Publié le: 6 novembre 2015

Confidences de quatre patrons

investir dans les pme – Suite aux résultats de l’étude de CS publiés dans notre édition précédente, quatre chefs d’entreprises 
expliquent comment ils se comportent en matière de concurrence, d’investissements et de franc fort. Le point sur trois secteurs.

D’après les statistiques (1), quelque 3872 sociétés helvétiques ont fait faillite entre janvier et août 2015, ce qui correspond à une augmentation de 2% en rythme annuel. Les secteurs les plus concernés sont l’hôtellerie-restauration, l’artisanat, le commerce de gros et la finance avec 30  000 salariés touchés par la faillite pour insolvabilité de leur employeur. Quant 
aux branches comme celles de la construction, de la santé et de la ­recherche & développement, elles semblent mieux tirer leur épingle du jeu (2). Quatre patrons de PME actives dans ces secteurs nous ont livré leurs confidences au sujet de leur stratégie face aux crises du franc fort en 2011 et 2015, de leurs investissements et de leur vision d’avenir.

Philippe Progin, fondateur et 
patron de Progin SA Métal

Il y a 31 ans, il fonde son entreprise spécialisée dans la construction métallique pour façades, tôlerie industrielle et serrurerie. Aujourd’hui, l’entreprise compte 170 salariés et réalise un chiffre d’affaires de 44 millions (2014).

«La hausse du franc en 2015 a donné aux entreprises étrangères un avantage entre 10 et 15% pour pénétrer le marché suisse. Face à cette concurrence, on a été défavorisés principale­ment par les salaires de nos employés, de 3 à 4 fois plus élevés que ceux de nos voisins. Dans la construction, seuls les travaux de proximité avec des interventions fréquentes et à bas prix, comme ceux des électriciens, des couvreurs, etc., ont été épargnés par cette concurrence. Quant à nous, cette nouvelle crise, on la ressent plus que celle de 2011, parce qu’aujourd’hui, les mandataires vont davantage chercher des entreprises de construction à l’étranger, qui proposent des prix sur lesquels nous pouvons difficilement nous aligner. C’est d’autant plus ­désagréable lorsqu’il s’agit de la construction ou de la rénovation de nos écoles ou d’autres bâtiments publics, financés par nos propres impôts. Je doute fort que l’Allemagne ou l’Autriche fasse appel aux PME suisses pour faire ce même travail chez eux. Pour rester concurrentiels, nous avons modernisé nos équipements et aussi nous avons été contraints d’aller acheter nos matières premières à l’étranger, tout en continuant à produire en Suisse. Si cette compression des prix continue, c’est toute la chaîne de fabrication qui va finir par migrer à l’étranger. La Suisse deviendra alors le pays des sièges administratifs et de la main-d’œuvre au chômage. Pour aider les PME, il faudrait leur offrir des crédits spéciaux avec des taux d’intérêt bas pour des investissements dans des équipements modernes. Et aussi, il faudrait que notre coût de la vie (assurances, immobilier, etc.) s’harmonise avec celui de nos voisins, parce que, là, nous sommes dans une bulle de cherté qui nous défavorise sur notre propre terrain.»

Jan Wurzbacher, 
patron de Climeworks

Créée en 2009 par Jan Wurzbacher et Christoph Gebald, la société Clime­works est une start-up de 15 salariés, qui travaille sur le développement d’une technologie qui permet d’extraire le CO2 de l’air pour le recycler à des fins industrielles.

«Nous sommes une petite société multiculturelle et notre objectif est de devenir le principal producteur mondial de CO2 recyclé. Pour ce faire, nous investissons dans trois domaines: les salaires, la production et les brevets. Actuellement, tous nos produits sont fabriqués en Suisse, mais en raison du franc fort, on va peut-être devoir délocaliser nos ateliers de production ailleurs en Europe. Pour nous, le plus difficile, c’est de trouver des ingénieurs et des développeurs hautement qualifiés.»

Yann et Nicolas Gehrig, patrons de Produits Dentaires SA

Spécialisée dans la conception et la fabrication de produits à usage dentaire, cette entreprise familiale a été fondée il y a 75 ans par William Gehrig, le grand-père de Yann et Nicolas. À ce jour, elle exporte dans plus de 100 pays sur les 5 continents, emploie 50 salariés et collabore avec plus de 300 distributeurs.

«À la suite de la crise de 2011 et pour nous prémunir contre la volatilité des marchés, nous avons décidé de facturer nos produits uniquement en franc suisse. Pendant cette période, nous avons perdu des clients, mais davantage à cause de la concurrence internationale que de notre décision. En janvier 2015, pour rassurer nos distributeurs, inquiets face à la hausse du franc, nous avons commencé à réfléchir à des stratégies de promotion de certains produits. Pour le moment, nos prix sont ceux de notre catalogue pour l’année 2014, et l’impact réel de cette crise, on ne pourra le mesurer qu’en début 2016. Cela dit, ses effets semblent déjà plus difficiles à surmonter que ceux de 2011, en raison notamment des nouvelles directives européennes sur les dispositifs médicaux. Ces réglementations, de plus en plus nombreuses et compliquées, sont financièrement assez lourdes pour les petites PME comme nous, qui doivent dépenser beaucoup avant de pouvoir commercialiser leurs produits. Alors, on doit choisir de fabriquer des produits «sûrs» pour rentrer dans nos frais et faire rapidement des bénéfices. Pour rester compétitifs, nous investissons dans les nouvelles infrastructures et essayons de développer des collaborations avec des chercheurs des hautes écoles et des dentistes influents, souvent happés par les grands groupes avec des contrats d’exclusivité de longue durée. Malgré les coûts, nous allons continuer à fabriquer tous nos produits en Suisse, et à assurer leur qualité irréprochable. Les politiques devraient protéger le label Qualité suisse, qui tend à devenir une vulgaire marque à la portée de n’importe qui, prêt à payer pour un site avec l’adresse .ch ou une boîte postale dans le pays, tout en fabriquant ses produits à l’étranger.»

Anna Aznaour, journaliste RP

anna@aznaour.com

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