Publié le: 8 novembre 2019

Pistes exploratoires vers le bio-carbone

CO2 ET RECHERCHE – Pour Pierre Vogel, professeur de chimie à l’EPFL, les déchets agricoles sylvicoles et urbains dans la transition énergétique représentent de nouvelles opportunités économiques. Le biochar pourrait être une solution pour l’avenir, écrit le professeur.

En 1973, la crise du pétrole nous avait montré qu’il faudrait un jour ou l’autre nous affranchir du carbone fossile, ce que j’ai fait en commençant mes recherches indépendantes comme jeune professeur de chimie organique. En utilisant les furanes dérivés du traitement acide de la paille, mes collaborateurs ont synthétisé des produits actifs biologiquement, y compris des anti-cancéreux.

Aujourd’hui, alors que beaucoup s’inquiètent de la quantité de gaz à effet de serre relâchée dans la bio­sphère, dont le dioxyde de carbone (CO2), je reste perplexe de voir (malgré Google, Wikipédia et YouTube) si peu de citoyens informés sur la biomasse et sur les solutions que cette dernière peut nous apporter dès aujourd’hui pour répondre à l’urgence climatique.

«une opportunité extraordinaire: construire des installations de pyrolyse et les rendre disponibles au monde entier.»

La seule source d’énergie renouvelable est le soleil. On peut y ajouter la géothermie profonde. Seulement 0,1% de toute l’énergie que le soleil nous envoie suffit à produire la biomasse dont les ²/³ sur les continents (plantes, forêts), le reste dans les mers et océans (algues, plancton, etc.). C’est le résultat de la photosynthèse qui convertit le CO2 de l’air et l’eau (H2O) en hydrates de carbone (Cx(H2O)y) et l’oxygène (O2) nécessaire à la plupart des êtres vivants, dont l’homme.

Source d’énergie considérable

Si l’on brûlait la biomasse produite en un an, l’énergie récoltée vaudrait 8 à 10 fois toute l’énergie consommée chaque année par l’humanité. Que l’on soit concerné ou non par le réchauffement climatique, un jour nos sources de carbone fossile (gaz naturel, pétrole, charbon, schistes bitumineux) seront taries à jamais.

Beaucoup pensent que le tout électrique est la bonne alternative. Pour les installations fixes, c’est le cas, mais pas pour les voitures, les navires et les avions. L’impact écologique et le coût énergétique de la production et du recyclage des batteries sont sous-estimés.

Biocarburants vs agrocarburants

D’autres proposent l’hydrogène et la pile à combustible. Là aussi, pour les installations fixes, ça marche déjà, et c’est écologique si l’hydrogène n’est pas produit par réformage à l’eau du gaz naturel, ce qui produit du CO2 (CH4 + 2H2O —> CO2 + 4H2). Une solution est l’électrolyse de l’eau utilisant de l’électricité «verte» (hydraulique, éolien, photovoltaïque, turbines fonctionnant au biogaz, au bio-brut).

Nos moteurs à combustion interne (Otto, Diesel) et nos turboréacteurs (avions) peuvent continuer de fonctionner avec des biocarburants issus des déchets agricoles, sylvicoles et urbains (matière ligno-cellulosique). Il ne s’agit pas d’agrocarburants comme l’éthanol produit à partir de la canne à sucre, de blé ou de maïs, mais de biocarburants dérivés des déchets que nous jetons, ou mieux, brûlons, et qui finissent par relâcher dans la biosphère tout le CO2 que le soleil avait stocké dans la biomasse. En plus des déchets agricoles, sylvicoles et urbains, il existe des plantes comme le millet vivace (Panicum virgatum, «switchgrass» en anglais) ou le roseau de Chine (Miscanthus giganteus) poussant sur des sols inaptes à l’agriculture (peu d’eau, pas d’engrais, pas de pesticides) qui peuvent être converties en biocarburants.

Convertir la biomasse

On dispose de plusieurs techniques pour convertir la biomasse en biocarburants. L’une d’entre elles est la pyrolyse anaérobie (sans air). Dans un four, on sèche puis torréfie et carbonise la biomasse. Ce procédé utilise environ ¼ à 1/³ du pouvoir calorifique de la matière ligno-cellulosique investie. Il se forme un gaz contenant de l’hydrogène (H2) et du monoxyde de carbone (CO).

Ce mélange s’appelle le gaz de synthèse («syngas» en anglais) qui, sous conditions adéquates (température, pression, catalyseurs), peut être converti en méthane (CH4) ou d’autres hydrocarbures (C nHm) comme ceux constituant l’essence, le mazout, ou le kérosène (le procédé Fischer-Tropsch permet de convertir le charbon via CO + H2 en carburants gazeux ou liquides).

Très important: le résidu carboné, coproduit de la pyrolyse peut être utilisé pour l’amendement des sols. Il s’agit du biochar (biocharbon) ou agrichar. Une fois enfoui dans le sol, il y reste pour des millénaires, ce que des civilisations de l’Amazonie ont démontré (Terra preta).

Le biochar retient l’eau, les fertilisants et les microorganismes rendant la terre fertile, et par-là, améliore sensiblement la productivité agricole en réduisant l’apport d’engrais et d’eau.

Un marché à développer!

Tout comme la laiterie qui récolte le lait des éleveurs, les agriculteurs, les exploitants de forêts et les collectivités urbaines devraient constituer des coopératives qui effectuent la conversion de la matière ligno-cellulosique en biocarburants liquides (faciles à stocker et à transporter, utilisables sans modification des moteurs existants).

Ces coopératives font d’une pierre quatre coups: elles produisent des biocarburants renouvelables, du biochar (puit de carbone) pour améliorer les terres agricoles, fournit des revenus aux agriculteurs et, très important pour le climat, retire du CO2 de l’atmosphère. Il y a donc une opportunité extraordinaire pour nos ingénieurs de construire des installations de pyrolyse et de les rendre disponibles au monde entier.

Au 19e siècle, la transition éner­gétique vapeur/électricité a poussé nos industriels à développer les turbines hydrauliques, les alternateurs et les moteurs, ce qui a permis la modernisation de la Suisse. On se trouve à un tournant similaire avec la transition carbone fossile/biocarbone.

«je reste perplexe de voir si peu de citoyens informés sur la biomasse.»

Des spécialistes calculent qu’il faut dès à présent enlever du CO2 de l’air si l’on veut respecter les accords de Paris de 2015 (COP 21, Nations Unies). Une technologie déjà appliquée est de l’enfouir dans des couches géologiques profondes. Alternativement, ou en parallèle, on peut faire du biochar et utiliser les volatiles de la pyrolyse de la matière ligno-cellulosique (gaz de synthèse) pour produire de l’électricité.

Pour enlever du CO2

La chaleur résiduelle ainsi coproduite peut chauffer les habitations. On peut imaginer Landi, Migros ou des Garden Centers le faire et vendre le biochar aux cultivateurs. Avec peu de moyens on peut, dès à présent, enlever du CO2 de l’atmosphère et contribuer à préserver le climat. Le biochar (enfoui, on non) réalise des puits de carbone qui représentent des équivalents de kérosène et d’essence que l’on peut utiliser (sans payer de taxe carbone?) pour, respectivement, nos vols et nos déplace­ments en voiture… L’auteur de ce message prépare un livre citant les références bibliographiques scientifiques qui étayent ce qui précède.

Pierre Vogel, professeur EPFL, pierre.vogel@epfl.ch

 

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