asiatiques, américains et européens ne redémarreront pas de sitôt. Quand redémarreront-ils et à quelle vitesse? Tout est suspendu à l’évolution de cette pandémie, des mesures qui seront prises dans les pays, plus ou moins drastiques. Prévoir est particulièrement difficile.

Pour la suite, il faudra réapprendre à se positionner et à redéfinir des axes. Il faudra en particulier s’attaquer à cette révolution industrielle 4.0 qu’est la numérisation. Neu­châtel devra se doter à cet égard d’une véritable stratégie, ce qui n’est pas assez le cas aujourd’hui.

A quand le retour d’une vraie promotion économique à Neu­châtel, qui jouait un véritable rôle précurseur dans les années 1980 en établissant un modèle d’un genre nouveau?

Ces années-là se sont en effet caractérisées par une forte proactivité et un grand dynamisme qui me semble faire défaut aujourd’hui. Je ne dirais pas qu’on a fait tout juste à cette époque et les aménagements fiscaux, tels qu’ils étaient pratiqués alors, ne pourraient plus se faire de nos jours. Par ailleurs, on a fait venir des entreprises qui n’avaient pas suffisamment d’implantation dans la tradition économique locale – typique­ment Silicon Graphics à Cortaillod (1989-2001, ndlr) – ni de terreau pour se développer. Et qui sont ensuite reparties. Est-ce ce que cela en valait la peine?

Récemment, j’ai réalisé que dans un certain domaine, celui de la crypto­monnaie, une dizaine d’entreprises étaient implantées dans le canton. Mais personne ou presque ne s’en était rendu compte! Cela s’est fait un peu par hasard, parce que la législation suisse est intéressante, par le terreau industriel, puis pour des raisons familiales liées à la région. Et d’autres entreprises se sont regroupées autour des premières. Et tout cela sans soutien spécifique des autorités, ni même que ces dernières soient conscientes du phénomène.

Je ne suis pas un inconditionnel de la cryptomonnaie mais cela me semble révélateur. Que voulons-nous développer, quels moyens voulons-nous y consacrer? Quelles sont les priorités dans le domaine numérique? Veut-on saisir cette chance? Offrir des conditions-cadres spécifiques? Un autre exemple: une entreprise qui développe un parc de serveurs s’est installée à La Chaux-de-Fonds où elle profite du savoir faire industriel et… des basses températures pour refroidir ses installations plus écologiquement! Mais elle a même dû un peu batailler pour obtenir les autorisations… Nous devrions au contraire l’accueillir à bras ouverts!

Quelles sont les menaces qui planent actuellement sur les conditions-cadres des PME en Suisse?

J’en vois plusieurs qui se profilent à brève échéance – autour des prochaines votations – et à plus longue échéance. Le GSSA a lancé une initiative à visée pacifique qui veut empêcher le financement des entreprises par les institutions de prévoyance et la BNS, mais les banques seraient également visées à terme. Nous voterons à ce sujet le 29 novembre. Le critère? Dès qu’une entreprise réalise 5% du chiffre d’affaires annuel en lien avec l’armement.

«PME actives dans la cryptomonnaie à neuchâtel: personne ne s’était rendu compte de leur arrivée!»

C’est un critère difficile à appliquer pour les investisseurs parce que le plus souvent, quand c’est le cas, on ne le sait pas: les entreprises ne communiquent pas forcément la ventilation de leur chiffre d’affaire par secteur. Et cela peut changer d’une année à l’autre, parfois à court terme en cours d’année. Or il peut s’agir de milliers d’entreprises sous-traitantes qui chacune traite tantôt une pièce, parmi des dizaines de milliers, un composant électronique, optique, mécanique. Ces PME sont parfois actives dans d’autres domaines, comme l’horlogerie ou l’électro-mécanique de précision, mais elles ont un client, pour un produit spécifique, lié à l’armement. Elles auraient alors un accès restreint aux capitaux, d’autant plus que les investisseurs risquent de devenir hyper-prudents pour ne pas violer la loi. Dans toute la branche des MEM, on risque de faire face à un problème de financement. Pour l’Arc jurassien, ce serait un vrai problème.

A cela s’ajouteraient des difficultés dans les institutions de prévoyance, la complexité du travail d’investisseur serait hérissée de difficultés. Ce qui renchérirait les coûts d’exploitation. Les caisses de pension ne pourraient plus participer à des fonds de placements internationaux qui regroupent des milliers d’entreprises: impossible ici de vérifier qui dépasse ce seuil de 5%.

La deuxième initiative est celle des jeunesses socialistes qui veut imposer d’avantage le capital et moins le travail (initiative dite «99%»). Ce texte oublie que le capital est un outil de travail pour les entrepreneurs. Rejetée nettement au National, elle pénaliserait notamment les PME familiales au moment de la trans­mission ainsi que les start-ups. Et elle oublie que la fortune est déjà fortement taxée en Suisse.

Votre conclusion?

Je pense que nous devons vraiment faire attention à nos conditions-cadres. Il y a toute une série d’initiatives de la gauche qui visent à les péjorer. Dans la situation économique déjà extrêmement tendue que nous connaissons, nous devons être particulièrement vigilants.

Interview: François Othenin-Girard

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