Publié le: 2 octobre 2015

Interview d’un patron résilient

jeweltech – Francisco Rojas a créé sa PME à 32 ans. En 2008, il a été contraint de licencier. 
Aujourd’hui, il emploie une vingtaine de collaborateurs et forme deux apprentis par année.

En 2008, pour sauver sa société, Francisco Rojas licencie 80% de son ­personnel, soit 17 personnes. Aujourd’hui, il en emploie une vingtaine et forme deux apprentis par an. Interview d’un artisan joaillier qui a su rebondir. À 15 ans, Francisco Rojas quitte l’école et décide de prendre une année sabbatique. Ses «vacances», il les passe dans l’atelier genevois de son père, un artisan joaillier qui le fait travailler à 200%. L’adolescent découvre alors un métier qui le passionne et lui ouvre des horizons insoupçonnés. S’ensuivent trois ans d’apprentissage au CEPTA*, couronnés par un CFC de bijoutier joaillier et un premier emploi trouvé en Espagne. De retour à Genève deux ans plus tard, il est engagé par une grande compagnie, qu’il quitte rapide­ment pour s’installer à son propre compte durant douze ans. Puis en 2000, Francisco Rojas se jette à l’eau et crée à l’âge de 32 ans, Jeweltech Sàrl.

Journal des arts et métiers: Parmi les statuts d’employé, d’artisan indépendant et de patron de PME que vous avez expérimentés, lequel est le plus difficile?

n Celui d’artisan indépendant. Parce que, quand on est salarié, on commence le matin, on finit le soir et on ne s’occupe de rien d’autre. Quand on est patron, on a beaucoup de responsabilités, mais on est entouré, et quand on s’absente, la boîte tourne quand même. Tandis que, quand on est indépendant, on est seul et sans couverture en cas de problème, c’est-à-dire que personne ne va travailler à votre place si vous êtes malade. Si vous avez des questions, vous n’avez personne à qui les poser, si vous avez trop de travail, alors vous y passez la nuit, et quand vous n’en avez pas assez, vous vous débrouillez.

«l’apprenti est intégré à l’équipe et travaille sur de vraies pièces: il apprend plus vite!»

Qui sont les clients de Jeweltech?

n Uniquement les grands groupes suisses de la place genevoise. Nous ne travaillons pas avec l’étranger, bien que les pièces que nous ­fabriquons soient vendues un peu partout dans le monde. Jeweltech traite peu les commandes des particuliers.

Quelles sont les demandes que vous traitez?

n De plus en plus, on se rend compte que les clients veulent des solutions clés en main et ne sont pas intéressés par les détails de la réalisation. Ils arrivent généralement avec un dessin, et nous, nous créons entièrement la pièce à partir de leur esquisse.

Y a-t-il des périodes de l’année où vous êtes particulièrement débordé?

n Oui, ce sont des cycles rythmés par deux événements phares: le Salon international de la haute horlogerie (SIHH) en janvier et la foire de Bâle en mars-avril. Nous sommes donc sous forte pression pendant les mois qui précèdent ces manifestations, mais aussi après si les ventes ont été bonnes. Dans ce dernier cas, c’est la fabrication des pièces plébiscitées qui nous occupe les mois suivants.

Qu’est-ce qui est le plus difficile dans votre métier?

n Les délais de fabrication, qui se raccourcissent d’année en année d’une part, et le travail des pierres précieuses d’autre part. La cassure des pierres est la hantise de toute la profession. Là, il est très important pour un artisan de prendre toutes les précautions possibles. Par exemple, si une pierre a un défaut et risque d’être endommagée pendant les travaux de sertissage ou de rhodiage, l’artisan doit le signaler à son mandataire. Ce dernier alors décidera s’il veut prendre ce risque, dont les conséquences seront entièrement à sa charge. Mais il arrive parfois que la pierre casse sans raison apparente. Et là, une enquête est menée par l’entreprise mandatrice pour déterminer si le dommage est dû à la maladresse de l’artisan ou à une cause extérieure. Malheureusement, ce problème est très brumeux, puisque la loi n’en définit pas clairement de cadre.

Chez Jeweltech, qui est une petite PME, vous formez des apprentis pendant que de plus en plus de grandes entreprises ne souhaitent plus le faire. Comment l’expliquez-vous?

n Former des apprentis coûte plus cher aux grandes entreprises parce qu’elles veulent trop bien faire. C’est-à-dire qu’elles payent un salarié à plein temps pour ne s’occuper que des apprentis qui, eux, ne sont pas du tout rentables puisqu’ils ne font que des exercices. Alors que, dans des petites structures comme la nôtre, l’apprenti est intégré à l’équipe et travaille sur de vraies pièces, ce qui fait qu’il apprend plus vite et devient rentable dès la deuxième année.

Le métier de bijoutier artisan est difficile, voire ingrat, et pourtant très prisé. Pourquoi, d’après vous?

n On choisit ce métier par passion, on s’y impose par ses qualités de travail et on y reste parce c’est gratifiant de savoir qu’en fabriquant de beaux objets on embellit le monde. Et ce n’est pas grave si nos noms ne sont pas connus du public.

Interview et photo

Anna Aznaour, journaliste RP

anna@aznaour.com

(*) CEPTA – Centre d’Enseignement Professionnel Technique et Artisanal

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