Publié le: 19 janvier 2018

Portes ouvertes dans le medical device

Véronique Timmermans – Comment entrer sur un marché aussi complexe que celui des dispositifs médicaux en Europe? 
Pour disposer d’une démarche intégrée, il faut d’abord se familiariser avec les nombreux fondamentaux, comme le marquage CE.

La rencontre avec Véronique Timmermans remonte à une intervention que cette consultante spécialisée a donnée à l’occasion de l’Ilmac-Lausanne, un salon spécialisé dans la chimie, la pharma et les biotechs. Elle nous explique les avantages d’une stratégie intégrée pour entrer sur ces marchés européens très réglementés et hautement complexes. Et la méthode qu’elle utilise pour entrer sur ces marchés complexes.

JAM: Pour les profanes, qu’est-ce qu’un dispositif médical?

nVéronique Timmermans: Ce groupe de produits très vaste inclut aussi bien les pansements les plus simples qu’on achète dans la grande distribution, que les valves cardiaques posées lors de procédures compliquées, les prothèses auditives, et les test in-vitro comme ceux qui vous permettent de déterminer si vous avez une angine à streptocoque. Les dispositifs médicaux sont divisés en différentes classes (I, IIa, IIb, III, et dispositif médicaux implantables actifs ou DMIA), en fonction de la durée d’utilisation maximale et du degré du 
risque associé au dispositif. Un stent cardiaque sécrétant une substance thérapeutique appartient à la classe III, alors que certains cathéters ou un scalpel sont de classe I.

Comment se fait la prise en charge des soins médicaux en Europe?

n Nous sommes tous des patients potentiels qui bénéficions, à un moment donné ou à un autre, de soins médicaux. Les modalités de prise en charge varient d’un pays à l’autre. En Suisse, par exemple, les assurances-maladies obligatoires responsables de cette prise en charge sont des en­treprises privées. En France (Sécurité sociale) et en Angleterre (National Health Services), les soins médicaux sont pris en charge à travers un système centralisé financé à travers les impôts. Différents pays gèrent les systèmes de santé de manière différente, mais in fine, c’est la même chose pour le patient, consommateur de soins médicaux, qui se rend chez un médecin ou à l’hôpital: le système, quel qu’il soit, va prendre en charge la majorité de ses soins.

Quelles sont les contraintes réglementaires?

n Depuis des années, les différents pays ont mis en place un système qui permet d’enregistrer ou d’homolo­guer aussi bien les médicaments que les dispositifs médicaux. Ces exi­gences réglementaires sont le garde-fou indispensable sans lequel n’importe qui pourrait créer un nouveau médicament ou dispositif et le vendre, sans aucune garantie d’effica­cité et de sécurité. Cette situation exposerait le patient potentiel à toutes sortes de risques. Un dispositif médical répondant aux exigences réglementaires européennes acquiert le marquage CE, qui est valable aussi en Suisse. Cette homologation permet d’assurer que le produit médical est sûr et efficace.

Comment obtenir ce marquage CE?

n Pour obtenir le marquage CE, le fabricant d’un dispositif médical doit prouver que son produit est sûr et efficace selon ses revendications. «Sûr» signifie que les effets secondaires associés au dispositif sont peu fréquents et peu sévères en comparaison à un traitement de référence. «Efficace» fait référence à l’action thérapeutique du produit. Par exemple, prenons un pansement totalement innovant, avec un revêtement spécial à base d’argent permettant de diminuer le taux d’infection des plaies. En tant que fabricant, vous devrez prouver que ce panse­ment engendre peu d’effets secondaires (par exemple, des allergies à l’adhésif), et aussi que le taux d’infection est moindre avec votre revête­ment spécial à l’argent. Dans le passé, les fabricants faisaient un certain nombre de tests selon des normes établies pour acquérir le marquage CE. Dorénavant, dans les années qui viennent, il sera attendu que des études cliniques plus complexes soient mises en place afin de démontrer la sécurité et l’efficacité des dispositifs chez les patients. Le marquage CE est une première étape d’homologation d’un dispositif médical en Europe. Il permet au fabricant de le commercialiser dans des établissements de santé, hôpitaux, cliniques, cabinets médicaux par exemple. Pour la plupart des dispositifs, il est nécessaire que, en plus du marquage CE, le rem­bourse­ment soit accordé pour qu’ils soient pris en charge par les assu­rances maladies.

Qu’est-ce qu’un système de 
remboursement?

n Un système de remboursement est l’ensemble des processus et des organismes impliqués dans un pays ou une région donnée qui permettent d’examiner et d’accorder la prise 
en charge (ou le refus de prise en charge) des produits médicaux. Pour les dispositifs médicaux innovants, c’est un deuxième obstacle à la mise sur le marché, qui a ses propres 
exigences, plus élevées que le marquage CE. Obtenir le remboursement pour un dispositif signifie qu’il sera remboursé par le système de santé si un patient en a besoin.

