Publié le: 5 octobre 2018

L’attrait de saveurs anciennes

étude – Dans quelle situation se trouve le petit entrepreneuriat contemporain?
Pistes de réflexion sur la condition existentielle des PME et de l’artisanat.

Nombreux sont ceux qui réexplorent les racines et se replongent dans la tradition.

L’avènement de cette course productive spasmodique, synthétisée dans l’expression des temps modernes, a bouleversé et renversé la réalité originelle de la production et, avec elle, toute la vie quotidienne des producteurs et entrepreneurs individuels. Elle a investi dans des processus de travail qui ne peuvent plus se permettre le temps du caractère unique, de la réflexion, du goût du produit individuel et du plaisir de se retrouver dans cet artéfact donné à la vie.

L’anéantissement actuel semble être le résultat de l’aplatissement généralisé du diversifié sur la fixité uniforme de la production de masse. C’est ce qui a longtemps étouffé le flair créatif et entrepreneurial des artisans individuels, le goût artistique qui permettait à ces derniers de donner forme physique à leur pensée. Ce qui leur donnait la force de forger les plus grands projets 
entrepreneuriaux, dont la logique, elle, est restée identique.

Les structures de conception, d’exécution et de création semblent en revanche avoir été mortifiées par cette course à l’homologation et par la perte d’une identité de fabrication, pleine d’histoires personnelles, de liens et de symboles: ceux-là même qui lui permettaient de renouer avec ses origines.

«Redécouvrir en 
s’arrachant à la 
masse générée par 
la mondialisation.»

Mais aujourd’hui – peut-être ne faut-il y voir là qu’une réaction extrême face à l’annulation de l’humanité qui gouverne la dynamique de production – de nouvelles réalités naissent à partir de récupérations intéressantes, marquées par la beauté de la redécouverte, animées par le désir de s’arracher à cette masse générée par la mondialisation.

Vivre en un lieu, en faire partie, tisser le réseau naturel des relations humaines, pour tout cela, il faut agir, il faut une volonté qui est malheureusement souvent refoulée par des contraintes extérieures.

Donner vie à quelque chose, transformer son quotidien en aspirant à quelque réalisation créative, aspirer à insuffler quelque chose de personnel dans la réalité sociale qui nous entoure: c’est exactement cela, l’étincelle des petites et moyennes entreprises (PME), où naissent puis grandissent de grands entrepreneurs. Collectivement, c’est vers cela aussi que nous tendons à revenir, vers cette lueur d’origine dont nos entreprises proviennent.

Il peut donc arriver qu’une partie de l’entrepreneuriat moderne laisse derrière lui la froideur des mé­canismes de production. Qu’il 
remette au goût du jour toute la beauté de l’humanité, artistique et manuelle. Qu’il redécouvre le goût ancien de façonner, de forger, d’utiliser des matériaux, des formes, des couleurs et des textures en lien avec cette culture d’origine. Qu’il creuse enfin le long de ses racines pour mettre en lumière les valeurs symbolique et sociale. Qu’il en fasse un mélange indissoluble de la vie quotidienne et la réalité locale environnante.

«Remettre au goût du jour toute la beauté humaine, artistique et manuelle.»

Les exemples d’entrepreneurs, de restaurateurs et d’artisans qui retournent dans les ateliers ou à la campagne, qui reprennent le travail d’un savoir ancien, qui font revivre le savoir oublié par la pression des temps de production, homologué et répétitif, ne sont pas rares.

C’est dans ce domaine que deux secteurs apparemment nouveaux, mais en réalité caractérisés par une longue histoire de marginalité et une faible visibilité médiatique, s’insèrent et se développent en silence.

L’un de ces deux secteurs est celui du développement de projets et d’activités productives par des personnes venues de loin, des migrants et plus fréquemment par leurs fils, des jeunes qui portent en eux le patrimoine de la connaissance hésité par les échanges permanents entre systèmes et cultures, et qui nourrissent en fait les impulsions de l’économie nationale.

L’autre secteur émergent est celui de l’entrepreneuriat féminin, toujours en progression mais encore peu 
visible. Il serait facile pour chacun d’entre nous d’énumérer les noms de divers entrepreneurs masculins, mais nous aurions beaucoup de difficulté à nous rappeler les noms des nombreuses femmes qui font leur chemin dans ce secteur.

«Deux figures
du nouvel 
entrepreneuriat: 
les migrants 
et les femmes.»

Par rapport à beaucoup d’autres pays sur le plan international, la Suisse dispose en effet, un excellent taux d’entrepreneuriat féminin, aujourd’hui proche de 40%. Il faudrait s’interroger sur les raisons qui font que notre mémoire nous joue ces tours. Et nous demander comment il est possible que de nombreuses femmes entrepreneurs et micro-entrepreneurs échappent à notre attention (lire suite p. 19).

Valeria Dell’Orzo,

anthropologue indépendante

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