Publié le: 3 avril 2020

Des Romands dans la crise (I)

CORONAVIRUS – Nous leur avons volé un peu de leur temps pour savoir comment ils avaient vécu le grand chambardement. Dans les PME, les associations, les petites et les plus grandes. Ils nous ont parlé de leur état d’esprit. Suite en page 20.

Nous ne sommes pas retournés les voir, car cela n’aurait pas été prudent – mais l’envie nous démangeait de savoir comment ils faisent face. Certains ont appelé, d’autres ont écrit. C’est assez merveilleux et émouvant de voir toute cette humanité en train de se recomposer un nouveau monde. Voici donc une série de coups de sonde qui sont à la fois des autoportraits de Romandes et de Romands en crise, auxquels nous consacrons deux pages (lire également en page 20, la dernière page du JAM).

Vigneron-encaveur / Simon Vogel / Domaine familial de la Croix-Duplex Ă  Grandvaux.

Comment vous portez-vous? On arrive à peine à lui poser la question. Mais le vigneron Simon Vogel parvient à sourire au téléphone. «Ça va comme on peut, en respectant les consignes. Sur les travaux à la vigne, pour l’instant, cela se passe sans problème, à chacun son véhicule.»

Le vigneron a beau se lever de bon matin, son problème ne s’observe pas au milieu des vignes: c’est que le client n’a pas soif. «Les gens ne consomment pas. Nous proposons des livraisons gratuites, bien sûr, on laisse le carton devant la porte, les gens paient par Internet ou sur facture. Mais c’est infime.»

Bâle: coup d’assommoir fatal

«Au début de l’année déjà, les caves étaient pleines. Mais nous avions aussi beaucoup de réservations pour des dégustations. Puis, nous avons vu arriver les premières annulations. Le premier gros coup d’assommoir, ce fut l’annulation du Carnaval de Bâle. Pour nous, cela représente un chiffre d’affaires important, environ 10 000 bouteilles. Ensuite, tous les groupes ont été annulés, et les restaurants ont suivi. Pour nous cela représente environ 60% des ventes, pour certains de mes collègues, c’est parfois plus encore.»

Sur quel aide peut-il compter? Ce n’était pas encore certain à l’heure où nous mettions sous presse. «Nous avons fait les demandes, il est possible d’emprunter, certes, mais il faudra rembourser. Une collaboratrice qui s’occupe des clients et des groupes est au chômage partiel. Pour les vignes, c’est plus difficile, car la nature ne peut pas être mise en standby. Pour les effeuilles en juin, j’avais prévu 25 à 30 personnes. Cela risque d’être difficile de les véhiculer d’une vigne à l’autre. Voire impossible.»

Revenir à l’essentiel

Ce qu’il en tire? «Nous allons devoir nous serrer la ceinture, je l’ai déjà dit à mes collaborateurs. Pour le reste, j’espère que tout cela nous permettra de revenir à l’essentiel et au commerce local. Que les gens prennent conscience de cette réalité, de notre économie locale et de l’importance de se tenir les coudes. Les voyages seront différents: j’imagine mal que l’on puisse continuer d’avoir des billets d’avion pour moins de cinquante francs. Cela incitera peut-être les gens à consommer davantage sur place.»

Services / Conseils aux PME

Nicole Conrad, responsable Suisse romande au Raiffeisen Centre des Entrepreneurs (RCE) Ă  Yverdon-les-Bains. Vigneronne Ă  Aran-Villette.

«La situation est difficile, mais nous avons mis sur pied au RCE une Helpline pour les entrepreneurs. Nous nous retrouvons confrontés à des entrepreneurs tellement déboussolés, paniqués, devant affronter des situations souvent dramatiques.» Selon elle, «il faut beaucoup de psychologie – d’écoute – d’aiguillage, mais nous avons au moins l’impression d’être utile et d’apporter un peu de soutien dans cette crise terrible.» Du côté du domaine viticole évidemment c’est difficile. J’ai mis totalement mon activité de côté ces derniers jours pour me mettre à disposition des entrepreneurs. La situation pour les vignerons est difficile, le marché s’écroule. La vigne cependant n’attend pas et j’ai essayé de fournir le matériel de sécurité à mes tâcherons. Un service de livraison à domicile a été mis sur pied, mais les gens restent méfiants et se confinent.»

