Publié le: 3 juillet 2020

L’immobilier post-crise

OLIVIER FELLER – Pas de risque d’éclatement d’une bulle immobilière, selon le conseiller national (PLR/VD), directeur de la Chambre vaudoise immobilière et secrétaire générale de la Fédération romande immobilière.

Journal des arts et métiers: Quelle était la situation des différents secteurs de l’immobilier avant la crise sanitaire ?

Olivier Feller: La demande sur le marché du logement a été forte au cours de ces dernières années. Cela s’explique non seulement par la croissance démographique marquée mais aussi par la diminution progressive de la taille moyenne des ménages. La hausse de la demande a entraîné une augmentation de la production de logements. A présent, on sent que la demande se tasse mais que l’offre continue de s’étoffer à un rythme soutenu. Cela a pour conséquence de faire augmenter le taux moyen de logements vacants dans notre pays. Certes, dans les centres urbains, l’offre reste insuffisante par rapport à la demande. Mais si l’on considère la Suisse dans sa globalité, nous sommes dans une situation de suroffre. Les loyers proposés en cas de nouvelles locations auront ainsi tendance à continuer de baisser.

«on sent que la demande se tasse mais que l’offre continue de s’étoffer à un rythme soutenu.»

Qu’avez-vous observé en Suisse romande? Des différences d’une région à l’autre?

Les différences entre les régions sont frappantes. On considère que l’équilibre entre l’offre et la demande est atteint lorsque le taux de logements vacants s’élève 1,5%. En moyenne suisse, ce taux se situe actuellement à 1,66%. Mais à Genève, il est de 0,54%, tandis que dans le canton du Jura, il s’élève à 2,59%.

Que penser des mesures prises par les autorités?

Le Conseil fédéral a pris une mesure forte dans le domaine des loyers à la fin du mois de mars: si le locataire a du retard pour s’acquitter de loyers ou de frais accessoires échus entre le 13 mars et le 31 mai en raison des mesures prises pour lutter contre la propagation du Coronavirus, le bailleur doit lui accorder un délai d’au moins 90 jours pour l’acquittement des montants dus, alors que le délai usuel prévu par le code des obligations est de 30 jours. Cette mesure avait pour objectif d’offrir aux locataires une période de répit. Les associations romandes de défense des propriétaires ne l’ont pas combattue, une telle règle paraissant proportionnée au vu de la situation exceptionnelle que nous avons connue.

Quid du Parlement?

La décision récente du Parlement de charger le Conseil fédéral d’élaborer un projet de loi en vue de réduire de 60% les loyers dus par les locataires touchés par les mesures prises par la Confédération en vue de combattre la propagation du Coronavirus n’est pas acceptable. Les situations individuelles sont variables, une réglementation fédérale applicable de façon indifférenciée à tous les locataires et bailleurs du pays produira des effets inéquitables voire arbitraires. Parmi les bailleurs, il y a des grandes sociétés d’investissement mais il y a aussi des propriétaires privés qui ont placé leur avoir de vieillesse dans un petit immeuble. Parmi les locataires, il y a des restaurateurs locaux qui ont perdu du jour au lendemain leurs revenus. Mais il y a aussi des grandes chaînes internationales qui disposent de fonds propres substantiels.

Je salue par contre les initiatives développées par un certain nombre de cantons, singulièrement en Suisse romande, en vue de proposer des solutions incitatives pragmatiques basées sur des efforts financiers conjoints des bailleurs, des locataires et des collectivités publiques.

«Nous ne sommes pas dans un western, il n’y a pas les gentils d’un côté et les méchants de l’autre.»

Dans quelle situation se trouve actuellement l’immobilier résidentiel de location?

Compte tenu de la fermeture de certaines frontières et de la situation sur le marché du travail, la croissance de la population suisse devrait fortement fléchir au cours de cette année. La production de nouveaux logements devrait en revanche rester abondante en 2020 malgré les retards pris sur certains chantiers en raison des mesures sanitaires édictées par les autorités.

