Publié le: 4 juillet 2014

L’artisan du libre-échange suisse

Christian etter – Le chef négociateur des accords commerciaux avec la Chine entrés en ­vigueur début juillet, commente le fruit des deux années de discussions (Partie I).

Il est l’artisan de neuf accords de libre-échange que la Suisse a passé au cours des dernières années. Le chef négociateur Christian Etter fêtait le 1er juillet avec émotion l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange (ALE) signé entre la Chine et la Suisse. Une première qui ne se cache pas les difficultés et les solutions qu’il a fallu trouver pour avancer. Dans cette première partie de l’entretien, visite de l’ALE avec celui qui l’a construit, en tout quelques années de patience et d’empathie avec ses homologues de l’Empire du Milieu. Nous reviendrons dans un deuxième volet sur les conseils aux entrepreneurs.

Journal des arts et métiers : Certains critiquent l’accord de libre-échange parce qu’il ne va pas assez loin, d’autres parce qu’il ne donne pas assez de garantie en matière d’environnement et des droits de l’homme. Que répondez-vous à ces critiques ?

n Christian Etter : Que cet accord est comparable à d’autres accords modernes que la Suisse a passé ces dernières années de manière bilatérale comme l’accord de libre-échange avec la Chine, ou dans d’autres cas négociés ensemble avec ses partenaires de l’AELE (Suisse, Norvège, Islande, Liechstenstein), avec différents pays autour du monde. Notamment en libéralisant à l’entrée en vigueur ou à terme, la plus grande partie du commerce des produits industriels. Comme dans les autres accords de libre-échange de la Suisse, le commerce des produits agricoles est libéralisé de manière ponctuelle, en fonction de la politique agricole. Il y a un chapitre sur les services, un autre sur la propriété intellectuelle, les deux contribuent à accroître la sécurité juridique des entreprises suisses qui veulent établir des relations économiques avec leurs partenaires chinois. Dans les services, nous avons convenu avec la Chine des garanties de l’accès au marché plus étendues qu’à l’OMC. Pour la propriété intellectuelle, cela va également au-delà des règles de l’OMC dans certains domaines, comme la protection des indications géographiques, Swiss, Swiss-made, etc.

« je suis dans le «business» du libre échange depuis 2000. c’est mon 8e accord. »

Autre exemple, l’accord avec la Chine précise la protection des données d’essai, un domaine important pour l’industrie pharmaceutique. Et dans la foulée, des dispositions sur la propriété intellectuelle, les procédures à effectuer par les autorités douanières, les collaborations entre les autorités compétentes, toute une série de points permettant de renforcer la mise en oeuvre de la protection des droits à la propriété intellectuelle. D’autres dispositions de l’accord sur les marchés publics, l’investissement, sur la concurrence, établissent des procédures de coopération entre les autorités de la Suisse et de la Chine.

Et en matière d’environnement et des droits au travail?

n En même temps, cet accord tient compte des volets environnement et droits au travail. La politique du Conseil fédéral veut que, depuis quelques années, on inclut dans les accords modernes de libre-échange des dispositions dites de cohérence entre les politiques économiques commerciales et les buts de la politique extérieure de la Suisse, en matière de développement durable, environnement, droits au travail, tels qu’ils sont inscrits dans les accords multinationaux sur la protection de l’environnement et les conventions de l’Organisation internationale du travail notamment. Et des liens sur les instruments multilatéraux concernant les droits humains, par exemple la Charte des Nations Unies ... Toutes ces dispositions qu’on a pu ancrer également dans l’accord avec la Chine. Toutefois, un accord de libre-échange reste un accord commercial.

La Suisse est un pays de services. Quelles sont ses chances ?

n Il est vrai que la Suisse est une économie de services, bien que l’industrie, heureusement, y joue un rôle toujours important. Ce qui est devenu très important, c’est la combinaison marchandises-services. Vous ne vendez très souvent plus une machine ou un outil, mais un système, comprenant software, conseils divers, maintenance, réparation, etc. Or cet accord inclut un volet important sur les services qui renforcent les règles établies à l’OMC dans l’accord général sur le commerce des services (AGCS).

