Publié le: 7 mars 2014

Dans la marmite fédérale

Dino Venezia et Pierre-André Meylan – Président sortant et président entrant du Centre Patronal. Echange de vue sur l’actualité et la défense des petites et moyennes entreprises.

Journal des arts et métiers : Quels seront à votre avis les effets à court, moyen et long termes du vote du 9 février ?

n Dino Venezia (DV) : Je ne peux répondre à cette question qu’en poussant un grand soupir, parce qu’il s’agit d’une très grande inconnue. Les réactions n’ont pas tardé dans toute l’Europe et dans les hautes écoles comme l’EPFL. Tout ce que l’on peut faire, c’est prendre acte. J’espère que les promesses lancées par l’UDC seront tenues et que la mise en œuvre par les contingents se fasse « essentiellement dans l’intérêt de l’économie », comme le texte des initiants le précisait.

n Pierre-André Meylan (PAM) : Je suis très déçu, pas surpris. Ce sera un chamboulement, mais certainement pas une catastrophe. Les entreprises auront une chaîne à la patte. Certaines lanceront des projets de l’autre côté de la frontière : c’est déjà le cas pour le secteur horloger de la Vallée de Joux : Patek Philippe SA se dote d’un nouvel atelier sur territoire français. Pour les régions frontalières, qui n’ont jamais connu de tels contingents, la situation va changer.

Et vos attentes sur ce sujet comme chef d’entreprise ?

n DV : La Suisse doit bien entendu renégocier avec Bruxelles. Il va falloir s’adapter à cette donne. La première crainte, c’est la montée de la bureaucratie. Pour nous, c’était un sous-thème essentiel durant cette campagne. Là aussi, les initiants ont fait des promesses et nous aimerions qu’ils tiennent parole. L’étude de l’usam (Dino Venezia est vice-président de l’usam jusqu’en mai prochain, ndlr.) sur les coûts de la bureaucratie montre que ce danger est important. Un autre point concerne les mesures d’accompagnement.

Nous voulons aussi pouvoir nous adresser au public en allemand.

Au Tessin, l’absence de telles mesures au niveau cantonal a généré une situation atroce. Le canton de Vaud, par contraste, peut être fier de son vote. Un autre motif d’inquiétude, c’est ce fossé linguistique qui se creuse et la vieille fissure ville-campagne.

n PAM : Pour ceux qui s’activent dans les PME, le marché détermine la demande. Dans la medtech, si nous devons expliquer à un client qu’il devra désormais obtenir une homologation dans un pays-tiers, comme la Hongrie, cela représente pour lui un investissement très important. Et en le poussant à le faire, nous créerions une situation dans laquelle la compétition ne se fera désormais plus seulement sur les prix. C’est l’attrait économique de tout le pays qui est en jeu. Un autre point dont on ne parle pas assez, c’est la masse des impôts que nous versons à l’Etat. Ce devrait être un bras de levier dans la discussion.

Quel sera désormais votre attitude à Berne? Sur quoi portera votre lobbyisme ?

n DV : L’antenne du Centre Patronal répond à notre volonté d’être en mesure de faire du lobbyisme au jour le jour en répondant aux consultations et en prenant part à la discussion générale. Nous voulons aussi pouvoir nous adresser au public en allemand et offrir nos services aux associations professionnelles ou en hébergeant ces dernières. C’est du reste déjà le cas pour une vingtaine d’entre elles, notamment d’aviation, de producteurs de cigarettes ou de mécanique. Quand une association vaudoise devient romande, puis suisse, nous pouvons lui offrir une plate-forme. Nous tenons toutefois à ne pas concurrencer les avocats bernois sur leur propre terrain, puisque ces derniers hébergent eux aussi des associations.

n PAM : Au Centre Patronal, nous ne sommes pas inféodés à un parti ou à une doctrine, nous sommes d’abord au service des entreprises …

Quels sont vos projets actuels ?

