Publié le: 1 juillet 2022

«Chercher le confort dans l’inconfort»

FELCO – Le leader mondial des sécateurs pour professionnels va doubler sa production. Pour réaliser ce saut, il faudra robotiser, automatiser et numériser. «Et continuer à former les collaborateurs pour sauvegarder le tissu industriel suisse», souligne Nabil Francis, CEO de cette société qui produit tout aux Geneveys-sur-Coffrane et dans le Jura.

Felco est le leader mondial des sécateurs pour professionnels et amateurs passionnés. Fondée il y a 75 ans par Felix Flisch, la manufacture FELCO cultive un précieux savoir-faire. Ses outils de coupe et cisailles à câbles reconnaissables à leurs poignées rouges sont produits aux Geneveys-sur-Coffrane (NE). Les poignées en aluminium matricé naissent à Cornol dans le Jura, chez Prétat SA – société sœur de Felco (groupe Flisch). Interview avec Nabil Francis, CEO de Felco et copropriétaire de ce groupe.

Journal des arts et métiers: On dirait que Felco a toujours fait tout juste. Que vous reste-t-il à prouver?

Nabil Francis: Nous avons aussi fait des erreurs et appris de ces expériences. Je crois surtout que Felco a évité les pièges de la délocalisation. Elle exporte 94 % de sa production dans 120 pays. Or, comme nous produisons en francs suisse et que nous facturons en euros ou en dollars, le paysage s’avère vraiment complexe. En effet, dès qu’il y a un petit coup de Trafalgar, nos prix augmentent. À cela s’ajoutent les difficultés d’approvisionnement sur les matières premières et les composants électroniques, les coûts des containers qui peuvent s’envoler en un week-end – sans oublier la crise de l’énergie.

Nous ne pouvons simplement pas répercuter l’ensemble de ces coûts sur nos prix de vente. Les facteurs que j’ai mentionnés représentent donc pour nous un défi permanent. Le monde actuel donne l’impression d’accélérer, il est volatil, incertain et imprévisible. Notre réponse à ce défi réside dans l’excellence opérationnelle. Avec nos outils, notre but est d’apporter de la performance, de l’ergonomie et de la durabilité.

Comment tenez-vous le cap à l’international alors que les conditions sont si difficiles et changeantes?

Nous cherchons le confort dans l’inconfort! Contrairement aux meilleurs de nos concurrents, nous avons évité les pièges de la délocalisation. Nous n’avons pas transféré nos productions en Asie ou en Europe de l’Est. Comme notre main d’œuvre est l’une des plus chères au monde, nous sommes obligés d’automatiser, de robotiser et de digitaliser. Pour éviter d’impacter l’emploi et être au top de la production, nous accordons une très grande importance à la formation du personnel. C’est ce que nous devons faire si nous voulons que la Suisse soit capable de conserver son tissu industriel.

Que penser de la conjoncture?

Aujourd’hui, nous constatons une certaine frilosité. Si les ventes en ligne ont explosé pendant la pandémie, nous avons aussi vu que les résultats d’Amazon ont plongé. Le marché est en train de changer et s’affaiblit. On a un peu le sentiment de conduire dans le brouillard, d’avancer en scrutant quelques mètres devant son parechoc tout en essayant simultanément de porter sa vue au loin. Nous restons optimistes, confiants dans l’avenir. Mais nous n’oublions pas de prendre des précautions.

À la tête de ce grand navire, quel sera désormais votre objectif principal?

Nous voulons doubler la capacité de production en quelques années. C’est ce qui nous permettra de trouver des vecteurs de croissance et de conserver nos collaborateurs. Les places de travail changent, il faut former et reformer afin de pouvoir tous s’adapter à ces nouvelles machines et faire évoluer nos produits.

Et pour croître en doublant notre production, nous devons continuer à innover en continu. Pour nous, cela implique de maintenir la capacité à réaliser toutes les étapes en Suisse à l’aide de cycles courts, en nous appuyant sur des fournisseurs situés dans notre pays et en privilégiant la proximité à chaque pas.

