Publié le: 10 novembre 2017

Plongée à Chengdu avec le consul

découverte – La Suisse a un consulat économique à Chengdu depuis un an. Avec le consul général Frank Eggmann, plaçons Chengdu sur la carte pour les PME suisses désireuses d’exporter dans le sud-ouest de la Chine. Une région pleine de promesses...

JAM: Qu’est-ce qui a motivé la décision d’ouvrir un consulat économique dans cette région?

n Frank Eggmann: Si sa croissance connait actuellement aussi un ralentissement, la Chine n’a toutefois pas dit son dernier mot et moins encore s’agissant du centre du pays. Appuyée par la nouvelle route de la soie «Belt & Road Initiative» qui place la capitale du Sichuan – Chengdu – au centre logistique de cette voie, la volonté du gouvernement de développer l’intérieur du pays «Go West Strategy» équivaut à une ruée économique et migratoire vers l’Ouest. Si les villes côtières, les métropoles de Beijing, Shanghai et Shenzhen ont été les premières bénéficiaires du décollage économique de l’ère contemporaine, les provinces centrales et celles du sud-ouest ont maintenant le vent en poupe. Chengdu a connu un essor économique fulgurant au cours de ces dernières années et la région avec ses 330 millions d’habitants constitue un marché de débouchés particulièrement intéressants pour l’économie suisse. Le Chengdu d’aujourd’hui est le Shanghai d’il y a cinq ans avec un fort potentiel de développement «intelligent», un coût de vie moindre et des salaires plus bas; voilà des avantages comparatifs qui ne passent pas inaperçus aux yeux de nombreuses entreprises désireuses de délocaliser à l’intérieur du pays. Le nouveau consulat général traite donc en particulier de questions liées à l’économie, au commerce, à l’innovation et au tourisme. Il s’agit là de la cinquième représentation officielle de la Suisse en Chine, qui s’ajoute à l’ambassade à Beijing et aux consulats généraux de Shanghai, Guangzhou et Hong Kong.

Combien d’entreprises suisses se trouvent actuellement dans la région et dans quels secteurs sont-elles actives?

n Une trentaine d’entreprises suisses sont implantées dans la région, certaines depuis de nombreuses années d’ailleurs. Comme exemple concret, le musée de Kunming dans la province du Yunnan expose actuellement – dans le cadre du 35e anniversaire du jumelage et partenariat avec la ville de Zurich – une rétrospective consacrée à l’œuvre de l’ingénieur zurichois Otto Meister dans la construction de la ligne ferroviaire du Vietnam à Kunming (1903-1910). Les pionniers suisses n’ont pour autant pas disparu et l’aventure helvétique continue avec par exemple le succès des bières (www.shangrilabeer.cn) brassées sur les contreforts du Tibet. Sinon les grands groupes alimentaires, ceux de la logistique et nos géants pharmaceutiques opèrent pour la majorité des points de distribution régionaux en gardant encore leur direction sur la côte. Au niveau des PME on trouve surtout des «perles» spécialisées dans le génie civil, l’urbanisme, le développement durable et la protection de l’environnement. Quelques compatriotes expérimentés sont actifs en partenariat local dans le domaine de la finance, des hautes études ou encore dans l’artisanat et la restauration. Nous recevons également des visites régulières d’entrepreneurs suisses désireux de sonder le terrain et œuvrons de concert pour leur ouvrir les bonnes portes et les guider dans leurs recherches.

Qu’y trouvent-elles en particulier?

n Ici, tout est encore possible! La deuxième puissance mondiale ne cesse de bouger, de s’adapter, de se projeter dans l’avenir avec l’objectif avoué de parachever sa troisième phase économique, celle de l’innovation. Et elle n’hésite pas à y mettre les moyens. Cette dynamique déteint bien-entendu sur la population et la motivation qui en découle se ressent dans une volonté de développement personnel. Dès lors les entreprises étrangères trouvent ici des talents locaux forts d’une éducation européenne ou américaine, un avantage évident lorsqu’il s’agit de rapprocher des cultures souvent si différentes. La région offre en outre de merveilleux lieux de villégiatures pour se ressourcer, une nature avec des sommets à plus de 5000 mètres – où les entreprises suisses spécialisées dans la protection de l’environnement et du développement touristique durable font belle figure – et une multiplicité ethnique fabuleuse qui ne manque jamais de surprendre.

