Publié le: 5 juin 2020

La douleur de la cantatrice Larissa

MUSIQUE – La condition entrepreneuriale du monde artistique passe souvent inaperçue. Si la situation se normalise pour de nombreuses branches, elle reste difficile pour les musiciens. Le point avec une cantatrice qui est également fondatrice et responsable d’une PME artistique.

Transfuge du monde de la finance à celui de l’opéra, revoici Larissa Rosanoff! Nous avions interviewé la célèbre cantatrice basée à Genève quand tout allait bien. Elle a accepté de nous raconter de quel fil était cousu sa nouvelle réalité.

Journal des arts et métiers: Comment vivez-vous votre acti­vité artistique de cantatrice? Et qu’en est-il de votre PME de création d’opéras?

Larissa Rosanoff: Ce n’est pas forcément très positif mais ça a l’avantage d’être réaliste. Nous discutons beaucoup avec les collègues aux Etats-Unis, en Europe et en Russie, car notre métier est global et la situation est partout pareille. Il semble que nous serons les derniers à reprendre notre travail. Mais surtout, nous ne savons pas quand, car nous n’avons aucune visibilité quant à la possible réouvertures des salles de concert/théâtres. En tant qu’artiste indépendante, tous les contrats ont été annulés entre mi-mars et septembre 2020. Au mieux certains ont été reportés entre fin 2020 et 2021. C’est compréhensible, vu les mesures sanitaires mais afin de nous organiser, ce serait plus facile de pouvoir se dire que la réouverture se fera dans six, douze, dix-huit ou vingt-quatre mois!

Comment vous organisez-vous en mode survie?

J’ai la chance d’avoir un studio de travail indépendant chez moi et je travaille avec les enregistrements que m’envoient mes pianistes.

Nous avons également organisé chaque week-end des jardins-concerts avec des amis musiciens répartis dans toute la Suisse et même l’Europe. Nous sommes visibles sur les chaînes et les réseaux sociaux.

Comment voyez-vous la suite? Quelles sont les étapes prévues pour la sortie de crise?

Actuellement, comme les sportifs, les musiciens doivent veiller à garder la forme et continuer à travailler leur instrument sans aucune visibilité sur les dix-huit prochains mois. Il faut aussi se poser la question de savoir combien de temps chacun pourra tenir financièrement. Et comment s’organiser cet été à l’heure de l’annulation de tous les festivals d’été, qui représentent parfois jusqu’à 50% de nos revenus annuels. Quelles que soient les conditions sanitaires imposées aux théâtres – il est vital pour les musiciens de pouvoir reprendre leur travail en septembre 2020. Par exemple – est ce que jouer un concert devant cinq personnes est un problème? Non, absolument pas! Tant que nous pouvons jouer! Au delà de cette date, malheureusement des dégâts permanents sont à prévoir.

Comment imaginez-vous le retour à une situation «plus normale»?

Il n’y aura pas de retour à la normale tant que 70% de la population n’aura pas développé une immunité ou tant que nous n’aurons pas de vaccin. Ce n’est pas moi qui le dit – c’est mon papa qui est chercheur!

Comment la crise du Coronavirus affecte-t-elle exactement la structure de votre PME?

Toute l’activité est à l’arrêt et la date de la reprise est plus qu’incertaine. Nous n’avons pour l’instant aucune information de la part du Conseil fédéral ou des autorités cantonales concernant la possible reprise des activités artistiques.

Sur une Ă©chelle de douleur de 1 Ă  10, oĂą en ĂŞtes-vous du point de vue entrepreneurial?

Je répondrai sans hésitation: 20!

Des aménagements sont-ils possibles?

Hélas, les répétitions acoustiques sont impossibles jusqu’à nouvel avis et même l’enseignement individuel est à l’arrêt, sauf pour les Hautes écoles de musique (HEM) où certains profs peuvent donner des cours en ligne. Tout est à l’arrêt et nous maintenons des contacts par téléphone et e-mail pour confirmer tous les reports de dates. Je travaille avec les partitions en ligne, car livraison des partitions papier s’avère difficile.

Avez-vous eu recours au licenciement, au chômage partiel, aux aides à la liquidité?

Le chômage technique a été demandé pour un collaborateur dès fin mars. Pour les aides à la liquidité, en revanche, voici mon avis personnel: ce n’est pas le moment de contracter des dettes pour les indépendants en général, car nous n’avons aucune visibilité sur les dix-huit prochains mois. J’aimerais dire aussi que de trop nombreux indépendants n’ont pas droit au chômage alors qu’ils cotisent, payent leurs impôts et charges sociales comme tout le monde et que leur salaire est souvent inférieur aux employés des entreprises. Dans le milieu artistique, les employés des grandes structures et écoles ont pu toucher leur salaire ou le chômage alors que les musiciens indépendants ou qui n’ont pas de poste fixe auprès du Conservatoire (OSR/GTG/HEM) ou autre structure se retrouvent dans une situation catastrophique. Pour s’en sortir la majorité a mis en place des cours en-ligne.

Que retenez-vous de tout cela?

Que le métier du musicien classique est un métier acoustique avant tout. La musique classique doit être enseignée et écoutée en live. Aucun média ne peut remplacer l’écoute directe des instruments acoustiques ou voix classiques.

Interview:

François Othenin-Girard

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