
Lutherie vivante du siècle prochain
jmc lutherie – Basée au Brassus (Vallée de Joux), cette équipe remet en question notre écoute standardisée et cherche à redonner au son une substance oubliée à l’époque des fichiers mp3. Leurs épicéas de 350 ans font vibrer l’âme.
Ils visent la synthèse entre la lutherie artisanale traditionnelle et l’avant-garde de la branche du son high-tech. Paufinent de nouveaux produits, sans relâche, et font valider leurs dĂ©couvertes dans les laboratoires de Âl’EPFL. Ils cherchent (et trouvent) des fonds pour financer leur expansion en Asie. Ils voyagent sans trève et se placent dans les mĂ©dias du monde entier. JMC Lutherie, c’est Ă la fois ce canapĂ© en cuir rouge, le silence du showroom du Brassus dans lequel monte un son perfectissime de viole de gambe – qui vous flanque une chair de poule tant le musicien est prĂ©sent. Le contre-tĂ©nor Philippe Jaroussky et sa joyeuse bande de musiciens. C’est le mot choisi pour qualifier l’expĂ©rience, nouvelle, d’une onde sonore Ă©lectronique qui retrouve son naturel d’origine en vibrant dans les fibres de cet Ă©picĂ©a de rĂ©sonance. Un haut-parleur construit comme un instrument de musique, taillĂ© dans un vieil arbre de 350 ans, cueilli Ă la main par le vieux Lorenzo Pellegrini qui Ă 80 ans grimpe encore dans les cimes comme un Ă©cureil. Un tronc sur 10 000 environ remplit la longue liste de critères lui permettant de se qualifier pour entrer en atelier. Les fibres des arbres ont tendance Ă se tordre sous l’effet de la force Coriolis, or elles doivent rester droite pour que Jeanmichel puisse tailler ce plateau Ă plat, exactement comme celui d’une guitare.
Le vieil homme et les arbres : les mots et les choses
« Il reste un des seuls aujourd’hui à construire aussi des meules à charbons », écrit Céline Renaud. Fondatrice venue du monde horloger, née dans la Vallée, tombée amoureuse de ses bois, de cette région, elle sait parler du luthier Jeanmichel Capt, de Lorenzo et de toute cette démarche dont le but premier est de donner du sens. « Son existence dans le Risoud le nourrit. Non seulement il y gagne de quoi vivre, mais il s’imprègne de choses capitales pour lui, insignifiantes ou méconnues de la plupart d’entre nous. Lorsqu’il regarde un arbre, bien sûr il le voit, comme vous et moi. Mais il l’écoute aussi, car l’arbre lui parle, lui communique des informations si subtiles que Lorenzo est un des rares humains à pouvoir les entendre. Le moindre détail compte : l’écorce, l’allure, les branches, le sol … Lorenzo regarde, et il comprend ! Il est en communion avec la nature et il sait. Il connaît le potentiel de chaque arbre, il est capable de trouver l’arbre parfait. »
Pourquoi cet extrait, presque littéraire ? Leur démarche n’est pas seulement un marketing raffiné par des cerveaux bien huilés de l’industrie du luxe et de l’horlogerie : la Vallée de Joux, son climat, l’inventivité des horlogers, la nécessité d’avoir deux métiers durant les rudes hiver, cette magnifique tradition. Non, l’une des forces de JMC Lutherie est aussi conceptuelle. Le poids des mots vient de la réflexion et de l’expérience que l’on cherche à transmettre. Comme dans l’hôtellerie et le tourisme – d’ailleurs Céline Renaud est une « ancienne de Lausanne » (L’Ecole Hôtelière de Lausanne). « Je tente, jour après jour, de trouver les mots permettant d’exprimer une réalité aussi difficile à traduire que la musique. » Et, en l’occurence il s’agit d’un Rinascimento de l’audition musicale. Accrocher un Soundboard dans son salon peut bien coûter environ 9000 francs et 690 francs l’Acoustic Docking Station JMC pour offrir à son smartphone une compétence musicale surprenante. Ma che importa ? Qui s’en préoccupe si le but est de vivre un authentique concert, de goûter les sons comme un délicieux plat chez Benoît Violier. Céline Renaud reçoit ses invités au Brassus pour une « dégustation de son ». Et c’est là un débouché pour ces produits, les hôtels, les restaurants gastronomiques cherchant à créer une véritable ambiance sonore. Un directeur d’école en a acquis deux à la Vallée pour la salle de musique. JMC lance des perches aux architectes d’ingénieurs, développe des vibreurs « maison » qui remplaceront à terme ceux qui sont achetés en Allemagne. Lance un projet CTI innovation pour ce faire. Se dit volontiers attiré par Bertrand Cardis – qui ne le serait pas par le chantier naval (Décision) basé à Ecublens qui a construit les plus grands fours permettant de cuire les pièces matériaux composites de Swiss Impulse, Alinghi, celles des incroyables voiliers de course de l’IMOCA, mais aussi d’autres perches, en carbone celles-ci, pour les autobus de Lausanne. Là encore, force de l’artisanat, immense sens de l’innovation, confortables longueurs d’avance sur une concurrence qui rame pour suivre ces PME propulsées à la vitesse des multicoques. Chez JMC Lutherie, comme chez Cardis, c’est l’importance accordée aux nouveaux matériaux – car déjà , des sandwichs de nid d’abeille kevlar sont utilisés pour alléger l’intérieur du plateau ...