Que savez-vous de l’image perçue de Felco?

En fait, nos produits étaient destinés dès l’origine à un public de professionnels, mais peu à peu, ils se sont mis à séduire un plus large public d’amateurs et de passionnés. Certains fans n’hésitent pas à se faire tatouer une image de nos sécateurs sur leur corps. Avec la pandémie, de nombreuses personnes ont commencé à accorder beaucoup plus d’importance au jardinage.

Quand on regarde nos ventes, cela se voit. Nous avons fait appel à des consultants, ces derniers nous ont expliqué – à propos de ce type de clientèle – que nous ne vendions pas seulement un outil, mais surtout de l’émotion positive. C’est ce que nos outils leur apportent. Les gens cherchent à se déstresser en taillant. C’est un outil qui dure toute la vie, il est en tout temps possible de le faire réviser, en l’envoyant aux Geneveys-sur-Coffrane.

«Les gens cherchent à se déstresser en taillant.»

Que veut dire «innover» dans le monde du sécateur?

La révolution technologique est en marche. Nous développons les outils professionnels du futur qui intègrent de l’électronique, le bluetooth, et même un système de géolocalisation à moins de 50 centimètres, unique au monde. La solution digitale que nous mettons au point avec digivitis.com est la plus précise en l’état actuel et devrait permettre de révolutionner la gestion des vignobles. En permettant de mettre en évidence les plans malades, les zones qui doivent recevoir des soins particuliers. Et surtout de collecter et traiter des données pour mieux gérer son domaine viticole. C’est là un sujet qui nous passionne chez Felco.

Un message à la Berne fédérale et au monde politique?

J’aimerais dire que comme entreprise industrielle, nous prenons nos responsabilités sociales et environnementales – au risque de me faire taxer de greenwashing (rires). Avec la fondation Alfaset basée à La Chaux-de-Fonds, nous avons organisé en interne un atelier protégé pour 20 personnes à temps complet (lire p.21). C’est un travail de réinsertion que nous valorisons beaucoup.

Au plan environnemental, nous utilisons 100 % d’électricité d’origine renouvelable et produisons 5 % de notre électricité grâce aux panneaux solaires photovoltaïques installés sur le toit de notre usine. Quant à nos produits, leur fabrication comprend 50 % d’aluminium recyclé et 100 % d’acier recyclé.

Nous disposons en Suisse d’un potentiel énorme. Un savoir-faire inégalé, un vrai sens de l’innovation. Ce qui manque parfois, c’est cette confiance en ce que nous savons et pouvons réaliser. Et peut-être aussi la volonté de sauvegarder notre tissu industriel. Nous sommes extrêmement fiers de notre système d’apprentissage dual, c’est un vrai poumon.

Nous devons tous nous réinventer en permanence. Penser en dehors de la boîte. Et pour finir, nos entreprises, ici en Suisse, doivent pouvoir rester des aimants à talents.

À propos de la réforme AVS 21, votée en septembre, que pensez-vous de l’harmonisation de l’âge de référence entre hommes et femmes à 65 ans dans l’AVS et la prévoyance professionnelle obligatoire?

La population vieillit et les caisses de l’assurance-vieillesse doivent être renflouées. Nous devons trouver des compromis. Il est cependant important que cela se fasse sans aucune discrimination salariale et dans un contexte d’égalité salariale entre les hommes et les femmes. À ce sujet, nous sommes fiers d’annoncer que chez Felco, nous venons d’obtenir le certificat SGS «Fair ON Pay+» qui distingue l’entreprise en tant qu’employeur équitable et souligne son engagement durable en faveur de l’égalité salariale.

Propos recueillis par

François Othenin-Girard

À voir à l’écran

Retrouvez le reportage réalisé en parallèle à cette interview diffusée par FOKUS KMU sur les chaînes régionales en Suisse alémanique.

Les plus consultés