Publié le: 9 novembre 2018

«N’imitons pas l’Hexagone!»

opinion – L’imposition à la source vers laquelle tend la France, envers et contre le président Macron, est une tentation dont la Suisse ferait bien de se passer.L’analyse de Jean-Pierre Wicht, membre de la Chambre suisse des arts et métiers.

Après bien des allers-retours et des hésitations, l’impôt à la source sera introduit en France début 2019. Cette mesure est un serpent de mer qui a occupé la politique durant plusieurs décennies, sous plusieurs présidents. Pour finalement l’instaurer, il aura fallu 80 ans d’hésitation, avec en dernier lieu celles du président Macron, dont l’autorité a été bousculée à cette occasion. Peut-être même que son administration lui a finalement un peu forcé la main.

Sonderfall helvétique

Dès l’an prochain, la Suisse sera donc le seul pays d’Europe à ne pas avoir adopté ce système de perception automatique, et à continuer de se baser sur la déclaration initiale des contribuables. Cela n’étonnera personne tant le Sonderfall helvétique a la vie dure. Rappelons que, grâce à la démocratie directe, le peuple est directement souverain et il se rend aux urnes trois fois par ans sur une série de sujets très différents et souvent complexes.

Le plus important de tous reste évidemment l’impôt, c’est-à-dire la part de ses revenus que le citoyen consent à confier à l’État pour qu’il assure les tâches de sécurité, santé, éducation, infrastructures, social, etc. Les Chambres ont imaginé un système d’autorégulation intelligent, nommé frein à l’endettement qui permet de limiter les dépenses de l’État afin d’empêcher les dépassements.

Les cantons se sont aussi dotés de tels mécanismes. En cas de budget déficitaire, l’exécutif doit revoir sa copie ou proposer une hausse des impôts, que le peuple devra approuver, ce qui est rarement à son goût. Il s’agit donc d’un excellent pare-feu pour contrôler le ménage public. Confiants dans leur système fiscal, les Suisses ont refusé tour à tour les différentes hausses ou baisses d’impôt qui leur étaient proposées depuis plusieurs années. Dernier exemple en date, au mois de septembre, le corps électoral d’Appenzell et d’Argovie a même refusé d’alourdir les impôts des plus riches, c’est tout dire!

À la source et sans réflexion

En raison de ce rôle moteur des citoyens en matière de fiscalité, les contribuables doivent rester en tout temps conscients du poids de l’impôt. Remplir leur déclaration leur permet d’analyser la pertinence du système de perception. Payer leur dû leur fait toucher du doigt l’ampleur du sacrifice.

Un impôt indolore, grâce à la perception à la source, est un impôt sur lequel on ne réfléchit plus. C’est pourquoi il doit rester douloureux, visible, tangible, de sorte à susciter un débat permanent chez le contribuable, confronté à cette pesée d’intérêt entre la charge du char de l’État et son propre pouvoir d’achat.

Pauvre classe moyenne

En l’absence d’un système de frein à l’endettement comme le connait la Suisse, la France n’a cessé d’alourdir son train de vie et le niveau de ses emprunts, en même temps que le pouvoir d’achat de sa population diminuait sous le poids de l’impôt. Son système de solidarité, en soi défendable, a fini par appauvrir la classe moyenne qui se révolte. C’est pourquoi la Suisse est un des seuls pays qui respecte le dispositif budgétaire adopté par l’UE il y a vingt ans. En 2017, son déficit public était de 30% du PIB contre 82% pour la moyenne des 28 États de l’Union et 97% pour la France. Dans le même temps, la quote-part fiscale de la Suisse s’est élevée à 28% pendant que celle de la France atteignait 45%.

«Le citoyen doit rester vigilant et éviter que l’état n’ait plus de compte à rendre.»

Alors, pour que la pilule passe plus facilement, on infantilise le contribuable, car, avec le prélèvement à la source, le salarié recevra une somme nette d’impôt. Passé le choc des premiers mois, il s’habituera mais découvrira vite que, en cas de difficultés, l’État aura été payé en premier, avant le loyer ou les assurances, s’instaurant ainsi créancier prioritaire sur les besoins vitaux d’un foyer et sur l’économie privée.

Gardons-nous de cette tentation!

Est-ce bien normal? Le risque débiteur doit-il être supporté uniquement par l’économie privée? Partant de l’idée que le contentieux global ne va pas changer, tout comme le ménage de l’État qui est intangible et sacralisé, c’est bien l’économie privée qui va payer.

Gardons-nous en Suisse d’une telle tentation. Même si le contribuable peut se laisser tenter par une telle simplification de sa désagréable relation au fisc, le citoyen, lui, doit rester vigilant pour éviter que l’État, un beau jour, n’ait plus aucun compte à rendre à personne!

En outre, ce système fiscal, unique en Europe, découle de nos institutions et cette particularité devrait être rappelée aux négociateurs européens dans toutes les pourparlers: le citoyen helvétique détient tous les pouvoirs et ne délègue rien aveuglément, surtout pas l’endettement, donc pas la fiscalité.

Jean-Pierre Wicht, membre de la Chambre suisse des arts et métiers

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