Publié le: 3 juin 2022

De l’(in)stabilité des crypto-devises

place financière – Ces dernières années, la fulgurante ascension des monnaies privées a marqué le monde de la finance. Mais depuis quelques mois, c’est plutôt de leur volatilité dont il est question dans les grands titres, analyse Mikael Huber.

Ces nouvelles monnaies ont deux caractéristiques principales. D’abord elles sont pleinement numériques, cryptées et échangées à l’aide de la blockchain qui permet une traçabilité décentralisée et normalement sûre puisqu’elle nécessite des puissances de calcul très importantes.

Ensuite, elles sont émises de pair à pair en dehors des banques centrales, ce qui signifie aussi que les autorités fiscales ne peuvent pas vraiment en suivre les mouvements, derrière les codes de détenteurs des crypto-monnaies se cachent souvent un simple pseudonyme. Elles se trouvent hors de l’influence directe des autorités monétaires.

Boursicotage chronophage

D’où provient alors cette récente instabilité des monnaies privées? Il faut d’abord savoir que la fulgurante ascension des crypto-devises s’est notamment réalisée durant la crise du Covid-19 avec les interventions étatiques plus ou moins strictes limitant les activités économiques et sociales. Depuis cette éclatante percée de 2020, les crypto-devises sont devenues plus volatiles.

En fait, la volatilité se calque dans une mesure importante sur le sentiment d’insécurité dans la société quant aux récents développements économiques et leur impact financier sur les réserves de valeur. La crise a aussi limité les possibilités de dépenses réelles gonflant l’épargne disponible pour investir numériquement dans ces nouvelles monnaies. Le télétravail a sûrement aussi poussé les gens à se consacrer à ce genre d’activités chronophages de boursicotage des crypto-monnaies. C’est très tendance.

L’État décide – pour l’instant!

Faut-il alors encore se fier à ces monnaies récentes? Oui. Une monnaie est économiquement caractérisée par trois fonctions: moyen d’échange, unité de mesure et réserve de valeur. Clairement, les crypto-monnaies ne sont pas encore devenues des moyens d’échange. Le fait est ici que c’est l’État qui généralement déclare le cours légal de la monnaie acceptée dans le pays. Cela signifie qu’il est pour l’instant difficile de pouvoir s’en servir d’unité de mesure.

Mais il y a fort à parier que l’évolution de la transformation numérique devrait pouvoir sauter ces barrières. Par ailleurs, à part quelques pays comme la République Centrafricaine et le Salvador qui souhaitent discrètement développer ou attirer des affaires via ces crypto-devises, l’engouement étatique n’est pas au goût du jour. Ces monnaies privées sont en fait des révélateurs de l’état de la dernière fonction normale des monnaies traditionnelles en cours, à savoir la réserve de valeur.

Château de cartes menaçant

En fait, il est plus logique de dire que si les crypto-devises vont bien c’est qu’il y a un problème de la fonction de réserve de valeur des monnaies traditionnelles. Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, les problèmes de récessions et de ralentissements économiques ont fait l’objet de contre-corrections et d’injections monétaires massives pour éviter les spirales déflationnistes de baisses des prix et des revenus.

Soit dit en passant, une baisse des prix et des revenus, c’est souvent aussi une augmentation de la valeur de la monnaie. En tout cas, ce fut l’avènement des fameuses politiques économiques anticycliques keynésiennes, malheureusement trop souvent interventionnistes. Par ces programmes de dépenses et ces injections monétaires, financés à coup de dettes d’État, il était soi-disant possible de «dompter» le cycle, mais surtout de permettre que le poids des dettes reste soutenable. En effet, une dette est un contrat fixe et rigide qui tient même si les prix et les revenus baissent. Donc plus notre société s’endette, plus il faut absolument éviter la déflation, sinon le remboursement de la dette devient impossible et le château de cartes s’effondre.

À l’heure actuelle, il est même possible de compléter que si les banques centrales n’augmentent ne serait-ce que d’un tout petit peu leurs taux directeurs, le poids de la dette va probablement étouffer l’économie et les États. Ces surendettements sont libellés en monnaies traditionnelles ainsi que les programmes de dépenses et les injections massives. Il devient évident que les monnaies traditionnelles quasi illimitées dans leurs émissions sont inflationnistes, elles perdent leurs valeurs et plus que les paniers de biens de l’inflation officielle. En contrepartie, tous les biens limités gagnent en valeur, notamment les métaux précieux, l’immobilier, et les crypto-devises qui font dès lors aussi office de réserve de valeur limitée.

L’inflation et ses spectres

Vu que la politique économique anticyclique des États ne changera certainement pas, même à long-terme, il y a fort à parier que les monnaies privées soient de bons investissements à long terme pour assurer la fonction de réserve de valeur. Oui, mais alors pourquoi fait-on face à une telle volatilité financière? Cette volatilité résulte simplement des va-et-vient entre la finance sur monnaies traditionnelles et les crypto-devises. Maintenant que la pandémie semble passée, ces réserves ressortent des pour être dépensées rapidement et aussi nourrir les pressions inflationnistes. La crise actuelle d’après Covid-19 sur fond de guerre et d’inflation rampante ne devrait pas nuire à moyen terme aux développements des crypto-devises, sauf si de plus en plus d’États en interdisent la détention, comme ce fut le cas avec l’or durant la grande dépression des années 1920.

Mikael Huber, usam

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