Publié le: 3 juin 2022

«J’ai confiance en nos institutions»

Sappro sa – Jean-Pierre Passerat, président de la Société du pipeline à produits pétroliers sur territoire genevois, estime que nous devons réfléchir à l’après-pétrole avec créativité et nous soucier du devenir de nos infrastructures routières – actuellement financées par les taxes sur les carburants provenant du pétrole!

«L’actualité montre à quel point, malheureusement, nous avons encore tous besoin de produits pétroliers. Il nous faut réfléchir à l’après-pétrole, encourager les recherches prometteuses menées par exemple à l’EPFL, diminuer notre consommation et trouver des solutions intelligentes.»

Ce jour-là, il est venu en vélo électrique, Jean-Pierre Passerat, le président de Sappro SA, une société discrète mais névralgique, basée à Vernier. C’est à quelques longueurs de tuyaux de l’aéroport que nous le retrouvons au siège de la société, dans un paysage gigantesque de cuves, en compagnie de Thomas Uriot, son directeur depuis neuf ans. Le bâtiment dont l’intérieur offre un design assez original avait été construit par la BP. Les sols en linoléum orangé rappellent les couleurs du pétrolier british et les grandes armoires en bois, les étagères, offrent encore cette impression d’aisance des grandes multinationales géostratégiques.

Mais BP s’en est allée. «Avec les retraits récents de Total, Esso et de BP, la Suisse semble quelque peu désertée par les compagnies pétrolières. Si l’une d’entre elles donne signal de départ, les autres vont suivre également, le marché suisse est minuscule.»

La Sappro, c’est donc d’abord un pipeline de 12 kilomètres sur territoire genevois, doté d’une passerelle sur le Rhône et d’un bâtiment d’exploitation. Littéralement le «terminus ad quem» du grand oléoduc construit par le Général de Gaulle dans les années soixante, au départ des installations pétrolières de Marseille (Fos-sur-Mer). À Vernier, les produits pétrolifères arrivent les uns derrière les autres dans le grand tube de métal. Il faut les séparer, et isoler les interfaces de produits mélangés (on appelle cela le contaminat).

Interview à la sortie du pipeline genevois – avec vue imprenable sur les défis énergétiques qui s’annoncent.

Comment se porte votre activité de transporteur de produits pétroliers alors que la guerre en Ukraine fait peser son poids d’enjeux géostratégiques sur les produits pétroliers?

À travers un tube de 32 centimètres, nous transportons chaque année un million de mètres-cube d’essence, de diesel, d’huile de chauffage et 100 % du kérosène utilisé à Genève. L’huile de chauffe est en diminution depuis plusieurs années car son utilisation est de moins en moins recommandée, voire même défavorisée par les législations. Le diesel a connu une forte augmentation depuis l’introduction de filtres à particules – même si les volumes restent très limités.

Quant à la consommation d’essence, elle baisse en Suisse. Pour les essences, les Français qui nous l’acheminent doivent fabriquer une qualité particulière, différente de l’essence européenne, notamment en raison de nos montagnes qui exigent une différence entre l’essence d’été et d’hiver, dans laquelle la tension de vapeur est plus élevée pour pouvoir exploser en altitude. Donc on importe plus facilement de l’essence d’Allemagne, de Belgique ou de Hollande, que du sud de la France, où l’essence d’hiver est moins courante.

Quelle conséquence la fermeture de la raffinerie de Collombey a-t-elle eu sur votre activité?

Nous avons eu plus de demande de transport depuis le sud de la France puisqu’il y avait un point d’entrée en moins du côté romand. La situation du reste est un peu déséquilibrée, parce que 80 % de la consommation en Suisse se passe dans le triangle dit d’or entre Zurich, Saint-Gall, Winterthour et Bâle. L’aéroport de Kloten est énorme comparé à Genève. Il consomme à lui seul la même quantité que tous les produits pétroliers confondus consommés – essence, diesel, huile et kérosène – dans la région genevoise en englobant Nyon et Morges. Et l’aéroport de Zurich est un mini aéroport à l’échelle mondiale.

Cela montre que les consommations du trafic aérien sont monstrueuses. Et si un jour on doit faire des économies, ce sera certainement dans l’aviation. À Genève, le kérosène est acheminé directement à l’aéroport depuis le pipeline, sans aucune manipulation par train ni camion, directement dans l’avion. À Zurich, cela arrive par barges jusqu’à Bâle, ou via les raffineries allemandes, puis par train. Donc il y a constamment des trains qui arrivent à l’aéroport, vidés dans des cuves puis par pipeline de nouveau sur le tarmac.

Où en est-on du point de vue des réserves?

C’est comme pour les masques, c’est quand on a eu l’idée de supprimer les réserves obligatoires qu’on en a eu besoin. Il y a en Suisse des réserves pour beaucoup de choses. À Genève, nous avons beaucoup de stockage et de nombreuses discussions ont eu lieu pour diminuer ces infrastructures. On voit maintenant à quelle vitesse les choses peuvent évoluer.

Genève est aussi devenue une plateforme de stockage pour la sécurité d’approvisionnement, ce que nous appelons les stockages Carbura. Du nom de cette instance liée à la Confédération et basée à Zurich, qui gère le tout. La règle pour les réserves obligatoires est la suivante: si vous importez ou si vous fabriquez X litres, vous devez garder X % en stockage obligatoire et pouvoir présenter des preuves à n’importe quel moment. Et ces stocks qui se trouvent à Genève sont essentiels pour le bon fonctionnement de la région.

Ce domaine relève-t-il toujours du secret d’État?

Oui, en partie. On parle de trois à quatre mois de stocks obligatoires. Ce sont des chiffres qui ne sont pas publiés. En fait, il s’agit d’un calcul très savant prenant en compte la moyenne des trois dernières années et la consommation effective. Donc la tendance pour l’huile de chauffage, c’est que les réserves vont être en baisse puisque la consommation a diminué.

Pour le kérosène, on devrait faire baisser le stock obligatoire, suite à la pandémie, mais il faudra certainement enlever les années de pandémie pour être plus juste. Il y a des gens dont le métier est de s’occuper de cela. Il y a un système informatique qui gère tout cela, c’est fait à la Suisse.

La pandémie a-t-elle changé la donne?

La consommation a évolué durant cette période. Les technologies ont changé. Les achats de voiture hybrides ou électriques ont progressé. Des gens ont renoncé à la voiture dans les grandes villes, il ne faut pas minimiser cette évolution, parmi les jeunes notamment. Ou ceux qui prennent des voitures de location. Le gaz naturel (GPL) n’a pas beaucoup pris pour l’instant.

Pensez-vous que cette période soit propice aux changements de direction en matière énergétique?

Je vois que la Suisse réfléchit à l’après-pétrole, ou à l’entre-pétrole, car cette transition aura lieu. Or le pétrole permet de récolter des taxes qui permettent de maintenir les infrastructures. Il faudra être créatif pour trouver de nouvelles sources de financement de nos infrastructures routières, puisque actuellement elle ne sont financées que par les taxes sur les carburants provenant du pétrole. J’ai confiance en nos institutions qui vont trouver un consensus pour maintenir nos axes routiers, ponts et tunnels en excellent état.

François Othenin-Girard

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