Comment le financement des dispositifs innovants Ă©volue-t-il?

n Partout, les pouvoirs publics es­saient de plafonner les dépenses. Grâce à l’innovation médicale, aussi bien du côté des technologies médicale que de celui des médicaments, l’espérance de vie a augmenté, nos populations vieillissent et demandent de plus en plus de soins. De plus, nos attentes sont énormes: à tous les âges, nous comptons sur le fait d’être traités, guéris et de conserver une bonne qualité de vie. Nos sociétés occidentales sont grandes consommatrices de technologies médicales. Depuis quelques années déjà, nombre de systèmes de santé dans le monde entier constatent qu’ils sont déficitaires. La soif de dépenses de santé excède parfois les capacités de prise en charge.

Quelle est la stratégie des fabricants de dispositifs médicaux par rapport au remboursement?

n Le principe du remboursement, c’est donc que votre traitement soit pris en charge, remboursé. Vous allez à l’hôpital pour l’implantation d’une prothèse de genoux. Le chi­rurgien a le choix entre différentes prothèses, issues de différents fabricants. Il va prendre de préférence celle qui est remboursée. L’objectif des fabricants de la plupart des technologies médicales est d’obtenir le remboursement afin que son pro­duit soit remboursé et que l’établissement de santé puisse l’acheter sans souci et le médecin puisse facilement traiter son patient avec le produit de son choix.

«sans remboursement, le producteur doit vendre son nouveau produit directement au patient.»

Le remboursement n’est pas toujours une nécessité: certains fabricants choisissent de ne pas demander le remboursement et de commercialiser sans que leur dispositif soit pris en charge. Par exemple, un système de contrôle de la glycémie (concentration du glucose dans le sang) pour les diabétiques vient d’obtenir le marquage CE. Deux options sont possibles au fabricant. En l’absence de remboursement, le 
fabricant doit vendre son nouveau produit directement aux patients et de ce fait, doit faire de la publicité comme pour un autre bien de consommation, avec l’espoir d’atteindre le plus grand nombre de patients possibles. Ce produit n’étant pas remboursé, il est possible que seule­ment 10% de la patientèle diabétique pourra avoir un pouvoir d’achat suffisant pour acheter ce nouveau dispositif. L’absence de remboursement limite donc l’accès à ce dispositif aux patients ayant un pouvoir d’achat élevé. Alternativement, le fabricant pourra décider de faire la démarche et préparer une demande de remboursement, qui est dans 
certains pays un long processus, mais peut permettre de mettre son produit à la disposition de plus de patients.

Quelle est la situation du 
remboursement en Suisse?

n En Suisse, toute procédure appropriée, efficace et coût-efficace est en principe remboursée. C’est la loi. Appropriée veut dire qu’elle répond à un besoin pour une certaine tranche de la population. Par exemple, sachant que 10 à 12% de la population adulte en Suisse souffre d’incontinence urinaire, il est approprié que les personnes qui en souffrent puissent bénéficier de traitement dont on a prouvé l’efficacité et qu’il soit pris en charge. L’efficacité clinique est simple à comprendre: il faut que la technologie permette d’apporter une amélioration de la pathologie, de l’état clinique global du patient, y compris sa qualité de vie. Une personne qui est soignée de manière efficace est une personne qui va recommencer à travailler, sortir, à avoir une vie familiale, sociale, sa qualité de vie est un facteur essentiel de l’état clinique du patient. La notion de «coût-efficacité» fait référence au rapport entre le coût supplémentaire de la technologie innovante par rapport aux méthodes conventionnelles, et l’économie en soins réalisée en adoptant cette nouvelle technologie. Si une telle technologie est moins coûteuse que le prix de traitement actuel, tout en donnant des résultats cliniques comparables, alors on peut dire que cette nouvelle technologie est coût-efficace. Par exemple, un test de diagnostic du cancer du sein peut coûter environ 3000 francs, mais chez 80% des patients, il permet d’éviter un traitement de chimio­thérapie qui, lui, coûte 15 000 francs, tout en n’affectant pas le pronos­-
tic du patient: ce test est coût-effi­cace.

Pourquoi certaines technologies médicales sont-elles remises en cause par certains systèmes de remboursement?

n Toutes sortes de raisons sont possibles: parce que l’efficacité du dispositif n’est pas suffisamment prou­vée, ou parce que les résultats cli­niques ne sont pas concluants, ou parce qu’adopter certaines tech-
nologies ne serait pas viable économique­ment, ou parce que leur coût-efficacité n’est pas démontré. De plus en plus, les fabricants de technologies médicales innovantes sont sous pression pour produire des preuves cliniques et médico-économiques de qualité justifiant l’intérêt de ces innovations. C’est un processus complexe, coûteux, et qui demande la contribution de nombreux experts. En Suisse, pour les technologies médicales innovantes remises en cause, controversées, il est conseillé de soumettre une demande de remboursement, constituer un dossier adressé à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) qui examinera les argumentaires à l’appui de tous ces points. MedC Partners, l’entreprise dans laquelle je travaille, s’occupe aussi de constituer ces dossiers.