On peut donc s’attendre à une augmentation du nombre de logements inoccupés, en particulier dans les régions périphériques.

Et du côté de la location des locaux commerciaux?

La situation du marché immobilier commercial va devenir plus compliquée à terme. Le recours au télétravail devrait s’intensifier, diminuant les besoins des entreprises en termes de bureaux et d’espaces de travail. S’agissant des surfaces commerciales, la demande risque également de faiblir, les consommateurs optant toujours plus fréquemment pour des achats en ligne. Les fonds spécialisés dans les surfaces commerciales ont d’ailleurs vu leurs cours nettement reculer depuis le début de l’année.

Dans quel état se trouve le marché des achats et des ventes d’immeubles et d’appartements?

Selon bon nombre d’acteurs, comme les notaires et les courtiers, le nombre de transactions immobilières n’a pas connu de recul significatif depuis le début de l’année. Mais la situation pourrait évoluer, les vendeurs et les acheteurs pourraient faire preuve de davantage de prudence, les processus décisionnels pourraient être plus lents.

«La situation du marché immobilier commercial va devenir plus compliquée à terme.»

Par ailleurs, selon un récent sondage, la crise sanitaire aurait eu un impact significatif sur le désir des Suisses d’acquérir un logement. En avril 2020, un peu plus de la moitié des locataires (57%) se déclaraient intéressés par l’achat d’un logement. C’est nettement moins qu’avant la crise, puisqu’ils étaient encore 70% de cet avis en décembre 2019. Cela montre qu’un certain nombre de locataires ont renoncé pour l’instant à acquérir un bien. La crainte d’une réduction prolongée de l’horaire de travail, du chômage ou d’une dépendance financière est vraisemblablement à l’origine de cette évolution.

Le risque d’éclatement d’une bulle existe-t-il?

L’indice de bulle immobilière cal­culé par UBS est monté au premier trimestre 2020 à 1,3 point contre 1,26 point au trimestre précédent. Cette hausse s’explique par l’augmentation de 1% des prix, la plus forte depuis 2014, qui s’est accompagnée d’un ralentissement des revenus des ménages et par des prix à la consommation stagnants. Par ailleurs, la demande en investissements locatifs – buy-to-let – est à un niveau légère­ment supérieur en comparaison avec les trimestres précédents.

«Il faut moderniser les méthodes de travail parlementaires.»

Cela étant posé, il faut garder à l’esprit que la situation est très variable selon les régions. Je rappelle aussi que les taux d’intérêt hypothécaire sont historiquement bas et de très nombreuses hypothèques ont été conclues à des taux fixes. Même si le taux hypothécaire prenait subite­ment l’ascenseur, cette hausse ne provoquerait pas un choc brutal capable de produire l’éclatement d’une bulle immobilière.

Qu’avez-vous appris comme directeur de la Chambre vaudoise immobilière?

Les circonstances actuelles, propices à la démagogie politique et aux appréciations à l’emporte-pièce, ont amené certains milieux à s’en prendre brutalement aux droits de la propriété. La Chambre vaudoise immobilière, d’entente avec les organisations partenaires, va devoir redoubler d’efforts pour faire valoir le point de vue des propriétaires tout en tenant compte de l’intérêt général. Dans la situation actuelle, il s’agit de retrouver le sens du consensus et de la mesure, qui passe nécessairement par la prise en compte équitable des intérêts de toutes les catégories de la population. Nous ne sommes pas dans un western, il n’y a pas les gentils d’un côté et les méchants de l’autre.

Et comme politicien?

Même si le Conseil fédéral a globale­ment bien géré la situation de crise, la mise à l’écart complète du Parlement pendant de nombreuses semaines soulève de sérieuses questions institutionnelles. Nous devons réfléchir à une modernisation des méthodes de travail parlementaires de manière à ce que l’équilibre des pouvoirs puisse être assuré même dans des circonstances exceptionnelles.

Interview: François Othenin-Girard

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