Publié le: 11 décembre 2020

Renaissance dans l’Arc jurassien

INDUSTRIE – Le multirécidiviste mon­treu­sien Jean-Jacques Miauton se relance à La Chaux-de-Fonds et à Glovelier. Ce septuagénaire inoxydable a racheté une poignée de PME dont émergent deux nouvelles structures – cadrans et ressorts.

On avait un peu perdu sa trace suite à la reprise du groupe familial Getaz Miauton en 2008. Mais nous savions que Jean-Jacques Miauton était du genre bouillonnant et qu’il avait en permanence mille projets en tête. On l’a retrouvé à la Tchaux, plus enthousiaste que jamais. A 70 ans passés, il n’a pas perdu une once de sa vitalité. C’est un peu comme s’il avait choisi cette région en sachant que les enjeux qu’elle recèle lui permettront très vite de donner cours à son penchant naturel.

Retaper ou reconstruire, puis relancer des entreprises dans la course. Et si possible en faire des fleurons. En 1880, son arrière-grand-père fonda à Montreux et Villeneuve Miauton SA active dans les domaines sidérurgiques, outillage-visserie et sanitaires, leader du marché suisse romand.

Fougueux et empathique

En 1888, son arrière-grand-père et trois amis sont à l’origine du premier tramway électrique en Suisse: le Vevey-Montreux-Chillon-Villeneuve.

Dans le microcosme romand, JJM incarne le manager romand éclairé des années 80 – à la fois fougueux et empathique – il est là le matin avant tous les autres pour observer et analyser ce qui se passe ici et dans le monde. Depuis qu’il est aux commandes de Sored à La Chaux-de-Fonds, il nous fait penser à ces patrons dotés d’une forte fibre sociale que l’on rencontrait il y a précisément un siècle dans le monde horloger. Un pur avant-gardiste.

«J’aurais voulu vous parler d’avenir mais, ces temps, je sculpte les nuages en cette période budgétaire et surtout du Covid.» C’est tout le personnage. A la fois poétique, capitalistique et doté d’un sens déroutant du timing anticipatif. En 2000, il se lançait dans l’importation de vélos et de trottinettes électriques depuis la Chine. Une ébauche laissée en friche, il en sourit – «Nous étions trop en avance, cela n’a pas pris.»

Reconquérir son indépendance

Flashback sur les vingt dernières années. «Avec Gétaz Romang, nous avions fait une quasi-fusion le 1er janvier 2000. Ils m’ont racheté à midi et à midi une, je possédais le 25% du nouveau groupe devenu Gétaz-Miauton.»

Il y a toujours une suite avec JJM. «Notre concurrent en Suisse alémanique était CRH, il était logique de se regrouper. Après de longues discussions, un membre du Conseil et moi sommes allés au siège européen en Hollande. J’ai vite compris que ces derniers voulaient nous racheter. De retour en Suisse, nous avons bien et longtemps cogité.» Mais l’idée fait son chemin. En 2007, la décision de vendre est prise.

Toute perte d’autonomie se paie: «Lors d’un rachat, les vendeurs ont parfois des difficultés à accepter de ne plus être l’unique décideur, de perdre leur vitesse de réaction, de voir leur budget passer par les arbitrages que le groupe fait entre les pays. Bref, la fin fut chaotique avec les nouveaux propriétaires irlandais.»

Nouveaux sentiers jurassiens

Jean-Jacques quitte le groupe fin 2008. La soixantaine conquérante, il explore les sentiers de la région et trouve un groupe formé d’une petite dizaine d’entreprises actives dans différents métiers: horlogerie, médical, connectique, automobile et aéronautique. Il en devient l’actionnaire majoritaire, en reprend la direction générale et s’adjoint les services de son ancien directeur financier. «Lequel, précise-t-il au passage, a accepté de renoncer à un groupe mondial bien structuré pour rejoindre un groupe anachronique et non structuré comprenant même des sociétés déficitaires.»

Deux usines Ă  neuf

Au final, il ne reste que trois sociétés sur dix. «Nous avons fait un énorme travail de mise en place de processus et surtout d’accompagnement des collaborateurs aux change­ments.»

