Publié le: 5 novembre 2021

Maraîchers, les marathoniens verts

portrait – À Galmiz (FR), la famille Wyssa cultive des légumes depuis quatre générations. Nous avons visité cette PME en compagnie de la conseillère aux États Johanna Gapany (PLR/FR). La sénatrice partage ses impressions dans nos colonnes (lire ci-contre). Les défis sont nombreux et les sujets politiques sensibles.

Il pleut, le ciel s’est couvert et nous avons rendez-vous à Galmiz pour une visite de Wyssa Gemüse – à l’initiative de Johanna Gapany. La sénatrice PLR fribourgeoise visite fréquemment des PME et sa liste comprend les secteurs et les activités les plus variées. Politicienne, journaliste, deux approches différentes mais complémentaires pour cerner une réalité complexe où se croisent des enjeux liés à de lourds dossiers: politique agricole, loi sur le CO2, la liste est longue…

Quatre générations et des salades

Thomas Wyssa, représentant de la troisième génération, nous accueille à proximité des grandes serres. En entrant, le contraste de température frappe, une légère musique berce les plantes qui poussent, fleurissent et développent en l’occurrence des dizaines de milliers de concombres – dans tous leurs états de maturité. Et quels enjeux! Surfaces cultivables, protection de l’environnement, utilisation de l’eau et de divers produits, numérisation à grands pas. Voici le maraîcher devenu un entrepreneur des plus postmodernes, qui doit sans trêve nouer d’innombrables talents à son arc, se tenir à la page dans un métier qui évolue constamment – avec parfois de grands sauts technologiques.

«Notre PME familiale existe depuis 1929, date à laquelle nous avons commencé à faire pousser des légumes pour la région et le reste du pays», raconte Thomas Wyssa en chemin. Le père est épaulé par son fils qui s’active dans l’exploitation après une formation complète dans le métier – y compris ses aspects les plus techniques et numérisés. «Au début, mes grands-parents Rosa et Johann produisaient également de la viande. Puis, en 1963, mes parents ont repris l’exploitation, agrandissent la production de légumes et vendent les derniers animaux.»

Un cap difficile franchi en 2002

À l’aube des années 1980, la troisième génération est en marche. C’est Thomas qui entre le premier. Il étend l’exploitation, construit des tunnels. Puis son frère Andres, terminant sa formation de maraîcher, le rejoint dans l’entreprise familiale en 1984. La décennie 1990 voit les choses en grand avec la construction des premières serres du Seeland. On y misera aussi volontiers sur la carte de la diversification en développant des spécialités de légumes. Enfin, afin de faire face à de plus grands volumes de production, on engage les premiers travailleurs saisonniers.

Au tournant du millénaire, en 2002, Thomas Wyssa doit affronter une situation qu’il qualifie de «très difficile» et dont l’évocation semble encore pénible: «Mon frère s’est retiré de l’exploitation, il avait d’autres priorités, ce que je comprenais bien. Mais comme nous avions été deux à investir, cela a vraiment été très dur. En plus, il y avait un besoin urgent de trouver de nouveaux clients.»

Un repositionnement fructueux

Cinq années plus tard, tout cela n’est plus qu’un très mauvais souvenir. Thomas a su gérer ce cap difficile. Il a construit de nouveaux tunnels, de plus en plus hauts pour pouvoir mieux gérer la pousse des plantes et mis en place l’équipement nécessaire à leur croissance et leur récolte. Un grand effort est mis sur la clientèle et le positionnement de Wyssa Gemüse. L’idée est d’obtenir un équilibre entre les volumes des grands comptes de la très grande distribution et la capacité réactive des petits acheteurs. Le marché subit du reste à cette époque une profonde mutation.

Et c’est l’arrivée de la quatrième génération: Christoph, le fils de Thomas termine sa formation de maraîcher en 2009 et prend ses marques dans l’entreprise familiale. «Une chance incroyable, se réjouit son père, parce que grâce à lui, nous avons pu beaucoup évoluer du côté de ce qui était au début une informatisation, puis, graduellement une numérisation totale de la PME.» Et le papa de contempler fièrement l’app qui lui fournit tous les détails possibles et en temps réel concernant chacune des étapes, pour chaque récolte et pour chaque légume: où on en est, ce qui a été utilisé comme produits, avec tel cahier des charges et telle législation. «Tout est là, sur mon smartphone, regardez!»

Frigo mahousse Ă  400 palettes!

Autre développement pour s’attaquer aux volumes et intégrer la distribution moderne: la construction d’un vaste entrepôt frigorifié (-4 °C à l’heure de la visite) doté de capacité impressionnantes: 300 m2 de frigo et 600 m2 d’espace de travail.

L’un des deux frigos que nous visitions peut contenir jusqu’à 400 palettes de légumes. Tout est repensé à la base: la production se centralise autour d’un «hub logistique», complété en 2014 par l’achat de machines d’emballage – ces dernières offrant le plus grand vecteur d’indépendance possible lorsqu’il faut capter une clientèle des plus variées.

C’est la finalisation de l’approche verticale: «Nous sommes désormais devenus capables d’emballer nos légumes chez nous et de fournir plus de trente clients régionaux et nationaux», explique Thomas Wyssa. En arrière-plan, on aperçoit ses équipes s’activer, les palettes tourbillonner, les collaborateurs conditionner sachets, barquettes, en une danse effrénée. Les effets de cette stratégie ne tardent pas à se manifester avec l’arrivée de Lidl Suisse dans le portefeuille clients.

L’aventure hydroponique

Curieuse, la PME de Galmiz garde aussi un œil attentif sur les derniers développements mis en œuvre dans le Bénélux: Belgique et Pays-Bas font office de Saint-Graal dans le microcosme des maraîchers et ceux du Seeland n’y font pas exception. En 2016, le patron et son fils décident de se lancer dans une nouvelle aventure – la mise en production d’une culture hydroponique.

Voici donc une sympathique salade écologique que l’on peut garder dans un bol à la maison et qui se garde plus longtemps, en plus de ses vertus décoratives évidentes! Cultivée hors-sol, elle bénéficie d’une irrigation par intervalle avec une eau contenant tous les ingrédients nécessaires. L’eau est ensuite recyclée en circuit fermé, ce qui permet d’éviter de surcharger les stations d’épuration. Autre particularité de ce produit innovant: la salade se constitue enfait d’un assemblage de trois «sœurs» qui poussent ensemble, un «Lollo rouge», un «Lollo vert» et une «Laitue feuille de chêne».

Thomas Wyssa est presque intarissable sur son pak-choï. Sa douceur, son arôme délicat, son caractère juteux, pouvoir le servir en salade ou comme légume, tout ce qui fait de lui un incontournable de la cuisine d’Asie du Sud-Est et, de plus en plus, des tables européennes. Avisant une pile de caisses contenant le précieux légume: «Celles-ci vont partir très rapidement, mais nous ne savons pas encore où, car tout se joue très vite.» Pour faire pousser quelque chose sur cette planète, il faut du temps. Pour développer une telle entreprise, encore plus de patience est nécessaire. Mais la vie des maraîchers est aussi faite de vitesse et réactivité, des atouts nécessaires face à la multiplication des enjeux politiques pesant sur ce secteur (lire ci-contre la contribution de Johanna Gapany).

François Othenin-Girard

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