Publié le: 9 février 2018

Journée du numérique: à quoi sert cet OVNI? La réponse des «dinosaures»

transformation numérique – Selon une étude biaisée, les PME ne disposent pas de stratégie 
numérique. Sauf que les entreprises ne comprennent pas du tout le sens de toutes ces questions.

Conseil Fédéral

La Journée suisse du numérique s’est déroulée le 21 novembre 2017. En plus des nombreuses entreprises privées et publiques présentes pour cet événement, deux départements fédéraux se sont illustrés. Celui de la communication (Detec), avec sa conseillère fédérale Doris Leuthard. Et celui de l’économie avec le conseiller fédéral Schneider-Ammann. On y a même vu le conseiller fédéral Alain Berset, chef de l’intérieur. Tout ce petit monde a pris un bain de soleil numérique.

Un conflit d’intérêt qui pose problème

Pas de problème avec le glamour. Mais que trouve-t-on derrière tant de splendeur et cette gloire? La Journée du numérique a été organisée par l’association privée Digital Switzerland. Sur le site Internet de l’association, on trouve la liste des membres. D’abord des «grandes» pointures, Google, Migros, UBS ou ABB. Puis des entreprises publiques telles que les CFF, la Poste, Ruag ou Swisscom. On y voit même certains cantons parmi les membres, comme Zurich, Bâle ou Genève. De facto, on y croise peu de PME. Toutefois, un point devrait nous faire réfléchir un brin. À la tête du comité de cette association siège le chancelier Walter Thurnherr. En tant que chancelier. Avec le recul, ces journées du numériques offrent un joyeux mélange des genres, avec trois conseillers fédéraux, une organisation patronnée par une association de grandes entreprises et d’entreprises publiques. Et un chancelier fédéral qui trône au sein d’un comité de direction.

Dans la foulée, Sylvia Flückiger, membre du Comité directeur de l’usam et conseillère nationale, a pour sa part posé quelques questions au Conseil fédéral. Les voici.

1. Le Conseil fédéral a-t-il effectué des versements en faveur de Digital Switzerland ou des paiements à l’occasion de la Journée du numérique? Et si oui, pour quels montants ?

2. Si de telles contributions sont avérée, comment le Conseil fédéral les justifie-t-il? Quels sont les résultats concrets de ces paiements?

3. Comment la Confédération traite-t-elle le conflit d’intérêts évident lié à la présence du chancelier de la Confédération à la tête du comité?

4. Comment s’assurer qu’aucune politique industrielle ne soit poursuivie dans le domaine de la numérisation?

5. Comment s’assurer que toutes les entreprises disposent des mêmes conditions-cadres pour la numérisation sans distinction?

La réponse à cette interpellation est toujours en suspens.

Henrique Schneider, usam

Surprenantes conclusions auxquelles aboutit l’étude «Digital Switzerland» portant sur les PME et réalisée pour la troisième fois (lire le commentaire ci-dessous). Elle étudie les objectifs et les défis de la transformation numérique pour les entreprises suisses. Et révèle que la grande majorité des 87% des sondés seraient des «dinosaures numériques». Des animaux vivant tout particulièrement dans les micro-entreprises (1 à 9 collaborateurs). C’est la surprise!

«L’étude montre qu’une large part du potentiel reste inexploitée et qu’il existe en même temps un réel problème de ressources pour faire avancer la transformation numérique», explique Manuel Nappo, responsable de l’Institute for Digital Business de la HWZ, qui a dirigé cette étude.

«ces PME qui n’ont ni le temps, ni le savoir-faire, risquent de rater le train…»

D’autres experts sont convoqués au chevet des PME. Ainsi, Stefano Santinelli, CEO de localsearch: «Ce sont avant tout les micro-entreprises qui ne disposent ni du temps ni du savoir-faire nécessaires pour se consacrer à la numérisation.» Mais pourquoi devraient-elles se consacrer à la numérisation plutôt qu’à leurs clients? Ces spécialistes ne l’expliquent pas!

Imagerie: «le train du progrès»

Poursuivons la lecture, car les métaphores liées au progrès abondent. Après les dinosaures, place aux voies ferrées: «De nombreuses entreprises risquent de rater le train de la numérisation, car, qui n’est pas présent en ligne de nos jours, n’est tout simplement pas pris en considération et la concurrence ne se trouve qu’à un seul clic.» On aligne les dogmes! Les «principaux défis» en termes de transformation numérique seraient le «manque de ressources financières» et de «connaissances spécialisées», mais aussi «un équipement technique inadapté».

