Publié le: 19 janvier 2018

Mobilité et achats: en voiture, Simone!

commerce de détail – Selon la chercheuse Sara Carnazzi Weber, responsable de l’analyse régionale et sectorielle de Credit Suisse, le nombre de déplacements diminue en raison des achats en ligne. Toutefois, l’utilisation des véhicules privés monte en force.

Sara Carnazzi explore les tendances en matière de consommation, d’habitudes d’achats, de choix du canal d’achat et de tourisme d’achat. Ses recommandations sont précieuses pour toute la branche. La responsable­ de l’analyse régionale et sectorielle de Credit Suisse a accepté de répondre à nos questions à l’occasion de la dernière publication de l’étude Retail Outlook (présentée le 9 janvier dernier à Lausanne).

JAM: Pourquoi le commerce de détail stagne-t-il en Suisse?

nSara Carnazzi Weber: Le commerce­ de détail en Suisse est confronté à plusieurs défis. D’un côté, il souffre des changements structurels liés au développement du commerce en ligne. De l’autre, les détaillants suisses sont soumis à la concurrence des commerces étrangers, qui s’est particulièrement accrue suite à la forte appréciation du franc suisse début 2015. Même si la situation au niveau du taux de change s’est entretemps un peu détendue, notamment suite au renchérissement de l’euro au cours de l’année 2017, le volume du tourisme d’achat reste important (10 milliards en 2016, selon nos estimations). Il n’est pas surprenant de voir que cette situation a amené à une forte augmentation du nombre de faillites dans le secteur (780 cas au cours des années 2015 et 2016).

«le volume du tourisme d’achat a amené une forte augmentation du nombre de faillites.»

En juillet 2017, cette évolution semble­ avoir atteint le point culminant. Une inversion de tendance est de­puis observable. A voir si elle se révèle durable ...

Quelle évolution attendez-vous pour l’année prochaine et 2019?

n Le nombre de consommateurs potentiels va s’accroître du fait de l’évolution démographique – bien qu’à un rythme de nouveau moins soutenu que les années précédentes. La crois­sance économique va s’accélérer à 1,7%. Ce dernier point aura un impact positif sur le marché de l’emploi et le climat de consommation. Le pouvoir d’achat des consommateurs ne devrait toutefois pas progresser en 2018, puisque le renchérissement attendu va à peu près neutraliser l’augmentation des salaires nominaux. Au vu de l’affaiblissement du cours de change EUR/CHF, la pression sur les prix devrait légèrement s’atténuer dans la branche. Dans ce contexte nous tablons sur une légère hausse des chiffres d’affaires (+0,3%) pour l’ensemble du commerce de détail.

«Le pouvoir d’achat des consommateurs ne devrait pas progresser en 2018.»

Même s’il s’agit d’une amélioration par rapport aux années 2015 et 2016, le commerce de détail va une fois de plus rester à la traîne de la conjoncture, et la mutation structurelle de la branche devrait se poursuivre.

Que montrent vos dernières re­cherches en matière d’évolution des habitudes d’achats en Suisse?

n Dans l’étude de cette année, nous avons examiné en détail le comportement en matière de mobilité et d’achat des consommateurs suisses, qui se déplacent chaque année plus d’un milliard de fois pour faire leurs emplettes dans tout le pays. Dans la moitié des cas, ils ont pour ce faire utilisé la voiture, qui semble à nouveau gagner en importance par rapport aux transports publics. Le nombre­ de déplacements d’achat par habitant pour acquérir des produits non alimentaires a diminué de 8% entre 2010 et 2015, en raison notamment du transfert croissant vers le commerce en ligne.

«Le nombre de déplacements d’achat par habitant pour le non alimentaire a diminué de 8% entre 2010 et 2015 en raison du transfert vers le commerce en ligne.»

En outre nous montrons que les horaires d’ouverture des magasins, qui sont réglementés au niveau cantonal, affectent diversement les différents groupes de la population. Les personnes employées à plein temps pâtissent ainsi tout particulièrement des régimes plus restrictifs, tandis que l’impact sur les temps partiels et les personnes n’exerçant pas d’activité lucrative est nettement moindre.

Un autre aspect du comportement d’achat concerne le choix du canal, qu’avez-vous découvert?

n Le processus d’achat, ainsi que les phases précédant et suivant l’achat en tant que tel, sont aujourd’hui plus étendus et rendus plus complexes par toute une série d’interfaces physiques et numériques. L’enquête menée en août 2017 par Fuhrer & Hotz, nos partenaires, auprès de 500 con­sommateurs en Suisse alémanique le confirme: même si la majeure partie de la population (71%) privilégie nettement les achats hors ligne dans un magasin physique, l’importance d’Internet ne cesse de croître, que ce soit pendant la phase précédant l’achat pour obtenir des informations ou pour effectuer ces achat. Les différences en termes de comportement d’achat parmi les générations sont considérables. Si les consommateurs à la retraite privilégient à 86% les points d’achats stationnaires, les «digital natives» (générations Y et Z) ne sont pas les seuls à se considérer souvent comme purs acheteurs en ligne ou «showroomers», c’est-à-dire des consommateurs qui se rendent généralement dans un magasin pour y recevoir conseils et informations, puis­ achètent le produit en ligne. Les «digital immigrants» (baby-boomers et génération X), qui n’ont pas grandi avec Internet, ne sont ici pas en reste.

Comment les différents secteurs vont-ils évoluer en 2018?

n L’écart entre l’évolution des chiffres­ d’affaires dans l’alimentaire/near-food et le non-alimentaire observé ces dernières années s’est réduit en 2017, mais il va perdurer en 2018 également. La reprise économique devrait soutenir la demande dans le segment du non-alimentaire, particulièrement sensible à la conjoncture. Cependant, comme certaines sous-branches ont profité d’effets spéciaux liés à la météo en 2017 (bricolage, jardinage, loisirs) et alors que les e-vendeurs étrangers continuent leur progression sur le marché suisse, nous anticipons seulement une stagnation des chiffres d’affaires nominaux dans ce segment en 2018, contre une légère hausse de 0,5% dans le commerce de détail alimentaire.

Du côté du tourisme d’achat, quelles sont vos recommandations pour une Suisse plus attractive?

n On a vu dernièrement plusieurs propositions pour rendre la Suisse plus attractive, en lien avec l’exoné­ration de la TVA, une lutte contre «l’îlot de cherté» suisse ou la fédération des communes transfrontalières pour parler d’une seule voix. Au-delà de ces idées, le taux de change ou le niveau des prix à l’étranger sont des faits qui restent difficiles à influencer par des mesures de réglementation. Cependant, l’évolution connue en 2017 montre qu’un affaiblissement du franc suisse est bien en mesure d’engendrer un tassement du tourisme d’achat.

«le niveau des prix à l’étranger reste difficile à influencer par des mesures de réglementation.»

Ces derniers temps, on entend par exemple de plus en plus les détaillants allemands se plaindre d’une baisse de la demande de la part des consommateurs suisses.

Interview: François Othenin-Girard

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