Publié le: 7 février 2014

Fait main pour le plaisir des connaisseurs

PIPIER – Dans son atelier, à Affoltern am Albis (ZH), Roman Peter est le dernier fabricant et réparateur de pipes en Suisse. ­Aujourd’hui, sa clientèle compte plus de 200 magasins de tabac, des collectionneurs privés et d’innombrables fumeurs de pipe.

L’atelier du dernier pipier de Suisse se trouve dans le quartier industriel d’Affoltern am Albis (ZH), presque caché dans le sous-sol d’un immeuble de bureaux. Pour Roman Peter, cette activité est beaucoup plus qu’un simple métier : une vocation qu’il vit avec passion, en y mettant tout son cœur. Individualiste placide, épicurien ayant les pieds sur terre, Roman Peter correspond d’emblée à l’image traditionnelle du fumeur de pipe. Ce métier est fait pour lui. « Les fumeurs de pipe sont des gens très particuliers. Ils sont considérés par leurs semblables comme des personnes avenantes, éloquentes, voire comme des intellectuels. Ils n’ont pas peur de montrer qu’ils aiment la vie et qu’ils prennent volontiers le temps nécessaire pour les bonnes choses, car fumer la pipe signifie qu’on accorde une attention constante à son fourneau. » Tablier de cuir à la taille, pipe au bec et lunettes dernier cri sur le nez, Roman Peter, en tenue de travail, nous donne l’image typique de son métier.

300 pipes attendent leur réparation

« Les dix dernières années ont été une traversée du désert. Il y a 30 ans, je n’aurais jamais cru que je m’établirais comme pipier », nous dit Roman Peter en souriant. « Les pipiers traditionnels sont en voie de disparition. On en trouve encore quelques-uns en Italie, en Allemagne et au Danemark. Aujourd’hui, en Suisse, il est presque impossible de commencer à zéro dans ce métier. » C’est en ces termes que notre combattant solitaire décrit la situation actuelle de ce vieux métier artisanal. Il a grandi à Adliswil. Avec son père, qui l’a dissuadé de fumer la cigarette lorsqu’il avait 15 ans, il a pris goût à la pipe. Il a d’abord appris le métier d’ébéniste, puis il est devenu restaurateur de meubles. Et parce que son salaire ne lui permettait pas de s’acheter de bonnes pipes, il s’est mis à les fabriquer lui-même. C’est ainsi que son passe-temps devint son métier. Aujourd’hui, il ne sort jamais de son atelier, passant 70% de son temps à remettre en état des pipes à tabac et le 30% restant à en créer.

Sur une étagère, quelque 300 pipes attendent leur réparateur. 
« Les pipes qui sont rapportées pour réparation dans un magasin de tabac en Suisse atterrissent toutes chez moi. » Dans l’amour du détail et avec le plus grand soin, il répare, en fumeur de pipe passionné, les modèles les plus divers de par leur origine et leur âge. « Il est très important pour moi que les pipes conservent leur état originel. Parfois, l’attente peut être assez longue jusqu’à ce que je parvienne à dénicher une pièce d’origine, surtout lorsqu’il s’agit de pipes anciennes. Je dois alors courir les marchés et magasins d’antiquités », explique Roman Peter, qui dispose lui-même d’un stock colossal de pièces de rechange : dans un système de casier aux innombrables tiroirs sont entreposés couvercles, bagues et tuyaux de pipe. « A vue de nez, je dois avoir environ 30 000 becs », dit-il en souriant. Il achète les stocks et les outils d’anciens fabricants de pipes et fouille les marchés aux puces. « Ainsi, je suis paré pour faire face à toute situation, et je trouve presque toujours des pièces de rechange appropriées, même pour les modèles les plus insolites », se réjouit-il.

Une collection de 200 pièces

Quant à la fabrication de pipes, il maîtrise cet art comme personne : fabriquer une pipe à la main, à la manière traditionnelle, lui prend une journée de travail. « Les meilleures pipes sont fabriquées à partir de rhizomes de bruyère 
arborescente », explique Roman Peter. La bruyère, buisson sauvage qui pousse sur le sol du pourtour méditerranéen, forme, entre ses branches et ses racines, un tubercule dont le bois est très résistant à la chaleur et qui, s’il est correctement coupé, présente de remarquables veinures. De ces tubercules qui n’ont l’air de rien, Peter cherche à tirer la pipe parfaite. La découpe du bol, le travail de précision exécuté à la lime et au papier de verre, puis le polissage, qui dure plusieurs heures, marquent les étapes de la longue genèse d’une pipe. Toutes les pipes de Roman Peter sont simples et élégantes parce que, dit-il, « je n’aime pas les fioritures ». La marque de fabrique de ses pipes artisanales est une bague d’un blanc brillant fabriquée à partir d’os d’antilope. Là aussi, la qualité est essentielle. « Une bonne pipe doit cadrer avec celui qui la fume. Même la meilleure des pipes n’aura pas un bon tirage ou jutera s’il n’y a pas une affinité entre elle et son propriétaire », explique ce grand amateur de pipes.

Ces œuvres d’art ont cependant leur prix. « Les pipes fabriquées à la main coûtent entre 400 et 2000 francs. Plus leur structure est régulière, plus leur valeur augmente », précise Roman Peter. Possédant lui-même une imposante collection de 200 pipes, il a ses préférées, celles qu’il fume le plus volontiers. « Une pipe de qualité durera toute une vie si on l’entretient soigneusement et qu’on ne la laisse pas trop chauffer », relève notre dernier pipier, qui observe un regain d’intérêt pour la pipe, « notamment chez les jeunes gens ».

Corinne Remund

interview

« La pipe, c’est toute ma vie ! »

Journal des arts et métiers : Vous êtes le seul et unique pipier en Suisse. Quelle est la recette du succès de votre entreprise ?

nRoman Peter : Je suis le seul en Suisse qui, professionnellement, répare ou fabrique des pipes. En tant que réparateur, je remets en état chaque pipe sans rien changer à sa forme originale. Je fabrique des pipes de divers modèles tout en cherchant à créer des objets uniques, des raretés qui ne sont pas fabriquées par les quelques usines qui subsistent encore.

Quels sont les plus grands défis à relever dans la conduite d’une telle entreprise ?

n Faire le grand écart entre le magasin et l’atelier. Des gens viennent souvent au magasin pour philosopher avec moi au sujet des pipes et tabacs. Néanmoins, je passe la majeure partie de mon temps à l’atelier. Par chance, j’ai une collègue qui a beaucoup de tact et qui, lorsque c’est important, m’appelle au magasin de tabac ou, sinon, envoie le client à mon atelier.

Qu’est-ce qui fait un bon commerçant ?

n Il doit avoir de la joie à son travail. Pour moi, c’est ainsi. Je n’ai pas une âme de vendeur. Ce qui m’importe le plus, c’est de bien conseiller le client et de lui faire partager mon enthousiasme et ma passion pour les pipes et le tabac. Qu’il ait le coup de foudre et quitte ensuite mon magasin avec des étoiles dans les yeux, c’est là ma plus grande satisfaction.

Et si vous deviez formuler un vœu pour l’avenir ?

n Que de plus en plus de fumeurs de cigarettes se convertissent à la pipe et que le plaisir prenne le pas sur la dépendance.

Interview : Corinne Remund

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