Au vu du coût de développement, de l’environnement concurrentiel et des difficultés liées au rem­bourse­ment, quelles stratégies les fabricants adoptent-ils?

n Nombre de petits et moyens fabricants ne survivent pas, ou ne parviennent pas à pérenniser leur innovation. La co-fondatrice et General Manager de MedC Partners, 
Corinne Lebourgeois, a développé MedMAP, une méthodologie gé­niale qui permet justement l’aide à la décision stratégique pour les technologies médicales. Cette méthode peut d’ailleurs être utile aussi bien aux grandes entreprises qu’aux petites. Le principe de cette approche est d’établir un tableau de l’environnement autour de la technologie médicale innovante en tenant compte des paramètres pertinents pour le fabricant: marché, type de prise en charge de la maladie concernée, différentes indications possibles, etc, afin de voir, après une analyse poussée, quelle direction est la plus porteuse pour le fabricant. Par exemple un acide hyaluronique peut être utilisé pour le comblement de rides, en orthopédie pour le soulage­ment des douleurs articulaires, ou dans la chirurgie du glaucome de l’œil. Trois domaines possibles, lequel va être le plus porteur pour le fabricant? MedMAP met en évi­dence les obstacles, les opportunités, les limites, dans le cas de ces trois 
domaines d’application. En fonction des objectifs du fabricant, nous sommes alors en mesure de recommander une direction précise ou d’associer des priorités aux options possibles, afin qu’il puisse concentrer ses ressources et ses efforts dans la direction qui lui est la plus favorable. Autre exemple: un moniteur de la glycémie a le marquage CE, le fabricant dispose d’un budget limité pour obtenir le remboursement. Sachant que les processus de remboursement et de commercialisation sont coûteux, sur quel marché de­vrait-il d’abord entrer, entre l’Allemagne, la France ou le Royaume-Uni? Lequel est le plus porteur? MedMAP, établit des ponts et des comparaisons d’un pays à l’autre, pour savoir quel est le plus favorable à une technologie médicale donnée à un moment donné, en tenant compte de très nombreux paramètres pertinents pour le fabricant.

Interview: François Othenin-Girard

TRAJECTOIRE en mode recombinant

Véronique Timmermans dispose d’un diplôme de biologie molécu­laire. Elle a commencé à travailler à Paris dans le monde de la pharma au sein d’une grande structure.

«Je travaillais sur les molécules recombinantes. Des protéines qui sont naturellement sécrétées par l’humain et qui chez certains patients ne fonctionnent pas. Nous essayions de faire fabriquer à des micro-organismes des protéines humaines afin de les injecter et de lutter contre certaines maladies. Un exemple de protéine recombinante est l’éry­thropoïétine (EPO), dont on a beaucoup entendu parler lors des scandales de doping dans le monde du sport, mais qui est surtout utilisée en traitement de certaines maladies graves.»

Les débuts de la biotech

«Je travaillais plutôt dans le do­maine d’une maladie qui affecte les pays en voie de développement, la leishmaniose, et sur les pathologies du cancer. Ces protéines impliquées dans le système immunitaire humain sont des cibles pour soigner certains cancers, et des thérapies sont au point qui utilisent des protéines 
recombinantes.» «Quand j’y travaillais, la biotechnologie en était à son balbutiement. Le laboratoire dont j’étais responsable a investi dans une technologie qui permettait de mesurer le taux d’impuretés dans ces pro­téines recombinantes. Je m’entendais très bien avec la personne qui est venue donner la formation sur cette technologie très sophistiquée inventée en Californie près de l’Université de Stanford, à San Francisco. Je me suis vue offrir un poste là-bas et je l’ai pris. Au début, c’était pour une année, et au final, j’y suis restée neuf ans.»

Neuf années en Californie

«Nous sommes dans les années 1990. Je suis donc passée de l’industrie pharma à celle des tests pour le «high throughput screening», le criblage à haut débit. Nous développions dans cette société américaine des technologies qui permettaient aux sociétés pharmaceutiques de tester parmi des millions de molécules chimiques issues de leurs laboratoires celles potentiellement 
aptes à devenir un médicament. En effet, très en amont des médicaments sur le marché, certaines en­treprises pharmaceutiques commencent par synthétiser des millions de molécules, de manière aléatoire, et leur font subir divers tests à haut-débit afin d’éliminer les non-candidats. Il faut environ 15 ans pour développer un médicament, et cela coûte des millions de francs. Un processus d’élimination précis et rapide est donc vital. À la suite de ces années en Californie, j’ai cherché à revenir en Europe, et j’ai trouvé un poste en Suisse, où j’ai continué à travailler quelques années dans ce monde du criblage à haut débit. Et puis j’ai rencontré Corinne Lebourgeois, qui a fondé MedC Partners il y a douze ans. Nous avons décidé de travailler ensemble. En entrant chez MedC Partners, je suis entrée dans le monde du dispositif médical. En tant que consultante, je contribue au développement d’innovations médicales en aidant les entreprises innovantes dans les dispositifs médicaux à développer leur stratégie d’accès aux marchés européens.» JAM

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