Publié le: 7 février 2020

Comme des mouches par le miel

ADMINISTRATION FÉDÉRALE – Le gel des effectifs demandé par le Parlement est contourné par l’engagement d’un nombre toujours plus importants de consultants externes. En cas de doute, les études commandées aident également à mettre des questions à l’ordre du jour politique.

Que faut-il pour rendre l’administration d’un Etat efficace? Un personnel bien formé et loyal, qui est également bien payé. Il semble que nous ayons cela au plan fédéral. L’administration fédérale emploie plus de 38 000 personnes. Selon les estimations pour 2020, les dépenses de personnel atteindront un peu plus de 6 milliards de francs. Il en résulte un salaire annuel moyen respectable de 160 000 francs par emploi financé par le contribuable.

Entre 2009 et 2018 (+13%), le nombre d’employés fédéraux et leurs coûts (+25%) ont augmenté plus fortement que la population (+10%) ou le PIB par habitant (+7%). Au cours des dix dernières années, le nombre de postes à temps plein dans l’administration fédérale est passé de 33 056 (2009) à 37 366. Parallèlement, les dépenses pour les services extérieurs sont passées de 344 millions à 515 millions de francs.

Cela signifie que non seulement les coûts directs de personnel de l’administration fédérale sont en constante augmentation, mais qu’ils sont également renforcés par des achats de prestations externes. Le gel du personnel exigé par le Parlement est ainsi plus qu’évité.

Un franc sur deux pour les conseils au Detec

On pourrait penser que cela signifie que le savoir-faire nécessaire est suffisamment disponible dans l’administration fédérale pour remplir les tâches actuelles. Loin de là: à ces augmentations de personnel s’ajoutent désormais les frais de conseil et de recherche sous contrat. En 2009, ils s’élevaient à 252 millions. Jusqu’en 2019, ils n’ont diminué que lentement pour atteindre 213 millions.

En réponse à une question parlementaire (17.3850, Postulat Leo Müller, «Ralentir l’augmentation des coûts pour les relations publiques et le conseil»), ces coûts – ayant atteint (en 2018) 182 millions et étant donc nettement inférieurs à ceux de 2019 – ont été répartis entre les différents départements à la fin du mois d’octobre de l’année dernière. On constate que le Département fédéral de l’environnement, de l’énergie et de la communication (Detec) est le plus grand consommateur avec 51%, suivi du Département fédéral de l’intérieur (DFI) avec 18%. L’économie, la formation et la recherche (Defr) totalisent 14% des coûts.

Fonds pour la recherche externe

Dans ce qui suit, nous allons exa­miner de plus près le cas du DFI, à la tête des assurances sociales, puisqu’il est un grand consommateur de mandats de recherche.

En 2019, le DFI disposera de 2450 postes à plein temps. Le plus grand nombre de personnes sont employées par l’Office fédéral de la statistique (676) et l’Office fédéral de la santé publique (499). L’Office fédéral des assurances sociales (Ofas) compte 271 postes à plein temps (+5% par rapport à 2009). Le passage du conseiller fédéral Pascal Couchepin, puis Didier Burkhalter (tous deux PLR) ont permis de diminuer ces coûts (mandats de conseil et recherches) de 41 millions à 35 millions.

Depuis 2012, le conseiller fédéral Alain Berset (PS) est responsable du DFI. Un an après avoir rejoint le département, les coûts de la recherche sont passés de 36 à 39 millions. Ils resteront ensuite à ce niveau jusqu’en 2015 et atteindront 32 millions en 2018.

Argument invoqué: tâches en plus

Il va sans dire que le ministre des affaires sociales soutient que des tâches supplémentaires de conseil et de recherche sont devenues nécessaires en raison de la préparation du message pour le projet de loi sur le vieillissement de 2020. C’est probable­ment aussi vrai.

D’une part, il convient toutefois de noter que ces tâches font partie des activités principales de l’Ofas. Le savoir-faire de base et de recherche devra donc toujours être disponible au sein du département. Le Parlement, le public et les médias ont le droit de recevoir des informations actualisées sur la sécurité sociale. Pourquoi l’Ofas a-t-il mené la plupart de ses recherches au cours de ces dernières années? Au départ, l’accent a été mis sur les tâches principales: le finance­ment de l’AVS, la surveillance dans le deuxième pilier, la maladie mentale pour l’AI.

Puis, le thème de la vieillesse a été mis en avant: services d’information et de conseil pour les personnes touchées par la pauvreté, logements pour les personnes en situation de pauvreté, prévention et lutte contre la pauvreté, lutte contre la pauvreté familiale. Il y a également eu des études sur la jeunesse et la violence, les jeunes et les médias.