Le luthier qui avait besoin de neuf mois pour une guitare
C’est Jeanmichel Capt qui a inventé le Soundboard. Pendant des années, il a construit des guitares. « Un jour, un musicien lui a demandé de lui trouver un moyen d’amplifier le son de sa guitare en concert, tout en respectant le son propre à cet instrument accoustique. L’idée du plateau est née de cette rencontre. Au début de l’aventure, Jeanmichel rencontre Céline. Il lui demande de l’aider à développer ce produit en lançant une nouvelle entreprise. JMC Lutherie SA est née. Céline Renaud vient du monde horloger, un secteur friand d’instruments de résonnance : ces montres à répétition-minute, toquantes à complications dotées de véritables carillons. Pour un client qui achète un tel objet, pour un prix en centaines de milliers de francs, le fait de disposer d’un instrument permettant d’amplifier le son du carillon est un plus. De nombreuses marques se fournissent donc chez JMC.
Mais quid de Jeanmichel, dont le prénom est déjà une synthèse en soi. Qu’en est-il de ce luthier du nouveau monde, dont les inventions futuristes ne font pas oublier qu’il a créé plus de 200 guitares, alors que chacune d’elle prend neuf mois de travail et que le perfectionniste dont il s’entoure est partagé par son apprenti. Autodidacte, il décide de créer sa première guitare il y a plus de trente ans. On veut savoir comment il y est arrivé. « Dans un monde où l’on est dépendant, il choisit d’être libre à un endroit qui lui tient à cœur, à savoir la musique », explique à sa façon Céline Renaud. « Ses essais le conduiront à se former au métier de luthier en autodidacte : d’abord par la réalisation de ses propres instruments, puis par la compréhension en profondeur de cette matière noble qu’est le bois de résonance dont on en tire un son pur et magnifique. Ensuite, il compare ses essais à des plans de constructeurs connus et parle avec beaucoup de collègues du métier. Surtout il soumet à des artistes aussi talentueux que connus ses réalisations. »
Cette dimension artistique confère au tout encore plus de profondeur. Car par artiste, on entend également des peintres, sérigraphistes, graveurs, photographes, une liste ouverte. Le plateau du Soundboard, on le voit dans le showroom du Brassus, dispose déjà de son propre support. Si le client le souhaite, sa surface peut recevoir une image. Ou n’importe quoi d’autre. Un monde culturel s’articule autour de cette PME.
Next step : l’Asie. Un round de financement est sur le point d’aboutir. Pas de crainte des copies, l’entreprise se protège. Toutefois, elle mise plus sur l’innovation que sur les brevets. Les ventes ont bien augmenté l’an dernier, la vitesse de croissance est bonne (environ +40%, mais cette PME ne donne pas son CA). Le haut-parleur-façon-luthier est déjà distribué dans toute la Suisse, en France, aux Pays-Bas. La grande difficulté, c’est de former les vendeurs, explique Céline Renaud. Elle les invite sur place, leur montre la manufacture qui emploie une dizaine de personnes, leur donne un cours de lutherie accéléré. Elle ajoute: «Pour comprendre la logique de JMC, il faut prendre du temps. Ecouter, beaucoup écouter, surtout avec le coeur».
François Othenin-Girard