Publié le: 8 février 2019

Faut-il taxer les robots?

des robots et des hommes – À quelles conséquences sociétales doit-on s’attendre avec l’avènement d’une nouvelle ère technologique dont nous ne pressentons que les premiers frémissements? Comment éviter le déclassement de populations entières? Réflexions par Olivier Feller, conseiller national (PLR/VD).

Les bouleversements technologiques qui nous attendent sont de plus en plus perceptibles. Les robots et, d’une manière générale, l’intel­ligence artificielle révolutionnent notre société. Tous les secteurs d’activités sont concernés comme le montrent ces quelques exemples.

Intelligence artificielle Ă  Tokyo

Une équipe du CHUV, à Lausanne, vient de mettre au point un algorithme informatique pour faciliter les décisions à prendre quand il s’agit de répondre aux effets secondaires indésirables provoqués par une immunothérapie administrée à un patient cancéreux. En 2008, Google a lancé un algorithme informatique qui traque les épidémies de grippe, qui est aujourd’hui en activité dans de nombreux pays.

Un système d’intelligence artificielle a été testé l’automne dernier aux Championnats du monde de gymnastique artistique de Doah, au Qatar. Avec pour objectif d’être opérationnel pour les Jeux olympiques de Tokyo, en 2020. Et d’assister les juges chargés de noter les athlètes, en attendant de les remplacer un jour. Etc.

Le robot amical: jusqu’où?

Les médias ont déjà largement popularisé les robots sociaux, ces robots d’accueil dans les entreprises ou les magasins, et les robots de compagnie pour personnes âgées ou enfants autistes. Tout le monde sait que la voiture, le camion sans conducteur et bien d’autres chocs «culturels» nous attendent. Les robots vont devenir des compagnons indispensables, quand ils ne le sont pas déjà, jusque dans nos loisirs.

Sous cet angle-là, un robot, c’est sympa, ça fait le boulot en nous procurant moins de fatigue, au travail comme à la maison, ou plus de temps pour faire autre chose.

Du cargo au supermarché

Cette révolution pourrait pourtant avoir des conséquences moins réjouissantes. L’étude de deux chercheurs de l’Université d’Oxford lançait déjà l’alerte en 2013. Elle montrait que 47% des emplois américains étaient exposés à être remplacés par des robots ou de l’intelligence artificielle d’ici à 2033, c’est-à-dire dans 15 ans. 47% de tous les emplois mais, par exemple, jusqu’à 99% des jobs de caissières ou de courtiers d’assurance.

Ces conséquences-là sont déjà en route dans les supermarchés comme sur les océans. De 1960 à nos jours, l’équipage des gros vraquiers, ces cargos chargés de transporter des marchandises solides en vrac, a quasiment diminué de moitié.

Bien entendu, de nombreuses nouvelles professions sont susceptibles d’apparaître avec le développe­ment des technologies, de l’informatique à la biotechnologie, et de se substituer sur le marché de l’emploi aux métiers remplacés par des robots.

Il faudra être plus créatif

Mais il y a plusieurs risques. Le premier risque, c’est que les nouveaux emplois ne soient pas aussi nombreux que les anciens. Le deuxième problème, c’est que ces nouveaux emplois exigeront plus de créativité et plus de flexibilité que de nombreux emplois actuels. Même si les caissiers et les matelots ont la possibilité de se former à un autre emploi, ce qui n’est pas garanti dans notre système actuel, il n’est pas certain qu’ils y parviennent tous. Surtout, si au rythme du progrès actuel, c’est pour devoir se réinventer une nouvelle fois dix ans plus tard.

Une classe de déclassé

Yuval Noah Harari, l’auteur de plusieurs récents bestsellers, le souligne dans son livre «Homo Deus, une brève histoire du futur». Au XXIe siècle, écrit-il, nous pourrions bien assister à la formation d’une nouvelle classe massive de chômeurs: des gens déclassés, qui se sentiraient inutiles, sans aucune valeur économique ou politique reconnue.

Il ne s’agirait pas de quelques dizaines de milliers de personnes mais d’un phénomène de masse, d’une masse de gens qui seraient inemployés parce qu’ils seraient inemployables.

Priorité au ressort innovatif

Dans cette perspective, ce n’est pas seulement l’avenir de nos institutions sociales qui seraient en jeu, mais l’avenir même du lien social et de la démocratie. Faut-il alors taxer les robots, comme certains le préconisent? Ma réponse est clairement «non». Dans le monde multipolaire et très concurrentiel d’aujourd’hui, on risquerait surtout de briser l’innovation, de casser le ressort de notre compétitivité en nous privant des nouveaux emplois à haute valeur ajoutée dont nous avons besoin.

En revanche, nous devons agir à temps – c’est-à-dire dès maintenant – pour faire face à ce nouveau défi.

Besoin d’acteurs, pas d’esclaves

Demain, l’économie aura toujours besoin des hommes et des femmes, mais en bien moins grand nombre pour faire le même travail, et autrement formés. La formation de tous les salariés doit donc être adaptée à la transition en cours et celle de tous les élèves doit être repensée pour les confronter directement au déve­loppe­ment d’outils numériques.

Comme le disait récemment le journal «Le Monde», nous avons besoin «d’acteurs maîtrisant ces technologies, et pas d’esclaves de ces technologies.» À nous d’y veiller en restant attentifs à ne pas tout confier aux robots et à l’intelligence artificielle, aussi impressionnantes que soient leurs capacités.

Nous devons toujours nous rappeler que si les robots peuvent aujourd’hui battre les plus grands maîtres au jeu d’échecs, la vie n’est pas un jeu.

Olivier Feller,

conseiller national (PLR/VD)

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