Au chapitre immobilier, Jean-Jacques a écrit une nouvelle page: «Pour Fraporlux, le grand spécialiste des cadrans, j’ai décidé de construire une nouvelle usine. Nous sommes partis d’une feuille blanche et toute la structure a été déplacée de Porrentruy à Glovelier où la production a repris en 2013. Nous avons également changé toutes les machines de production, ce qui impliquait de très gros investissements afin de faire une usine quasiment 4.0. On voulait être devant et gagner.»

Fraporlux livre toute sa production aux manufactures suisses, et a en face de lui quelques grands compétiteurs, soit intégrés aux manufactures, soit indépendants. «Comme cela a été mentionné dans la presse, les exportations horlogères ont reculé certains mois de 2020 à moins 70% pour se stabiliser probablement à la fin de l’année à moins 30%», précise-t-il après l’interview.

«Actuellement nous menons une sérieuse réflexion quant à la construction d’une nouvelle usine pour Sored, aujourd’hui implantée dans une zone d’habitation et à proximité du Collège de la Promenade, mais qui est source d’une activité considérée parfois comme bruyante, écrit-il. Nous voulons trouver un terrain mieux en adéquation. Pour prendre une décision, nous attendons aussi de voir comment la conjoncture va évoluer.»

Sored S. A. (La Chaux-de-Fonds) s’appuie sur un siècle d’expérience. En plus des composants horlogers, elle s’est diversifiée dans la fabrication de pièces pour le médical, l’électronique, la connectique, la télécommunication, l’aéronautique, l’aérospatiale, les transports et la liste est ouverte. Elle exporte 60% de ses produits. «Là, nos compétiteurs sont chinois, allemands, polonais… et autant dire que la bataille est rude.»

Deux modèles contrastés

La différence entre les deux PME met en évidence deux pôles diamétralement opposés – chacun avec ses propres spécificités. Mais avec un point commun. «Aucun de mes clients ne peut me dire à ce jour exactement quels seront ses besoins pour 2021. D’où l’énorme difficulté pour tous les industriels dans cette période de pandémie d’établir un budget.»

Etes-vous vraiment resté fonceur en dépit du contexte?

Ce n’est pas la crise des subprimes qui m’a fait changer d’avis. Depuis 2009, nous avons appris à conserver nos liquidités et mon directeur financier m’accompagne fortement dans nos réflexions. Le mot-clé, c’est la confiance. Ma devise est restée «passion et détermination», ce que j’essaie d’inculquer à l’ensemble de mes collaborateurs afin qu’ils se sentent également eux-mêmes des entrepreneurs dans leurs activités spécifiques.

Cette crise horlogère sur fond de la crise de la montre connectée, cela vous inspire quoi?

La montre Apple produite à 24 millions d’exemplaires dépasse la production totale suisse (20 millions de pièces). Mais ça ne fait rien! Restons concentrés sur notre ADN, la qualité. Et continuons à faire rêver les clients avec les objets de qualité. Et pour le reste, il faut continuer à évoluer.

Dans quelle direction?

Anticiper au maximum les tendances du futur tout en continuant à se réinventer et ne pas passer à côté en particulier de l’intelligence artificielle.

Impliquez-vous les membres de votre famille dans vos activités?

J’ai deux enfants, notre fils Alexandre, fort d’un master en ingénierie financière travaille actuellement à Londres dans un fond d’investissement. Notre fille Marie, en possession d’un master en Digital marketing, travaille actuellement au siège d’un groupe mondial basé à Lausanne et Neuchâtel.

Y aura-t-il une cinquième génération de Miauton entrepreneurs?

Ma fille, nommée tout récemment administratrice de toutes nos sociétés, m’accompagne déjà dans la mesure du possible à des séances stratégiques.

Partagez-vous avec votre Ă©pouse cette esprit entrepreneurial?

Elle a par le passé géré une société du groupe Miauton, et actuellement elle s’occupe de tout le family business.

Portrait et entretien:

François Othenin-Girard

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