La recherche utilisée pour définir l’agenda politique

Ces projets de recherche définissent l’agenda politique, tandis que les rapports d’experts tracent la voie politique. Le conseiller fédéral Alain Berset est un maître et fin stratège. Par exemple, «Conclusions et effets sur le congé parental et le congé de maternité et de paternité» a été lancé à un stade précoce.

Le Parlement n’a pas eu d’autres choix sinon de dire «Amen» à ce sujet – et après coup. Mais Alain Berset a réalisé le plus grand exploit en lançant une rente de transition. Dans une hâte sans précédent, le Conseil fédéral a inventé en six mois un nouveau système de sécurité sociale.

En mai 2018, le Conseil fédéral a donné au DFI un mandat à cet effet, compte tenu des craintes suscitées par l’initiative de l’UDC visant à mettre fin à la libre circulation des personnes avec l’UE (l’initiative de restriction). Les chômeurs âgés de 58 ans et plus doivent recevoir rente-pont jusqu’à ce qu’ils puissent toucher leur rente AVS (lire les nombreux articles publiés dans le JAM sur ce thème).

En juin, un projet de consultation était déjà disponible et en octobre, le message a été envoyé au Parlement. Au sein de la commission, le projet était encore en cours d’élaboration dans l’ancienne législature. Puis, il a été traité par le Conseil des Etats lors de la session de décembre. La particularité de ce cas réside dans le fait que le conseiller fédéral Berset avait déjà commandé, lors de la consultation, un projet de recherche intitulé: «Incitations et effets économiques et sociaux des prestations de raccordement pour les chômeurs âgés (conformément à l’avant-projet de loi fédérale)».

Le mandat a été confié au bureau privé Bass. Pourquoi? Comme l’a écrit Rudolf Strahm, l’ancien conseiller national du PS, chez Tamedia: «Quiconque cherche des experts pour justifier l’Etat-providence passe sa commande au bureau privé Bass.»

Experts tenus de fournir les résultats qu’on attend d’eux

Les résultats de la recherche ont fourni les arguments nécessaires pour l’approbation de ce nouveau système de sécurité sociale, qui est financé par la Confédération. Aucune remarque critique n’a été faite sur ce projet de loi.

Apparemment, la règle est que les expertises doivent produire le résultat que l’on attend d’elles. Les contre-évaluations ne sont pas financées. Il en résulte que les experts judiciaires sont sollicités ou sélectionnés à plusieurs reprises dans le cadre d’appels d’offres. Le critère de vérification et de falsification de Karl Popper (philosophe et épistémologue des sciences, 1902-1994, ndt.) est laissé de côté. De même, il n’est pratiquement pas demandé d’examen par les pairs. On a même signalé que des rapports d’expertise ne correspondant pas à l’opinion du client n’ont au final pas été publiés. Par la suite, des contre-évaluations sont préparées par les personnes concernées ou par les médias.

Une image s’impose: avec des projets de recherche comme celui-ci, le Parlement est attiré comme des mouches par le miel. Et ceci grâce à une expertise qui «démontre» que les faits sont tels qu’il faut maintenant vraiment faire quelque chose pour suivre la proposition du Conseil fédéral.

De cette façon, les questions que les chefs de service considèrent comme importantes sont portées sur la scène politique, selon l’adage que «gouverner, c’est prévoir». Que la mesure politique correspondante soit nécessaire, urgente ou simplement agréable à prendre, cela n’a strictement aucune importance. L’essentiel, c’est qu’elle s’inscrive dans le programme du parti concerné.

Werner C. Hug

coup de barre à gauche

Au PS, en parler serait vu comme «dégradant»!

Pour le chômeurs de plus de 60 ans, le Conseil fédéral souhaite introduire une «rente de transition». De facto, un nouveau système de sécurité sociale doit donc être introduit (lire le texte principal). Après le Conseil des Etats, la Commission économique du Conseil national (CER-N) est également critique à l’égard du projet – ce qui provoque une levée de boucliers à gauche.

Le fait que la nouvelle pension ne soit disponible qu’à partir de 62 ans est vécu au PS comme un «affront» aux travailleurs âgés: «C’est une dévaluation humaine et un désastre social», «une farce et, une fois de plus, une nette détérioration après les coupes déjà effectuées par le Conseil des Etats.»

Les experts une fois encore sont convoqués. Dans son communiqué, le PS fait référence à une «nouvelle étude de l’Université de Lausanne» et conclut: «La nécessité d’agir est donc largement prouvée scientifique­ment.»

Pas un mot sur le fait que la «rente de transition» prévue est un nouveau service – même pas de discussion sur la question de savoir si elle devrait être inférieure aux exigences de la gauche. C’est juste «inacceptable» souligne le PS. Un excellent exemple de dogmatisme. En

www.pssuisse.ch

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