« La coopération entre autorités ce qui est souvent la meilleure manière de trouver des solutions pragmatiques. »

On précise certaines dispositions dans la réglementation interne, règles de transparence, pour les services financiers en matière de mesures de surveillance, qui doivent être non-discriminatoires entre fournisseurs de services étrangers et ceux du pays. Par rapport au cadre de référence de l’OMC, la Chine ajoute à sa liste des secteurs où l’accès au marché est garanti entre autres les services de l’environnement, certains services financiers (commerce des titres), services d’ingénierie, de maintien et de réparation des installations industrielles. En revanche, la Suisse ajoute certains services dans l’assurance, notamment.

Comment voyez-vous cet accord vivre dans la durée ? A-t-on le recul suffisant pour voir ce qu’il va devenir, dans quelles directions il devrait aller ?

n La coopération entre autorités sera renforcée, ce qui est souvent la meilleure manière de trouver des solutions pragmatiques. Par exemple, l’accord établit un comité mixte qui se réunit de manière régulière et où l’on peut aborder les problèmes qui se posent.

« Les difficultés n’ont pas manqué, mais il est possible de faire des affaires avec la chine. »

En plus, il y a des clauses de négociations pour permettre à l’accord d’évoluer, les parties s’engagent à revoir les dispositions de l’accord tous les deux ans environ. Et éventuellement à négocier des adaptations en fonction des changements intervenus. Cet accord est le 28e que la Suisse a conclu avec des pays en dehors de l’Union européenne, donc nous disposons d’une certaine expérience en matière de comités mixtes. Le plus fréquent, quand nous nous voyons, c’est pour actualiser la nomenclature des marchandises, en fonction des changements décidés de temps à autre par l’Organisation mondiale des douanes (OMD) à Bruxelles. Depuis 1978, la Suisse et la Chine disposent d’une commission économique qui s’est réunie normalement chaque année depuis quelques temps et auparavant tous les deux ans. Je m’attends donc à avoir des contacts réguliers également au sein du comité mixte de l’accord de libre-échange. De plus, ce comité comprend des sous-comités techniques, par exemple sur les questions douanières et sur les obstacles non-tarifaires au commerce. Ce dernier est déjà très actif, puisqu’il a commencé ses travaux avant même l’entrée en vigueur de l’accord. Nous examinons par exemple la compatibilité des prescriptions techniques pour les équipements de télécommunication, en vue de rendre les échanges plus faciles.

Vous êtes au SECO depuis 1985, dans quels dossiers avez-vous 
œuré comme négociateur ?

n Je suis dans le «business» du libre-échange depuis 2000. Le premier auquel j’ai participé était celui avec le Mexique. Ensuite, j’ai été membre de la délégation qui a négocié les accords de libre-échange avec le Chili, Singapour et la Croatie. Puis j’ai repris le flambeau de négociateur en chef suisse en 2006 et mené la délégation suisse face à la Corée du Sud, le Liban, Hong-Kong, le Canada, l’Egypte, la Tunisie, les Pays du Golfe (GCC). La Chine représente mon huitième accord comme chef de la délégation suisse.

Quel est celui qui vous aura le plus marqué ?

n Difficile à dire, l’intéressant, c’est la diversité des processus, ce qui jà première vue peut surprendre vu que l’objectif de départ reste le même, à savoir un ALE incluant les marchandises, les services, la propriété intellectuelle et les autres sujets importants pour l’économie suisse, puis d’observer comment cela se développe. Toutefois, j’ai observé dans les pays dont je me suis occupé des différences de cultures politiques et juridiques étonnantes, ce qui présente chaque fois de nouveaux défis. Les difficultés n’ont pas manqué mais il est possible de faire des affaries avec la Chine. Mes collègues chinois partagent avec nous un certain pragmatisme.

Interview : JAM

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