Publié le: 13 mai 2022

Reparti pour une «Encore-Career»!

DAVid SHIELS – L’Irlandais arrivé l’an dernier à l’âge (officiel) de la retraite n’a aucune envie de raccrocher, après une vie de passion, plongé en permanence dans les techs, les start-up et l’innovation. Observateur, curieux, il nous parle des États-Unis où il a séjourné récemment.

Il fait partie de ce groupe de gens – apparemment toujours plus nombreux – qui n’arrivent pas à raccrocher. Comme d’autres, il dirait que «retraité» est un terme haïssable. David Shiels est connu comme le loup blanc en Suisse romande. Pour décrire ce qu’il fait actuellement, il préfère de loin parler d’une «Encore Career». Un coup de téléphone avec l’Irlandais, c’est l’équivalent d’une bonne dose de vitamines entrepreneuriales.

«Je suis comme ces indépendants qui prennent leur retraite et quittent la scène sous les applaudissements, puis la regrettent et finissent par remonter sur les planches. Nous sommes de plus en plus nombreux dans ce cas. Pour ma part, j’ai pris ma retraite en 2021 après avoir eu jusqu’à douze clients simultanément dans les techs, les entrées de marché, la recherche technologique. Ce fut mon pain quotidien durant un quart de siècle.»

En 1996, David Shiels fonde IRconsult Creative Strategies, une société spécialisée dans les stratégies de marketing en phase de démarrage pour les technologies émergentes. Il s’est activé dans plus de trente start-up, dont huit pour lesquelles il était soit fondateur, soit investisseur au départ. Il connaît comme sa poche les écosystèmes d’innovation nordiques et américains. Normal, il a conseillé de nombreuses organisations d’innovation technologique sur les stratégies d’internationalisation et de regroupement. Y compris les organismes de promotion économique en Suisse. Un vieux routard!

«Si je veux faire un golf...»

À l’écouter, on sent la renaissance post-Covid revenir à toute berzingue. Petit flashback: «Tout s’est peu à peu arrêté, j’ai regardé les marchés atterrir. Puis, plus rien. J’ai attendu les appels et c’est venu tout seul, quelques mandats, puis d’autres. Il faut dire que je n’ai plus de secrétaire, ma fille me donne un coup de main quelques heures par mois, et ça suffit. J’ai moins de pression, je vois les choses différemment. Mais surtout, j’ai beaucoup plus de plaisir à travailler. Si je veux aller faire un golf le mardi, j’y vais! J’ai du temps pour mes trois petits-enfants, je le prends. Je ne travaille plus quatre-vingt heures par semaine, mais quarante. J’ai envie de continuer comme cela pendant quelques années.»

Le télétravail? C’est presque lui qui l’a inventé il y a vingt-six ans. Mais non, il rigole. «C’était en 1996, j’habitais à Marin (NE) et il fallait que je m’occupe de mes deux enfants. Depuis, j’ai toujours continué.» Depuis, il s’est expatrié de l’autre côté de la barrière de rösti, installé à Thalwil, «parce que c’est proche de l’aéroport – mais aussi pour des raisons fiscales évidentes.» Il parle allemand, français, avec un petit accent irlandais dont il joue un peu.

La prévoyance, il y pense

Comme nombre de ses amis, contemporains et collègues en Europe et aux États-Unis, c’est la retraite qui taraude les préretraités, en particulier vu les rendements des capitaux en déclin, les taux négatifs en Suisse, l’augmentation de la fiscalité un peu partout. «Ils se demandent s’ils ont assez cotisé et mis de côté pour s’assurer une vie décente plus tard. Parfois, il vaut mieux travailler quelques années de plus, quand on le peut, et réduire progressivement les durées de travail.»

Aux «States» dans les drugstores

On l’a vu au fil des années travailler comme responsable marketing du CSEM, élaborer de la propriété intellectuelle et concocter la mise sur le marché de Xemics, une start-up qui roule désormais pour Xemtech, une boite quotée au Nasdaq et spécialisée dans les circuits intégrés.

L’Irlandais connait le micro-cosme des promotions économiques comme sa poche. Il sait comment vendre la destination suisse aux Irlandais et la destination irlandaise aux Suisses. Observateur, curieux, attentif à tout ce qui se passe, il n’a pas la langue dans sa poche et fourmille d’anecdotes. Il y a deux semaines, il était aux États-Unis. Il en revient avec des sensations fraîches.

