Publié le: 8 novembre 2019

Fiscalité et numérisation croissante

POLITIQUE FISCALE DE L'OCDE – A peine la RFFA acceptée, la Suisse doit déjà à nouveau se calquer sur les futurs plans fiscaux de l’OCDE. Ces plans mettent la Suisse en état d’alerte maximale, et, croyez-moi, il y a de quoi. L’OCDE a posé les jalons de la future réforme fiscale, un changement de paradigme dicté par le G20.

L’action commune de l’OCDE, du G20 et de l’UE a entraîné de gros travaux de recherche, dont le Base Erosion and Profit Shifting (BEPS), un plan d’actions qui a pour but de lutter contre l’érosion de la base fiscale et le transfert de bénéfices des multinationales. Pour récupérer des recettes fiscales, certains Etats endettés se voient contraints de se rendre plus attrayants, respectivement par un effet de balance de rendre moins attrayants d’autres pays et donc d’interagir sur la concurrence fiscale internationale. Le G20 a fortement influencé les travaux de l’OCDE et regroupe essentiellement des pays qui profiteraient de ce nouveau paradigme.

Changement de paradigme Ă  venir

La proposition de l’OCDE consiste à réattribuer une fraction des bénéfices et des droits d’imposition correspondants aux pays et aux juridictions dans lesquels les entreprises multinationales ont leurs marchés. Autrement dit, l’impôt se ferait là où l’entreprise a une présence économique significative et non plus (seule­ment) où elle a son siège. Les grandes lignes du projet de l’OCDE soumis à consultation sont déjà décidées et seront communiquées début 2020. Le calendrier fixé par le G20 à l’OCDE est hyper ambitieux, car le sujet est d’une grande complexité et la mise en place de la réforme début 2021 apparaît aujourd’hui pratiquement inconcevable que tous les pays de l’OCDE (même les plus avantagés et désireux de mettre en place le plus vite possible ces nouvelles règles).

Impacts sur les PME suisses ?

Pour le moment, la réforme ne concernerait que les grandes entreprises multinationales remplissant le critère du seuil de chiffre d’affaires de 750 millions d’euros. Les fleurons de l’économie suisse en ligne de mire notamment. En effet, les grandes entreprises horlogères ayant une «présence économique significative» en Chine par exemple devront payer des impôts en Chine au détriment des recettes fiscales suisses.

On part de l’idée, à tort, que les PME ne seraient pas concernées. Faux! Et, ceci, pour plusieurs raisons. Aujourd’hui, certaines PME remplissent le critère du seuil du chiffre d’affaires des 750 millions d’euros. Avec la numérisation croissante de l’économie, il apparaît que potentiellement de plus en plus de PME pourraient être actives à l’international et donc remplir le critère du chiffre d’affaires.

De plus, tout porte à croire que le seuil fixé arbitrairement sera revu à la baisse une fois que le système sera mis en place pour élargir l’assiette fiscale des pays intéressés. C’est sans compter les effets indirects pour les PME. En effet, si les grandes entreprises multinationales sont touchées, les PME le seraient dans une certaine mesure aussi (interdépendance des relations économiques des grandes comme des PME dans la création de valeur et des emplois).

Bénéficiaires et perdant des mesures protectionnistes?

Les grands gagnants de ce nouveau paradigme seraient les pays détenant un fort potentiel de marché, à savoir les pays d’Asie et d’Amérique. Ce sont d’ailleurs ces pays qui appuient fermement pour l’instauration de ces nouvelles règles. Dans ce système, les pays de petite ou moyenne taille disposant de politiques publiques favorisant plutôt l’innovation se trouveraient défavorisés par rapport à ceux à vaste marché de consommation. Les grands perdants seront l’Irlande, Singapour, les Pays-Bas, le Luxembourg ou encore la Suisse. Le projet de l’impôt numérique intronise le principe de transfert de revenus fiscaux internationaux vers l’Asie et l’Amérique, ce qui ne pourra que se faire au détriment de la Suisse.

La numérisation de l’économie ne peut justifier la mise en place d’un nouvel impôt «numérique», puisque l’économie numérique ne se distingue pas d’une autre forme d’économie. Aujourd’hui, l’économie est numérique comme elle peut être internationale ou encore durable. La réforme envisagée par l’OCDE crée des distorsions en matière de concurrence fiscale. Que fera la Suisse? Elle abdiquera, se battra ou encore acceptera en faisant preuve d’innovation pour développer son potentiel de marché intérieur.

Alexa Krattinger, usam

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