Quelles sont les forces et les faiblesses de cette région au plan économique, marché du travail, environnemental, humain, risques?

n Une question récurrente lorsque je suis en Suisse a trait à la pollution en Chine et s’accompagne généralement d’un regard interrogateur horrifié. Alors oui, effectivement les valeurs mesurées ici font parfois peur mais ne sont qu’une facette de cet incroyable paradoxe chinois. Quel autre pays ou région du monde peut se targuer d’avoir sorti 600 millions de gens de la pauvreté en 35 ans, urbanisé 56% de sa population contre 18% il y a une génération? Tout cela a un prix et la pollution en est un. La pollution est l’affaire des mégapoles industrielles et doivent maintenant rendre des comptes au gouvernement. Les pollueurs ne peuvent plus se cacher, la pression populaire grandit et, croyez-moi, lorsqu’il s’agit d’imposer des normes et appliquer les règlements, cela se passe de manière plutôt efficace et rapide. Quand la Chine décide, elle applique. Il faudra certes encore des années pour améliorer la qualité de l’air et de l’eau, mais les progrès sont remarquables, l’engouement pour les transports publics et les bicyclettes sans pareil et l’application des normes anti-pollution très strictes. La population est la première concernée par ce fléau et elle le fait entendre. En attendant, les PME suisses vendent leur expertise et technologies pour contrôler, endiguer le problème. Il faut souligner que notre pays jouit d’une excellente réputation dans ces domaines également, d’où la création d’un «Dialogue Suisse – Chine» au Forum annuel de l’écologique à Guizhou (*voir le LIEN en bas du texte). En résumé, les défis de la Chine sont autant de cartes à jouer pour nos entreprises suisses. Au niveau du marché du travail les entreprises étrangères peinent à recruter des travailleurs qualifiés, une carence connue dans de nombreux pays qui ne valorisent pas la formation professionnelle. La filière de l’apprentissage suisse serait certainement une option idéale, mais il faut donner le temps aux mentalités de changer.

Qu’est-ce que les entreprises suisses peuvent apporter?

n La Chine admire notre petit pays «ami» pour son label qualité, sa précision et fiabilité et surtout son savoir-faire dans le domaine de l’environnement, l’énergie et l’innovation. Surtout, la Suisse est considérée comme partenaire de choix et non pas, à l’instar d’’autres pays, comme un concurrent. Nous sommes tout simplement complémentaires même si le défi s’apparente souvent à trouver le bon rythme pour un tango entre l’éléphant et la souris…

A quoi les PME suisses qui souhaiteraient s’implanter dans la région de Chengdu ou nouer un partenariat économique doivent-elles faire attention? Quels conseils pouvez-vous donner?

n Le bon sens doit primer. Une entrée réussie sur le marché chinois demande des années de préparation, certainement une expérience de l’Asie et surtout le support d’experts. Le meilleur conseil que je puisse offrir serait de demander une entrevue d’évaluation à Switzerland Global Enterprise (www.s-ge.com) à Zurich, Lausanne ou Lugano. Forte de son expérience dans la promotion économique par mandat de la Confédération et de ses bureaux – les Swiss Business Hub – SBH – établis à Beijing, Shanghai et Shenzhen, elle dispose d’un réseau d’experts dans les domaines et secteurs les plus divers et variés. Une entrevue – d’ailleurs gratuite – avec S-GE permettra de répondre dans un premier temps à de nombreuses inconnues et de planifier une stratégie d’entrée. Au final, et afin de profiter pleinement des opportunités et curiosités de l’Empire du Milieu, je suggère une approche modeste et respectueuse en toute circonstance, et surtout sans a priori. Comme le dit la chanson: «We are all human after all».

Interview: François Othenin-Girard

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