«Dans les grands supermarchés et les drugstores, il manque de nombreux produits sur les rayons. La plupart des distributeurs essaient de basculer leur commerce online. À cela s’ajoutent des problèmes de distribution et de rupture d’approvisionnement. Les discontinuités sont bien réelles.»

McDo: de dix à dix-huit dollars de l’heure en deux ans aux USA

L’autre problème concerne selon lui le marché du travail. «Les Américains semblent avoir moins envie de se remettre au travail. Sur dix vols que j’ai pris récemment, neuf ont été retardés parce que les travaux de maintenance n’avaient pu être réalisés dans les temps à cause du manque de main d’œuvre. Et sur les vitrines des fast-food, on propose du dix-huit dollars à l’heure, alors qu’il y a deux ans seulement, dix dollars étaient offerts pour le même travail.»

Aux États-Unis, le climat est apparemment serein. «Les bars, les restaurants sont pleins. Les salons professionnels remplis aux deux-tiers. C’est un peu la fête de se retrouver après ce long tunnel. On aimerait même parler de ‹happy days›, mais c’est vraiment un peu ‹fake›.»

Retour de la stagflation?

Peu à peu, l’inflation gagne du terrain de l’autre côté de l’Atlantique. «Jusqu’ici, ce n’était que de petits pépins, mais là, cela devient sérieux. On voit comment les habitudes de compensation prennent le dessus. Peu à peu, on augmente les frais, on augmente les tarifs. Mais en même temps, il n’y a que peu d’activité.» Les prix qui augmentent et la courbe des affaires reste plate et cela lui rappelle ses vingt ans, en 1974.

«Dans les années 1970, la croissance du PIB était faible et les gens augmentaient les prix pour compenser. On a appelé cela de la stagflation. Or c’est ce que nous risquons de connaître à nouveau en Suisse.» Et de pointer du doigt la BNS qui, selon lui, risque de connaître de nouveaux problèmes: «Comment fera-t-elle pour lutter contre l’inflation avec les prix de l’immobilier qui continuent à augmenter? Du côté des devises, le franc est encore très fort et l’augmentation des liquidités énorme.

«Dave» y a réfléchi: «La différence, cette fois, c’est qu’en raison d’une liquidité record et d’une période prolongée de taux d’intérêt bas, l’argent n’a pratiquement nulle part où aller, si ce n’est dans des classes d’actifs en expansion constante – comme l’immobilier et les actions.»

Selon lui, un sentiment est omniprésent: lorsque la situation en Ukraine se stabilisera, les actions rebondiront. «Les investisseurs s’intéresseront à la valorisation des actifs derrière la capitalisation boursière réelle. Mais si nous avons une stagnation économique associée à des augmentations de prix compensatoires, alors nous aurons une récession. Le cash sera roi. Et face à un franc toujours plus fort, l’économie suisse devra constamment s’automatiser et innover pour compenser par des gains de productivité.» Un autre rattachement du franc à l’euro serait une solution mais seulement à court terme. Donc il n’y croit pas. «Une fois que le barrage éclate, c’est toujours un bain de sang monétaire.»

Face à la hausse des coûts, qu’il s’agisse de l’énergie, des matières premières ou des services, les PME seront confrontées à la difficile question de leurs tarifs: à quel moment les augmentations de tarifs seront-elles inévitables? Comment parviendront-elles à maintenir la valeur de leurs actifs, de leur patrimoine? Faudra-t-il faire face à des changements de comportements en matière d’investissement? Plutôt que d’acheter un autre immeuble, les investisseurs se reporteront-ils sur des valeurs sûres, comme l’or?

Plus suisse que jamais

On lui avait posé cette question il y a dix ans: «Just how Swiss are you, Dave?» Aujourd’hui, il répond qu’aufil des années, il s’est senti devenir de plus en plus suisse.

«Bien sûr, on ne cesse jamais totalement d’être ‹Irish›. Mais une chose est sûre, si la Suisse était attaquée, je ne la quitterais jamais», conclut cet Irlandais marqué par l’actualité internationale.

François Othenin-Girard

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