Publié le: 7 février 2014

«â€‰Les praticiens apportent davantage d’innovation »

STEFAN C. WOLTER – L’expert de renom souligne l’importance de la formation professionnelle pour le marchĂ© du travail en Suisse.

Arts et mĂ©tiers : Dans plusieurs pays europĂ©ens, on n’accorde que peu d’importance Ă  la formation professionnelle, la considĂ©rant comme un creuset destinĂ© Ă  ceux qui ne trouvent pas leur place dans la vie. D’oĂč proviennent ces idĂ©es reçues et quelles en sont les consĂ©quences ?

nStefan C. Wolter : En gĂ©nĂ©ral, il ne s’agit pas d’idĂ©es reçues, car de nombreux systĂšmes Ă©trangers sont conçus de telle sorte que seule une petite minoritĂ© d’élĂšves ne parvenant pas Ă  accĂ©der au gymnase doivent « se rabattre » sur une formation professionnelle. D’oĂč une stigmatisation de la formation professionnelle : mĂȘme les entreprises qui le souhaiteraient renoncent alors Ă  offrir des places d’apprentissage par crainte de n’avoir affaire qu’à des jeunes dits « à problĂšmes ».

En outre, on persiste Ă  croire – non seulement Ă  l’étranger, mais aussi dans notre pays – que les jeunes, quant Ă  leur carriĂšre, doivent opter dĂ©finitivement entre formation professionnelle et enseignement gĂ©nĂ©ral. Qu’en pensez-vous ?

n MĂȘme celles et ceux qui optent pour l’enseignement gĂ©nĂ©ral doivent tĂŽt ou tard apprendre un mĂ©tier. La seule question est : quand ? Pour que le choix prĂ©coce d’une formation professionnelle puisse ĂȘtre adĂ©quat, il importe que le systĂšme soit permĂ©able et offre la possibilitĂ© de reprendre plus tard des Ă©tudes dans une haute Ă©cole spĂ©cialisĂ©e, Ă  l’universitĂ© ou par la filiĂšre de la formation professionnelle supĂ©rieure. D’autre part, il ne faut pas qu’un choix de carriĂšre prĂ©coce empĂȘche une reconversion ultĂ©rieure ou y fasse obstacle. MĂȘme si le systĂšme de formation peut toujours ĂȘtre amĂ©liorĂ©, la Suisse constitue, Ă  cet Ă©gard, un modĂšle exemplaire reconnu comme tel par de nombreux visiteurs Ă©trangers.

« LE CLICHÉ SELON LEQUEL LA FORMATION PROFESSIONNELLE SUISSE NE SERAIT QU’UNE ÉCOLE D’ARTISANS EST assez ARCHAÏQUE. »

Les migrants en Suisse, y compris ceux de la deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration, incitent souvent leurs enfants Ă  suivre une carriĂšre universitaire. Comment expliquez-vous un tel dĂ©dain pour l’apprentissage professionnel ?

n Il y a deux raisons Ă  cela. Tout d’abord, les migrants – mĂȘme ceux qui rĂ©sident en Suisse depuis longtemps – jugent souvent le systĂšme de formation professionnelle en fonction de celui qu’ils connaissent dans leur pays d’origine. Pour de nombreux migrants en provenance d’un pays n’ayant pas un systĂšme de formation professionnelle efficace, devoir expliquer aux parents restĂ©s au pays que leur fils ou leur fille n’a fait qu’un « simple » apprentissage Ă©quivaut Ă  une perte de statut social. DeuxiĂšmement, de nombreux migrants envisagent tĂŽt ou tard de quitter la Suisse et doutent – parfois Ă  juste titre – que les diplĂŽmes de la formation professionnelle suisse soient reconnus dans le systĂšme de formation et sur le marchĂ© du travail de leur pays. NĂ©anmoins, nos recherches montrent que la plupart des migrants reconnaissent, tout comme la majeure partie de la population suisse, l’importance de la formation professionnelle sur le marchĂ© suisse du travail.

« C’EST MALHEUREUSEMENT SOUVENT SUR LE GYMNASE QUE SE PORTE LE CHOIX DES ÉLÈVES NE SACHANT PAS ENCORE CE QU’ILS VEULENT FAIRE DANS LA VIE. »

La formation professionnelle est souvent assimilĂ©e Ă  l’artisanat. Un homme prĂ©sumĂ© intelligent affirmait rĂ©cemment que l’économie n’a pas Ă  donner de mĂ©dailles d’or aux maçons, mais bien plutĂŽt aux ingĂ©nieurs qui ont conçu des robots Ă  mĂȘme de construire des murs. Comment peut-on Ă©noncer pareilles aberrations ?

