Publié le: 14 août 2020

La revanche des petits en montagne

HÔTELLERIE – Pour Claude et Anne-Françoise Buchs à la tête du «Bella Tola» à Saint-Luc, le redressement opéré met en évidence le potentiel des nuitées suisses et la nécessité d’une approche différente de celle des grands volumes.

«La saison d’été aura démarré sur les chapeaux de roue avec l’hôtel quasiment complet en juin et juillet et des taux de clientèle suisse de 84% en juin et de 93% en juillet», nous écrivait le 1er août dernier Claude Buchs, qui gère avec son épouse Anne-Françoise le Grand Hôtel Bella Tola de Saint-Luc. Une famille dont l’approche est légendaire dans l’hôtellerie valaisanne contemporaine!

C’est en l’appelant quelques jours plus tard que nous en prenons toute la mesure: ces deux mois auront permis à l’établissement historique du Val d’Anniviers de faire mieux – beaucoup mieux que de sauver une saison contaminée par la crise sanitaire. Leur résultat affiche carrément une hausse de 25% par rapport à 2019. «Or 2019 était déjà en soi un record absolu.»

«Les montagnes travaillent bien»

De quoi trancher avec les chiffres cinglants du tourisme suisse au premier semestre – tombés la veille: -47,5% de nuitées (-8,9 mios) avec un recul de -60,1% des nuitées étrangères et – tout de même – un recul de 32,4% des nuitées suisses.

Le qualificatif de «plutôt bien» employé par Claude Buchs pour qualifier la situation actuelle de son établissement n’est pas un euphémisme pour éviter les jalousies. D’une part parce que c’est un constat général, celui que «les montagnes travaillent bien». Zermatt s’en sort aussi, malgré le vide laissé par de la clientèle asiatique.

Ce «plutôt bien» décrit aussi l’état des stations qui se relèvent tant bien que mal d’un profond séisme. Le redémarrage réussi à Saint-Luc donne de l’espoir aux petits éta­blisse­ments familiaux misant sur la qualité de l’accueil et la vraie tradition hôtelière des Alpes suisses.

Nouvelle clientèle à Saint-Luc

«Nous avons senti les premiers signes de reprise des réservations dès le 17 mai, avec des séjours un peu plus longs, raconte Claude Buchs. Le 8 juin, les choses se sont emballées avec plusieurs «résas» chaque jour. Et le 19 juin déjà, nous étions pleins. Ce fut compliqué au début, notre équipe étant réduite, trouver des extras en montagne n’est jamais évident et il était difficile de faire venir des collaborateurs de l’étranger. Nous avons donc passé quelques semaines pénibles. Puis, juillet a grimpé très fort. Actuellement, nous sommes pleins jusqu’au 10 août et les perspectives pour la suite semblent bonnes.»

«Suisse Tourisme a une chance de se concentrer sur le marché intérieur …»

Au restaurant du Bella Tola, le nombre de places a été réduit d’environ 15%. «Mais cette situation ne nous affecte pas, car en juillet, nous avons réalisé une augmentation de 40% du chiffre d’affaires au restaurant, explique le Valaisan. Il y a du reste plus de gens dans le village et avec le Covid-19, une autre clientèle est arrivée en montagne: des gens s’installent sur la terrasse de notre restaurant à midi – alors les clients de l’hôtels sont quant à eux fréquemment à l’extérieur durant la journée, en randonnée ou en acti­vités sportives.»

Clientèle plus homogène

Que se passera-t-il par la suite? Une partie de cette nouvelle clientèle suisse «Covid-19» pourra-t-elle être fidélisée? Claude Buchs raconte que lors d’un voyage en Norvège, il fut frappé de constater que les hôtels historiques accueillaient environ 80% de clients du marché intérieur. «Chez nous, ce segment se situe d’habitude entre 50 et 55%. Si nous pouvions augmenter ce pourcentage de Suisses, même de 5 à 10%, nous aurions une meilleure vision de long terme.»

La crise sanitaire a eu indirectement d’autres effets – l’hôtelier constant que certains propriétaires de chalets n’étaient jamais venus en été et «découvraient» les charmes estivaux de la région. Durant cette période, le ressenti dans l’hôtel était différent: «Du fait de taux d’occupation élevés, donc de prix légèrement supérieurs, nous accueillons une clientèle très homogène, de couples et de familles. C’est très positif pour l’atmosphère de l’hôtel et agréable pour nos collaborateurs. Si l’on compare avec une clientèle US de groupes de dix personnes qui ne restent qu’une nuit, cela fait tout de suite un peu plus de bruit à table – et l’ambiance est très différente.»

Marché suisse: plus durable

Ces tours opérateurs américains ayant annulé, le couple d’hôtelier était inquiet. «Au final, nous avons réussi à compenser ce manque par la clientèle suisse. C’est le moment de parler de grands volumes et de qualité. Le sujet touche Claude Buchs qui estime que pour Suisse Tourisme, qui durant des années a misé sur l’acquisition de grands volumes à l’étranger – avant tout en Asie – le moment est peut-être venu de changer le fusil d’épaule.

«Une prise de conscience que le marché suisse présente des aspects plus durables et indépendants des cycles économiques serait souhaitable, analyse-t-il. Que ce que nous faisons a un sens économique et pas uniquement Zermatt et la Jungfrau qui ont investi des montants énormes pour le marché international. Suisse Tourisme a une chance de se concentrer sur le marché intérieur, au lieu d’augmenter en permanence ses budgets pour aller chercher très loin des groupes, afin faire fonctionner de grosses machines. Le marché asiatique ne va pas redémarrer aussi vite qu’on se l’imaginait. A l’international, la saison d’hiver en Suisse est pour l’instant au niveau zéro.»

«… au lieu d’augmenter en permanence ses budgets pour aller chercher très loin des groupes.»

A propos d’hiver encore. A Saint-Luc, on peut skier sans prendre le funiculaire et en gardant les distances. Ce sera un atout par rapport aux stations qui, ayant parié sur les volumes, se retrouveront avec des infrastructures inadaptées à la pratique des sports d’hiver par temps de crise sanitaire. «C’est la revanche des petits!», conclut Claude Buchs en souriant.

Au-delà du sourire, le point est marqué. «Nous n’avons jamais voulu nous développer sur ce marché des volumes et des groupes. Au contraire, nous avons toujours misé sur une clientèle individuelle et durable, explique-t-il. Pendant vingt ans, nous avons travaillé comme des fous en arrivant à peine à faire les investisse­ments nécessaires. J’ai envie de dire que le métier qui consiste à accueillir de grands groupes pour une nuit et celui que nous pratiquons n’est pas le même.»

François Othenin-Girard

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