n DV : Il y a du pain sur la planche. Nous déployons actuellement des moyens importants pour développer la formation professionnelle. Et les grands dossiers ne manquent pas dans un pays qui s’active sur le plan législatif comme un moulin à fabriquer des lois. En matière fiscale, il y a énormément de choses qui mijotent dans la marmite fédérale – successions, impositions selon la dépense, réforme du droit pénal fiscal –, dont les conséquences seront très importantes et qui ne semblent intéresser personne… La campagne contre les salaires minimaux vient d’être lancée. Ensuite, il y aura l’initiative Ecopop. A ce sujet, j’aimerais pouvoir me rassurer : pourvu que l’acceptation de l’initiative contre l’immigration de masse incite les votants à refuser l’Ecopop, un peu comme l’initiative Minder, du fait de son acceptation, avait peut-être incité la population à refuser l’initiative 1:12. Le mieux serait encore que le citoyen pense que le problème a déjà été réglé en amont.

Vous vous êtes positionnés sur la loi sur les cartels, en faveur de sa suppression. Quel travail reste-t-il à faire sur ce dossier ?

n DV : C’est très compliqué. On en est encore au stade de l’examen article par article en commission. Difficile de savoir si c’est la nouvelle loi toute entière qui a été rejetée ou seulement certains articles. Un dossier à suivre.

Le positionnement des associations professionnelles s’est modifié au cours des dernières années. Quelle est votre perception de ce phénomène ?

n DV : La législation fédérale leur a donné plus de responsabilité, notamment en matière de formation. Il existe aussi des branches où la formation professionnelle a été mise entre parenthèses, comme dans la restauration. Mais, même là, on sent que cette tendance s’inverse localement, comme dans les cantons de Vaud et de Fribourg. Plus généralement, on sent que les gens souhaitent de plus en plus se perfectionner.

Pour que ces transitions soient harmonieuses, il faut s’y prendre à l’avance.

Monsieur Meylan, qu’est-ce qui vous pousse à prendre la présidence du Centre Patronal ?

n PAM : J’ai été à la tête d’une petite entreprise et mon père, lui aussi, s’est engagé dans les associations professionnelles. Le secrétariat m’a proposé d’entrer au Centre Patronal il y a 25 ans et je serai bientôt l’un des plus vieux – selon la durée de mon mandat! J’ai toujours eu beaucoup de respect pour la maison et ses positions, même si je n’ai pas toujours été d’accord avec ces dernières. J’ai été pressenti une première fois pour cette présidence. A l’époque, j’ai dû décliner, car j’assumais la présidence d’une banque régionale (Raiffeisen)

n DV : Oui, Pierre-André, et ce faisant nous t’avons donné huit ans de sursis ! (rires) Pour ma part, je vais bientôt avoir 70 ans et j’ai décidé de remettre la présidence du Centre Patronal et la vice-présidence de l’usam (en mai prochain).

Passé l’âge de la retraite, tant que tu es actif, il n’y a pas de problème !

Dans ma fiduciaire, j’ai nommé une directrice pour reprendre l’opérationnel. Pour que ces transitions soient harmonieuses, il faut s’y prendre à l’avance. Surtout, éviter de faire du Centre Patronal la gérontocratie de l’économie (rires). Mais c’est vrai que c’est un phénomène contre lequel nous devons lutter. En vieillissant, on a d’habitude plus de temps. Au Centre Patronal, la ligne a toujours été claire : passé l’âge de la retraite, tant que tu es actif, il n’y a pas de problème !

Que retiendrez-vous de l’héritage de Dino Venezia ?

n PAM : J’espère avoir autant de classe et d’aisance que lui ! S’agissant de la doctrine, la transition ne posera pas de problème, car nous sommes tous deux libéraux… Quant aux gardiens du temple, ce sont les membres de l’équipe de direction du Centre Patronal. Nous restons avant tout des miliciens !

Interview : François Othenin-Girard

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