Services /Associations

Philippe Thuner, président de HotellerieSuisse région Suisse romande.

«C’est probablement la pire crise depuis la Première et la Seconde Guerre mondiale. Et encore, à ces époques, vu la manière de voyager et la circulation plus lente des informations, les hôtels s’étaient certainement vidés moins rapidement.»

Nos hôtels ont besoin d’aide

«Nous travaillons à domicile en nous rendant sporadiquement au bureau, environ une fois par semaine – et jamais deux personnes le même jour. Notre responsable administrative traite les affaires courantes et prépare notre rapport annuel. Le directeur centralise tous les renseignements – parfois je suis le premier informé, parfois c’est lui – pour transmettre à nos membres des informations digestes et compréhensibles, ou des modes d’emploi pour certaines opérations (RHT, crédits cautionnés…). Je participe à des séances par conférence téléphonique ou visioconférence. Les téléphones et les courriels sont très nombreux.»

«Sachant que le principal souci est d’ordre sanitaire, ce sont nos membres, nos hôtels qui ont besoin d’aide pour survivre à cette tempête économique. Beaucoup ont même fermés leurs portes, faute de clients et pour préserver leurs collaborateurs.»

Service/ transmissions

Jacques R. Meyer, administrateur et CEO de PME Successions.

«C’est assez simple. Nous ne pouvons pas organiser de visites d’entreprises. Les réunions prévues sont partiellement remplacées par des conférences téléphoniques, mais pour faire court, vous ne vendez pas une PME romande au téléphone. De plus, l’incertitude sur la durée de la crise et comment l’entreprise l’aura vécue financièrement fait que le prix de vente n’est objectivement pas facile à déter­miner aujourd’hui.»

Beaucoup Ă  faire Ă  la reprise

«Toutefois, et pour les processus en cours, nous transmettons des informations par e-mail voire par courrier. A titre d’exemple, j’ai ce matin, fait parvenir un avenant d’une loi en cours aux vendeurs et qui prévoit un report de l’échéance de fin mai à fin juin.»

«Par contre, comme beaucoup de personnes sont confinées à la maison, nous avons un bon trafic sur le site et pas mal de contacts avec des personnes qui cherchent des entreprises. Il faudra traiter tout ceci à la reprise qui s’annonce très chargée.»

Service / électrotechnique et domotique / André Berdoz, patron et fondateur d’Electro Techniques SA, vice-président de l’usam.

«Quelles mesures ont-elles été prises? Nous avons une personne en chômage partiel, un frontalier qui s’occupait de grandes entreprises qui ne souhaitent plus qu’on intervienne dans leurs murs. Du côté de la clientèle, je constate une forte adaptation des clients à cette situation. Il y a eu beaucoup de pannes informatiques au début, mais la situation s’est progressivement stabilisée.»

Unia fait de la propagande

«Les entreprises ont vraiment été prises de court vendredi 13 mars. Elles ont dû très rapidement trouver des solutions. Le message aujourd’hui est le suivant: on trouve dans les PME actuellement une très forte volonté de poursuivre l’activité. Les prêts sont une bonne solution, mais il faudra pouvoir les rembourser.»

«Sur les chantiers, ce que fait Unia en Suisse romande, avec la complicité des gouvernements de gauche, c’est de la propagande! Il n’y a aucune raison de fermer les chantiers. Je suis tous les jours sur des chantiers et je vois qu’il est possible de s’organiser sans problème en respectant les règles.»

ChĂ´mage partiel ou licenciement?

«Ce dont on parle dans les PME: c’est le grand débat entre chômage partiel et licenciement. On a arrêté un train qui roulait à 100 km/h et la reprise risque d’être douce et lente. Pour l’heure, les baisses de chiffre d’affaires atteignent environ 20%, mais si la situation se prolonge en avril et en mai, on atteindra rapidement un trou de 30%, voire plus.»

Propos recueillis par

François Othenin-Girard

Lire suite page 20

Les plus consultés