Publié le: 7 février 2014

L’étonnant oubli du Conseil fédéral

L’invité du mois

L’initiative populaire « imposer les successions de plusieurs millions pour financer notre AVS (réforme de la fiscalité successorale) » soulève la problématique du respect du principe constitutionnel de l’unité de la matière. Dans un avis de droit rédigé pour l’usam, j’arrive à la conclusion que l’unité de la matière n’est en l’espèce pas respectée et que l’initiative doit donc être déclarée nulle par le Parlement fédéral. Dans son message du 13 décembre 2013, le Conseil fédéral soutient une autre position, sans toutefois examiner le vrai problème qu’il passe étonnamment sous silence.

L’unité de la matière est une exigence constitutionnelle (art. 139, al. 3, Cst.) dont dépend la validité d’une initiative. Ce principe vise à garantir la libre expression des droits politiques et à permettre aux citoyens de s’exprimer librement dans l’urne par un « oui » ou un « non » sans ambiguïté et en toute liberté de choix. Il faut en effet éviter que les votants se sentent contraints de se prononcer pour ou contre un objet pour en accepter ou en refuser un autre qui leur est présenté en même temps. Si une initiative prévoit plusieurs éléments, il doit exister entre eux un « rapport intrinsèque ». Cette question a fait l’objet de très nombreuses analyses dans la doctrine juridique. En substance, si plusieurs thématiques sont englobées dans une même initiative, elles doivent être liées entre elles par une relation particulièrement étroite, un simple lien financier n’étant pas suffisant. Par contre, deux sujets appartenant à un même problème politique peuvent être présentés en une fois au peuple, mais deux thématiques distinctes ne peuvent pas être liées dans une même initiative. Il va de soi que, pour apprécier cette question, il est nécessaire de tenir compte du contexte politique des sujets présentés au peuple.

En l’espèce, l’initiative visant à introduire un impôt fédéral sur les successions traite trois questions distinctes. Tout d’abord, le nouvel article 129 a Cst. introduirait un nouvel impôt fédéral sur les successions et les donations dont deux tiers seraient versées à l’AVS. Par ailleurs, le projet prévoit que les cantons perdraient leurs compétences de prélever leurs impôts sur les successions et les donations. Bien que ces deux premiers sujets soient unis par un certain lien logique, on peut déjà se demander s’ils ne représentent pas deux questions qui mériteraient d’être traitées séparément. Par contre l’initiative introduit un troisième thème, car le texte soumis au vote modifie la disposition constitutionnelle traitant du financement de l’AVS. C’est là que réside le problème principal lié à l’unité de la matière.

Actuellement, l’art. 112, al. 3, Cst. précise que l’assurance est financée (a) par les cotisations des assurés et (b) par des « prestations de la Confédération ». En outre, afin de conserver à l’AVS son caractère d’assurance sociale, l’art. 112, al. 4, Cst. stipule que « les prestations de la Confédération n’excèdent pas la moitié des dépenses ». Or, l’initiative prévoit d’introduire un nouvel art. 112, al. 3, let. abis Cst. qui ajouterait les recettes de l’impôt sur les successions et les donations comme source de financement supplémentaire et distincte des autres « prestations de la Confédération ». Comme le reste de l’art. 112 Cst., notamment son al. 4, ne serait pas modifié, il semble clair que les recettes du nouvel impôt seraient dissociées du financement général de la Confédération en faveur de l’AVS et n’entreraient pas dans la catégorie des prestations de la Confédération plafonnées à 50% des dépenses. A terme, l’AVS pourrait désormais être financée par la Confédération à hauteur d’un maximum de 50% par les prestations prévues dans la version actuelle de l’art. 112, Cst., montant auquel s’ajouteraient les ressources du nouvel impôt fédéral sur les successions et donations. Le caractère d’assurance du 1er pilier en serait fondamentalement remis en cause, puisque l’AVS serait désormais potentiellement financée majoritairement par des impôts et plus par les assurés.

Le nouvel art. 112, al. 3, let. a bis, Cst. et son impact sur la structure du financement de l’AVS est une question politique en soi, d’une importance toute particulière à l’heure où le financement des assurances sociales est un sujet de grande actualité. Cet aspect de l’initiative est d’autant plus sensible politiquement qu’il peut apparaître comme une alternative à des solutions de financement de l’AVS fondées sur le concept de l’assurance, comme le relèvement de l’âge de la retraite, l’augmentation des cotisations, etc. Il est donc particulièrement surprenant que, dans son message, le Conseil fédéral passe complètement sous silence la partie de l’initiative liée au nouvel art. 112, al. 3., let. a bis, Cst. Le gouvernement considère que l’initiative respecte le principe de l’unité de la matière principalement en raison du fait qu’il n’est pas inhabituel de prévoir un impôt dont les fonds sont affectés à la couverture de dépenses particulières (impôt d’affectation). Il a évidemment raison sur ce point. Toutefois, le Conseil fédéral ne considère là que le nouvel art. 139 a, Cst. (introduction de l’impôt sur les successions et donations) et omet complètement de prendre en considération la nouvelle disposition liée à la structure du financement de l’AVS, soit le nouvel art. 112, al. 3, let. a bis, Cst. Cet article constitutionnel et son impact sur la structure du financement du 1er pilier ne sont pas du tout commentés dans le message, ni au sujet de la problématique de l’unité de la matière, ni d’ailleurs dans le reste du document.

Cet « oubli » du Conseil fédéral est évidemment particulièrement surprenant et implique que le message passe à côté de la réelle problématique liée à l’unité de la matière. Dans ces circonstances, il ne reste qu’à espérer que les Chambres fédérales reconsidéreront la position du Conseil fédéral, comme elles l’ont d’ailleurs déjà fait par le passé au sujet de l’unité de la matière et qu’elles invalideront l’initiative.

Les opinions exprimées dans cette rubrique n’engagent que l’auteur.

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