L’étude passe ensuite au crible l’offre en ligne des PME. Et là, c’est la curée: «Les participants à l’enquête «disent connaître le mieux les 
réseaux sociaux et l’e-commerce». Mais pour les auteurs de l’étude, cela ne suffit pas: «Dans le contexte du quotidien de l’entreprise, les possibilités numériques ne sont que très peu exploitées: pour 77% des entreprises ayant participé à l’enquête il n’est aujourd’hui pas encore possible de réserver un rendez-vous en ligne pour des prestations qui requièrent une prise de rendez-vous (salons de coiffure ou physiothérapeutes, par exemple).» Vient le pire: «60% d’entre elles ne disposent pas non plus d’un logiciel leur permettant de gérer les rendez-vous.»

«Une boulangerie 
a-t-elle besoin d’un logiciel pour gérer ses rendez-vous?»

À aucun moment, une perspective critique n’est menée sur l’utilité pour les PME de disposer de telle ou telle technologie. Et aucune hypothèse ne fait mention du fait que peut-être, si elles n’adoptent pas tel outil, c’est qu’il doit bien y avoir une raison. Une raison liée à leur business modèle. L’absence de marketing en ligne serait donc un péché capital. Or qui retrouve-t-on au rang des acusés: «Les micro-entreprises boudent le marketing en ligne: tout juste un tiers des sondés contacte les clientes et clients en ligne par le biais d’offres personnalisées et seulement 11% utilisent un système de fidélisation numérique.»

Chacun choisit ce qui est utile

Pour conclure, cette étude ne met pas en évidence ce qui devrait en constitut une: le fait que certaines PME utilisent de nouveaux moyens est plus à mettre en lien avec leur utilité qu’avec une soi-disant incapacité à s’adapter à un nouveau monde. À bon entendeur!JAM

commentaire

Une étude bien
tendancieuse

Selon l’étude publiée par Digital Switzerland, à laquelle presque aucune PME n’appartient, les PME sont en retard et sont de vrais dinosaures numériques. Comment sont-ils arrivés à cette conclusion ?

Les entreprises qui ont participé à l’étude devaient répondre à deux questions : «Votre entreprise dispose-t-elle d’une stratégie de transformation numérique?»

A cette question, 54% des personnes interrogées ont répondu par la négative.

A la deuxième question – «Votre entreprise prévoit-elle d’élaborer une stratégie de transformation numérique au cours des deux prochaines années?», 71% des répondants ont répondu négativement.

Un tel résultat ne nous surprend pas. Les questions sont clairement biaisées. Au fond, qui sait vraiment ce qu’est la «transformation numérique»? Comment un hôtel pourrait-il se «transformer numériquement»? Les chambres, le hall d’entrée et les espaces wellness doivent-ils rester «non numériques»? Le point de fusion du fer ne fait pas l’objet d’une «transformation numérique». De manière similaire, les taux de dispersion des peintures ne changent pas en entrant dans «l’ère numérique».

Tout cela, les personnes qui posent ces questions le savent éminemment. Mais elles ont besoin d’un concept – un concept qui n’a rien à voir avec la réalité des entreprises. La numérisation est certes une tendance avérée depuis trois décennies. Il s‘agit avant tout d’une évolution. La plupart des entreprises intègrent les composants numériques de manière évolutive. Étape par étape, les nouvelles technologies sont utilisées à leur avantage. C’est-à-dire à l’avantage de leurs clients…

Toutefois, le principal problème de cette étude est d’une autre nature : dans le texte publié par Digital Switzerland, les questions posées insinuent le fait que les entreprises se numérisent à cause de la numérisation

C’est une grosse bêtise. Si tel était le cas, ce serait même dangereux pour les entreprises. Ces dernières créent de la valeur en percevant les préférences des clients sur les marchés. Nous le savons tous, une bonne stratégie d’entreprise situe l’importance de la question de la valeur ajoutée pour le client avant la question des moyens à mettre en œuvre.

Le numérique est tout autant un moyen que les machines ou le financement. A cela s’ajoute le fait que l’entreprise ne dépend pas seulement d’un moyen. De la même manière que personne ne devrait avoir une « stratégie de dette », il n’y a aucune raison de se doter d’une « stratégie de numérisation ». Au contraire, les entreprises peuvent atteindre leurs objectifs stratégiques en combinant habilement les ressources qu’elles ont à disposition – dont la numérisation !

La conclusion : ce que l’étude publiée par Digital Switzerland considère comme une erreur de la part des PME se révèle de facto être la preuve même d’une bonne gouvernance d’entreprise. Les entrepreneurs placent au premier plan la création de valeur, et ensuite seulement le choix des ressources. Cela vaut également pour la numérisation.

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