n Il y a trois choses Ă  dire Ă  cet Ă©gard. Tout d’abord, le clichĂ© selon lequel la formation professionnelle suisse ne formerait « que » des artisans est assez archaĂŻque. Il suffit de rappeler que, par exemple, l’apprentissage d’assistant en soins et santĂ© communautaire fait dĂ©jĂ  partie des formations vedettes de notre systĂšme dual de formation professionnelle. En d’autres termes, la formation professionnelle suisse couvre toutes les professions et tous les secteurs de l’économie. DeuxiĂšmement, toute personne qui voyage un tant soit peu Ă  l’étranger a tĂŽt fait de constater l’avantage considĂ©rable que l’on peut tirer du fait que les murs soient construits par des maçons de formation plutĂŽt que par une main-d’Ɠuvre non qualifiĂ©e. TroisiĂšmement – et c’est beaucoup plus important – ce type de ‹formation confĂšre Ă  l’économie suisse un avantage concurrentiel dĂ©terminant : les ingĂ©nieurs ayant commencĂ© leur carriĂšre dans des ateliers de production ou les chefs de chantier qui ont, un jour, bĂąti un mur de leurs propres mains atteignent un niveau de qualitĂ© autrement plus Ă©levĂ© et innovent davantage que les cadres formĂ©s exclusivement dans des Ă©coles, en marge des rĂ©alitĂ©s pratiques de l’économie. Mais un revirement s’opĂšre peu Ă  peu dans les pays Ă©trangers. C’est ce que l’on observe en dialoguant, par exemple, avec des collĂšgues amĂ©ricains qui poussent par tous les moyens Ă  une « rĂ©industrialisation » des Etats-Unis, mais qui Ă©chouent, faute d’avoir un systĂšme de formation professionnelle comme nous le concevons.

On reproche Ă  la formation professionnelle de faire obstacle Ă  la mutation structurelle en produisant trop peu de professionnels hautement qualifiĂ©s, tels que les informaticiens. Votre opinion sur ce sujet ?

n Cette idĂ©e erronĂ©e est liĂ©e Ă  la question prĂ©cĂ©dente. En Suisse, davantage d’informaticiens passent par la formation professionnelle que par la voie universitaire. A supposer que l’on donne d’abord Ă  tous les jeunes une formation gymnasiale, rien ne prouve, comme on le sait par expĂ©rience, qu’ils opteraient ensuite pour des Ă©tudes dans les filiĂšres MINT (mathĂ©matiques, informatique, sciences naturelles et technique), c’est-Ă -dire dans les domaines oĂč nous manquons de personnel spĂ©cialisĂ©.

Sur la base de quels critùres les jeunes devraient-ils choisir, le moment venu, entre un apprentissage et une formation gymnasiale ?

Les aptitudes et aspirations personnelles sont naturellement primordiales. Majoritairement, les Ă©tudiants aptes Ă  suivre le gymnase aussi bien qu’à accomplir un apprentissage ne devraient opter pour le gymnase que s’ils sont d’ores et dĂ©jĂ  certains de vouloir faire des Ă©tudes universitaires dans un domaine auquel la formation professionnelle ne leur donnera pas directement accĂšs. Mais hĂ©las, c’est souvent sur le gymnase que se porte le choix des Ă©lĂšves ne sachant pas encore ce qu’ils veulent faire dans la vie. A ce stade, les parents et le corps enseignant sous-estiment probablement les risques que comporte aussi cette filiĂšre, Ă  savoir, notamment, que seule la moitiĂ© des candidats Ă  la maturitĂ© obtiendra un jour un diplĂŽme universitaire. Il faudrait, et cela aurait un impact dĂ©cisif, que chaque Ă©lĂšve optant pour le gymnase soit, lui aussi, comme les autres, obligĂ© de rĂ©flĂ©chir au choix de sa profession dĂšs la 7e annĂ©e de la scolaritĂ© obligatoire.

« LA RÉUSSITE PROFESSIONNELLE, EN TANT QUE CRITÈRE DE STATUT SOCIAL, A ÉTÉ RELÉGUÉE AU SECOND PLAN AU COURS DES DERNIÈRES DÉCENNIES. »

Et comment rĂ©soudre le perpĂ©tuel problĂšme de statut social qui oppose l’apprentissage Ă  la voie gymnasiale ?

n Il est difficile de rĂ©pondre Ă  cette question. D’un cĂŽtĂ©, il est bon qu’une sociĂ©tĂ© accorde de la valeur Ă  la formation et, par consĂ©quent, un statut social Ă©levĂ© aux personnes ayant un haut niveau de formation. De l’autre, la rĂ©ussite professionnelle, en tant que source de statut social, a trop Ă©tĂ© relĂ©guĂ©e au second plan au cours des derniĂšres dĂ©cennies. C’est une erreur car la rĂ©ussite professionnelle reprĂ©sente aussi une plus-value pour la collectivitĂ©. Faire dĂ©pendre ce statut uniquement du parcours de formation est prĂ©judiciable du point de vue social. Il serait juste de tĂ©moigner de la reconnaissance aux personnes qui, par leur travail, rendent un service notable Ă  la collectivitĂ©, quel que soit leur parcours de formation. 


Interview : Gerhard Enggist

bio express

Stefan Wolter (nĂ© en 1966) est directeur du Centre de recherche sur l’économie de l’éducation, Ă  l’UniversitĂ© de Berne, et prĂ©sident du groupe d’experts Formation professionnelle au sein de l’Organisation de coopĂ©ration et de dĂ©veloppement Ă©conomiques (OCDE) Ă  Paris.

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